Dans son intense brièveté, et son refus de pontifier comme de s'apitoyer ou de s'épancher, il m'a souvent rappelé Le Scaphandre et le Papillon. Comme Bauby, Roberts a eu la réputation d'un jeune homme précoce et peut-être trop doué, toujours à la recherche d'un destin, deux «enfants du siècle », charmants et cultivant un dandysme volontiers cynique, pas forcément regardants sur les moyens de satisfaire leur ambition. Roberts rapporte quelques anecdotes personnelles qui prouvent bien qu'il n'a pas essayé de se refaire sur le dos de son cancer une peau neuve de petit saint. « Imposteur, escroc », il reprend à son compte avec une délectation sans morosité certain des termes qui ont pu être utilisés pour le qualifier. Comme Bauby, Roberts a montré de l'esprit, et il a donné parfois l'impression même à ceux qui l'aimaient bien, qu'après le brillant début Affaires Etrangères, il passait à côté de sa vie d'écrivain (combien de fois s'est-il murmuré la belle phrase de Berl ? « Ma vie ne ressemble pas à ma vie... »), ou à défaut glissait à sa surface à la manière d'une risée méditerranéenne au large de sa chère Calabre. Comme Bauby, la maladie lui a meurtri le corps et aiguisé l'âme, lui donnant l'occasion d'ouvrir en lui-même la trappe secrète, de se connaître un peu, à défaut de se comprendre toujours, et de porter sur les autres un regard plein d'amitié et parfois d'amour. Rien de bavard dans cette plongée, qui nous épargne tout sentimentalisme et nous rappelle, dans sa concision, le sens de l'ironie à ses propres dépens, aussi bien Bauby que le regretté journaliste anglais Christopher Hitchens, à qui on demandait de donner une conférence aux effets euphorisants sur le thème de son cancer (du poumon – le poumon, le poumon, vous dis-je) et qui refusa avec hauteur :« We don't do uplifting ». Pour l'édifiant, le revigorant et la pensée positive, il faut s'adresser ailleurs.
A la différence de Bauby, dont la compagne des derniers mois, qui avait bouleversé sa vie pour être près de lui et l'aider pendant sa longue hospitalisation à Berck, n'apparaît dans les pages du « Scaphandre » que par la silhouette innommée d'une « amie », Jean-Marc Roberts évoque avec pudeur et justesse l'amour qu'il vit avec Anna.
Pas plus que ses prédécesseurs, Roberts ne donne dans le « bon pour le moral ». A chaque lecteur, selon son état et son histoire, de découvrir si ce livre est, ou sera, bon pour sa santé personnelle. Il est d'ores et déjà établi, avec sa belle qualité littéraire, sa justesse tour à tour grave et souriante, que la première « deuxième vie » de Jean Marc Roberts commence bien.
Après tumeur 1 saison 1, tumeur 2 saison 2, comme il rebaptise avec humour les épisodes de son cancer, il n'a pas eu l'occasion de tourner une saison de Rémission; nous en resterons à ce magnifique début-fin.
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