Les pilules à succès de Thierry Serfaty
LE MONDE | 13.08.2015 à 07h47 • Mis à jour le 13.08.2015 à 07h49 |Par Clarisse Fabre
Quand il était enfant, Thierry Serfaty aimait découper, inciser les insectes, « pour savoir ce qu’il y a dedans ». Là, sous la fine membrane de la bestiole, il voyait de ses grands yeux bleus des montagnes, des canyons, des océans… C’était dans les années 1970, et ses parents, une mère enseignante et un père dans la finance, ne disaient trop rien. Du moment qu’il ne menait pas ses expériences sur son petit frère… Elève rêveur, Thierry avait des notes calamiteuses en rédaction. Souvent un « 2 sur 20 » accompagné d’un cinglant « hors sujet ! » L’adolescent grandissait au milieu des livres et des opéras écoutés en famille.
Etudiant en médecine, à Strasbourg, là même où il avait grandi, il devint persuadé que les professeurs lui cachaient quelque chose. Qu’est-ce qui se passe vraiment pendant le sommeil ? Virait-il grand marabout ? Le jeune homme gracile voulait « soulever les cartes » que lui donnaient les profs, et « rêver le corps à travers la science ». L’impatient a dû attendre un peu. « Pour avoir le droit de rêver, il fallait d’abord que je réussisse dans mon domaine cartésien, la médecine », raconte-t-il aujourd’hui. Il sera docteur d’abord ! Il prend même le temps se spécialiser dans les maladies infectieuses et tropicales. De quoi nourrir son imaginaire…
Diplômé, il ouvre un cabinet de généraliste à Strasbourg, occupe un poste d’interne à l’hôpital… Et certains soirs, à bord du bus « sida toxicos » de Médecins du monde, il assure avec d’autres bénévoles des soins à des prostitués, à des jeunes en errance… Des tranches de vie en veux-tu en voilà. Il tient le rythme pendant trois ans, de 1996 à 1999, puis lâche tout : il quitte l’Alsace, part en Afrique du Nord et s’installe à Marseille. C’est ici, enfin, qu’il va s’autoriser à « contorsionner la médecine », sur le papier bien sûr : il dispose de deux mois avant de prendre un nouveau poste à l’hôpital, et se met à écrire Le Sang des sirènes (Albin Michel, 2000). « Tout est sorti en quelques semaines. Je n’avais aucun contact dans le milieu littéraire. Je suis allé à la Fnac relever des noms d’éditeurs, j’ai envoyé le manuscrit… J’ai eu plusieurs propositions et finalement signé avec Albin Michel. »
Magicien
Il avait alors 33 ans, il en aura bientôt 48, toujours ce regard bleu sous cheveux courts, et ce brillant à l’oreille qui est peut-être sa bonne étoile… Depuis quinze ans, le conte de fées sur fond d’histoires frissonnantes n’en finit pas. Tout compte fait, ce sont des centaines de milliers d’exemplaires vendus, certains ouvrages traduits en une vingtaine de langues… Toujours avec le même éditeur, à l’exception de deux titres.
Le Sang des sirènes raconte la guerre des laboratoires qui mènent la recherche sur le sida… Thierry Serfaty imagine un traitement révolutionnaire pour éradiquer le virus. Des chercheurs ont mis au point le gène dit « du silence ». Introduit dans le corps du patient, il rend illisible le génome du virus HIV et empêche sa multiplication. Ce premier thriller remporte le Prix polar 2000 à Cognac, puis, en 2001, le Prix synopsis du meilleur roman adaptable à l’écran, au Festival de Cannes – le réalisateur et producteur Fabio Conversi a acquis les droits pour le cinéma.
Suivront, dans la même veine, Le Gène de la révolte (Albin Michel, 2004), La Nuit interdite (Albin Michel, 2006) sur l’univers fascinant du sommeil,ainsi que le diptyque Peur (2007) et Agônia (2008), paru chez Michel Lafon. Actuellement, Serfaty travaille sur un scénario avec le réalisateur belge Frédéric Sojcher – la manipulation des masses sur Internet. Désormais parisien, il est devenu une référence dans le polar médical, à la manière d’autres « toubibs », tel Eric Nataf, né en 1960, auteur de Régime mortel (Odile Jacob, 2008). Ou encore Martin Winckler, né en 1955, auteur de Mort in vitro, paru en 2003 dans la collection Polar santé, lancée par le Fleuve noir et la Mutualité française.
Mais Serfaty, lui, a changé de cap, et revêtu la cape de magicien. Un personnage fantastique a germé dans son esprit, Oscar Pill – comme pilule. Au départ, explique-t-il, c’est un simple souvenir d’étudiant : « Je faisais un stage dans un service de cancérologie pour enfants. L’un d’eux refusait la chimiothérapie. Je lui ai dit : “Imagine qu’un enfant de toute petite taille est dans ton corps. Il va t’aider à te soigner, mais toi, tu dois lui fournir des armes, d’accord ?” » Le jeune a fini par accepter :« Il m’a dit : “O-K pour la chimio et les cinq cures. Mais je veux cinq histoires”. »
« SI JE PEUX AIDER LES ENFANTS À SE SENTIR BIEN DANS LEUR CORPS, À NE PLUS AVOIR PEUR DE LA MALADIE, ALORS JE POURRAI CREVER TRANQUILLE »
Ainsi est née la légende Oscar Pill, une série pour ados. Serfaty la signe d’un pseudo à l’anglo-saxonne, Eli Anderson. Andersen, c’était déjà pris. C’est aussi l’auteur fétiche de Serfaty. Les cinq tomes sortent entre 2009 et 2012, et le héros grandit au fil des ouvrages… Cela ne vous rappelle rien ? Gagné, voici peut-être le Harry Potter made in France. Certes, les tirages sont encore loin de ceux de la romancière britannique, Joanne Rowling, née en 1965, de deux ans l’aînée de Serfaty-Anderson. Mais Warner Bros a mordu, et le géant producteur des sept Harry Potter vient d’acheter les droits d’Oscar Pill. « Ils pourront faire tout ce qu’ils veulent, des films et pourquoi pas un parc d’attractions… Mais j’ai gardé la faculté de retirer mon nom de l’histoire, si le résultat ne me convient pas », commente Thierry-Eli. Lui-même ne sait plus vraiment comment il s’appelle.
Ce dont il est sûr, c’est qu’il veut continuer à écrire pour les enfants. Une autre collection, destinée aux plus jeunes (8 ans), a vu le jour, Oscar le Médicus. La créature tombe un jour dans l’estomac d’un gros chien… Les aventures s’enchaînent, sous la plume d’Eli Anderson, tandis que le dessinateur Titwane illustre le corps humain.
« J’avais demandé à des enfants de milieux différents de penser à la maladie et de faire des dessins. Puis on avait fait un travail d’analyse avec une psychologue. » Une pause, et l’émotion l’envahit : « Si je peux aider les enfants à se sentir bien dans leur corps, à ne plus avoir peur de la maladie, alors je pourrai crever tranquille. J’aurai fait quelque chose de ma petite vie… »
Depuis 2008, il ne faisait plus qu’écrire. Mais voilà qu’il renoue avec la pratique médicale. « Je vais travailler à mi-temps dans une maison de retraite, comme coordonnateur de soins. Aider les personnes âgées à retrouver la dignité, quand le corps donne des signes de faiblesse, imaginer des projets de vie… Enfin, je vais pouvoir devenir le praticien que j’ai toujours rêvé d’être. » Un médecin non pas imaginaire, mais fantasmé depuis l’enfance.