Antoine Audouard

Blog de Antoine Audouard


Jamais sans mon Gabin

 (Gab-5)

Sur les films, je n'ai rien contre la VOD, mais que ce soit par vertu (vive le droit d'auteur !), pusillanimité (un super-gendarme va-t-il jaillir de mon ordinateur et me passer des menottes ?) ou manque de savoir-faire, je ne pratique pas le streaming ; je continue donc à apprécier les DVD, surtout ceux où l'éditeur a fait l'effort de proposer quelques suppléments valables (le pire en ce domaine, c'est René Château qui ne propose à peu près rien qu'un lien Internet, quelques reproductions d'affiches et de la promo pour les livres René Château, voire un pitoyable quiz).

Mon top 8[1] des Gabin d'avant-guerre : La Grande Illusion, Les Bas-Fonds, Pépé le Moko[2], Le Quai des brumes, Gueule d'amour, La Belle Équipe, La Bête humaine, Le Jour se lève, Remorques.

Mon top 14[3]-18 des Gabin d'après-guerre : La Traversée de Paris, Le Rouge est mis, Les Misérables (M. Tulard, auteur du monumental Dictionnaire du cinéma de la collection « Bouquins », qui exècre Le Chanois et Delannoy, qualifie ce dernierdenullissime), Le Sang à la tête, Archimède le clochard, Touchez pas au grisbi, French Cancan, Maigret tend un piège, Maigret et l'affaire Saint-Fiacre, Gas-Oil, Mélodie en sous-sol, Un Singe en hiver, Des Gens sans importance, Le Cave se rebiffe, Le Pacha, Le Clan des Siciliens, Deux hommes dans la ville, La Horse, Le Chat.

Un cas à part : je ne sais si je recommande L'Affaire Dominici (Claude Bernard-Aubert, 1973, rien vu d'autre de ce réalisateur)[4], un des seuls Gabin notables que je n'avais pas vus, mais il y est exceptionnel, en patriarche taiseux de Lurs, et ça fait plaisir de reconnaître quelques visages dans les rôles secondaires : Victor Lanoux est un fils faible et perdu, Gérard Depardieu un petit-fils un peu voyou (va savoir pourquoi ça lui va bien), Paul Crauchet un flic acharné mangé par son obsession ; à noter Geneviève Fontanel, épatante d'ambiguïté en bru qui se tait soit parce qu'elle ne sait rien, comme elle le dit et le répète, soit parce qu'elle épouse à l'extrême la valeur de base de la vie de son beau-père, le silence. Le film lui-même est ambigu : son épilogue où l'on voit apparaître le vrai défenseur des Dominici, le ténor du barreau marseillais Émile Pollak, signe le banal film à messages : « les vrais coupables n'ont pas été démasqués », « mes clients sont innocents », « plus jamais ça ! », mais il y a de bons moments de cinéma et Gabin lui-même, avare de mots, tout de lenteur et de fureur contenue, est? Gabin. Très différent et puissant à sa manière, sera Michel Serrault trente ans plus tard dans une autre version de l'affaire (L'Affaire Dominici, de Pierre Boutron[5], avec aussi Michel Blanc, assez loin des Bronzés, et épatant en petit flic teigneux et ambigu), d'ailleurs non élucidée à ce jour et qui ne le sera sans doute jamais.

Un deuxième cas à part, c'est le troisième (et dernier) Maigret, Maigret voit rouge (Grangier, 1963). Pas forcément le top du scénario, mais on entend qu'il parle (bien) anglais et en dehors de l'incontournable Frankeur, on a droit dans des rôles secondaires à Michel Constantin, Edward Meeks (enfant j'ai croisé cet acteur, qui était avec Jess Hahn et Eddie Constantine un des Américains du cinéma français), Marcel Bozzufi et Françoise Fabin ( ah ! ces mollets[6] !)

Quelques nanars (ou « boulons », comme dit mon ami Choo-Choo) : La Bandera (Julien Duvivier, 1935) un des premiers grands succès de Gabin avant-guerre, et de l'aveu même de sa vedette, à la limite du regardable. Pour la curiosité, Annabella, Viviane Romance et Robert Le Vigan dans les rôles secondaires. Le film est dédié par Duvivier au général Franco[7]. Pas lu le roman de Mac Orlan d'où il est tiré, mais ce qui passait (peut-être) à l'écriture donne un scénario absurde, chargé d'invraisemblances et de pitoyables coups de théâtre.

J'ai cité Golgotha (Duvivier, 1935) - une bonne histoire à la base, même si on connaît la fin -, c'est assez lourd et empesé malgré les grands acteurs (dont Edwige Feuillère, épouse de Gabin/Ponce Pilate dans le film et à laquelle le facétieux ne s'adressa plus désormais qu'en l'appelant « madame Ponce ») ; dans le genre Jésus je préfère l'étrange L'Évangile selon saint Mathieu de Pasolini, La Dernière Tentation de Christ de Scorsese et surtout l'indépassable film des Monty Python La Vie de Brian.


