Antoine Audouard

AU BONHEUR DES PETITS SAINTS

10/04/2013

Au sortir de mon récent AVC, on m'a proposé pour évaluer mon état une série d'images représentant des personnalités politiques ou du spectacle. A peine avais-je eu le temps de me réjouir que la photo de Marine Le Pen ne fasse pas partie de mon retour à la vie (j'ai eu Jospin, Michel Drucker et Catherine Deneuve jeune et j'ai râlé qu'à un écrivain on ne propose pas les tronches amies de Balzac, Flaubert ou Victor Hugo) que la clameur des « petits saints » m' a aussitôt cahuzé les oreilles.

 

Les « petits saints » sont en goguette ! Pensez donc, un Cahuzac, ça ne vous tombe pas tous les jours dans l'escarcelle. Un socialiste ripou, la droite se régale, quand en plus il a été conseillé dans ses crapuleries par un proche de l'abominable Marine, c'est toute la gauche de la gauche qui en redemande. On va pouvoir marcher citoyen, un couteau entre les dents, chouette ! Il faut faire couler le sang et changer d'hommes et de système.

 

Il me semble, bien au contraire, que sauf à prétendre ressusciter par la terreur une république gouvernée par la Vertu, l' affaire Cahuzac est un très bon signe d'un meilleur fonctionnement démocratique. Avions-nous besoin de nous transporter en Russie ou dans un état effondré pour nous imaginer une affaire semblable avec une issue différente? Un « puissant » proche du pouvoir est soupçonné d'avoir violé les lois pour son intérêt personnel – l'affaire est étouffée.

 

Sous des présidences pas si anciennes, il n'est pas insultant de penser que cela se serait passé ainsi (ou s'est passé ainsi). Bien au contraire, dans le cas présent, la justice a suivi son cours et non seulement, sauf dans ses rêves, la carrière politique du sieur C. est terminée, mais il est probable que ses ennuis judiciaires n'en sont qu'à leur début ; s'il espérait s'en sortir avec une amende, des remontrances et trois Pater et un Ave assortis de la promesse de ne pas recommencer (mise en valeur par un don substantiel à une « fondation pour la transparence fiscale), c'est mal barré. Même si l'on n'aime pas les mises à mort, on ne le plaindra pas, tout en s'interrogeant sur les intéressants mécanismes intérieurs qui l'ont d'abord poussé à nier « les yeux dans les yeux ». Ces bizarreries de l'âme humaine sont banales et restent surprenantes – la conjonction des deux reste matière romanesque.

 

Est-il choquant qu'avant de le jarter, ses patrons et amis lui aient demandé s'il était coupable ? Cela ne le serait que si ses dénégations leur avaient suffi et qu'au lieu de laisser faire la justice ils avaient usé des moyens à leur disposition pour l'entraver. Cela ne s'est pas produit mais ce n'est pas assez pour nos petits saints qui ont tous des raisons d'être fâchés contre « le système », le tout avec la complicité explicite ou tacite d'une bonne partie des médias, pour qui tout ça c'est de la copie, et qui veulent par leur férocité rhétorique faire la preuve qu'eux aussi sont des « Mediapart » prêts à faire un malheur à coup de révélations tonitruantes.

 

Et voilà pourquoi, au lieu de nous réjouir simplement de la qualité du fonctionnement démocratique du hollandisme an II, nous nous retrouvons avec les petits saints à barboter dans la marmite où frémit le court-bouillon de l'indignation contre les « tous pourris ». Il nous reste à espérer que M. Vigier, ex-trésorier et ami du Président, fasse l'objet lui aussi d'une enquête approfondie. Quant au plan politique, on peut espérer que tous se mettent d'accord pour que tous les candidats à des postes publics importants fassent l'objet si ce n'est d'une approbation parlementaire, au moins d'une enquête préalable sérieuse et approfondie.

 

Plus généralement, ces histoires devraient servir au Président et à son gouvernement de levier pour qu'une réforme de la régulation financière internationale voie le jour, au moins au niveau européen. Les petits saints, rebelles professionnels, nous annonceront par avance que c'est de la roupie de sansonnet mais quand on ne croit pas à l'établissement du royaume du Bien sur terre, de petites améliorations relatives ce n'est pas mal.

 

En attendant, cette histoire nous rappelle que nous sommes dans un pays conservateur-révolutionnaire chez qui même les centristes ont la bave aux lèvres et où la modération de tempérament passe pour de la faiblesse ou du manque de caractère ; jusqu'où hurleront les petits saints coalisés pour faire tomber à grand fracas les modérés qui nous gouvernent ?

 

Souhaitons que ces derniers ne paniquent pas, ne se précipitent pas (« à la Sarko ») pour proposer des mesures vite annonçables au journal de 20h, et bénéficient d'un peu de chance dans l'entreprise difficile où ils se sont lancés. Quant à M. Fabius, la cible du jour des « petits saints » - s'il est innocent, on lui conseille de ne négliger aucun moyen pour apporter ses preuves – curieux renversement que le gouvernement des petits saints impose. En attendant, comme selon Craig Johnson on dit chez les Cheyennes, Stay calm, Keep faith and Wait for signs.


Antoine Audouard

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