Après cette divagation christique, revenons à nos nanars.
Je n'ai vu que des extraits de son premier film (Chacun sa chance,1930), une comédie légère où il pousse la chansonnette aux côtés de sa partenaire (et première femme) Gaby Basset ; idem des Gaietés de l'escadron (Maurice Tourneur, 1932), où il partage la vedette avec Raimu et Fernandel, mais ça m'a bien l'air d'être le degré au-dessous de zéro du comique troupier ; ayant comme Fernandel fait ses débuts sur les planches dans des numéros de comique et de chanteur, Gabin avait un vrai lien d'amitié avec le Marseillais. Après avoir mené chacun de leur côté des carrières à succès, ils se retrouvèrent pour créer une société de production commune. Las ! La GAFER ne produisit qu'un film où ils partageaient la vedette. Deux des plus grandes stars du cinéma français en tête d'affiche, le succès était assuré. Les jeunes producteurs-acteurs s'entourèrent de bons professionnels : Pascal Jardin et Claude Sautet pour le scénario, et Gilles Grangier pour la mise en scène? Le résultat : démoli par la critique, boudé par le public, L'Âge ingrat fut un four et marqua la fin de la GAFER. Une soixantaine d'années plus tard, le film reste à peine regardable. La minceur du scénario, la succession incohérente des rebondissements sub-courtelinesques gomment le plaisir passager de revoir la jeune et durablement délicieuse Marie Dubois ou l'excellent Noël Roquevert. Quant aux stars, l'inintérêt fondamental de leurs personnages et la débilité définitive de l'intrigue les poussent à en faire des caisses ; en étant des parodies d'eux-mêmes, ils parviennent à peine à nous faire sourire de temps en temps et ne font que souligner l'inanité de la faible aventure où ils se sont imprudemment lancés. Pourtant, même si ce n'était pas son registre naturel, Gabin peut être bon dans une comédie, à condition qu'elle raconte une histoire. En duo avec Darry Cowl, aidé par Bernard Blier, Julien Carette, Dora Doll et Roquevert, il avait excellé dans Archimède le clochard. Lorsque dans deux scènes du film il danse et chante, il est émouvant de voir cet homme alourdi vivre sans retenue ni ridicule un moment de sa jeunesse - ici, le personnage de Gabin colle parfaitement avec le personnage joué par Gabin et tout en riant de bon coeur, on est gagné par une forme d'émotion assez poétique : vers la fin du film, c'est joli, de voir cethomme seul qui s'éloigne en dansant pieds nus, ses chaussures à la main, sur la plage de Cannes, mais c'est poignant aussi.

Quant aux Vieux de la vieille (Gilles Grangier, 1960), il paraît que c'est un film « important », car c'est le premier où Gabin (quarante-cinq ans à l'époque du tournage) se vieillit pour se rapprocher de ses deux co-stars (Noël-Noël, soixante-deux ans, et Pierre Fresnay, soixante-trois) pour former un trio de vieillards indignes ; à mon humble avis, c'est tout simplement affligeant de bout en bout. Triste de penser que c'est le dernier film tourné par l'excellent Pierre Fresnay, autrefois partenaire du jeune Gabin dans La Grande Illusion, et qui affectait tout au long du film un faux accent charentais grotesque à côté du faux accent berrichon de Noël-Noël et de l'accent normand (un peu plus juste) de Gabin. Ça se veut un road-movie de trois vieux insupportables, mais ce n'est que long et ennuyeux - à deux ou trois gags près. Ça devait (peut-être) passer en livre grâce à la vivacité de l'écriture de René Fallet et l'intervention d'Audiard n'a pas suffi pour en faire une histoire qui tienne un tant soit peu la route - ça reste une série de sketches assez faibles. Pourtant Grangier, modeste artisan tout-terrain assez injustement sous-estimé, si ce n'est méprisé, savait y faire en comédies comme en témoigne la suprêmissime Cuisine au beurre (1963) où règne le couple Fernandel-Bourvil?

Pas vu Monsieur (Le Chanois, 1964), que M. Tulard qualifie de « pitoyable », mais j'aimerais bien parce qu'aux côtés du « Vieux » débute[8] la future « grande sauterelle » Mireille Darc, que j'ai eu la chance de croiser deux ou trois fois plus tard dans sa vie (j'ai réécrit quelques répliques d'un oubliable téléfilm dont elle était la star et pour me remercier elle m'a invité à l'accompagner dans un cinéma des Champs-Élysées voir La Leçon de piano, le beau film de Jane Campion. On a même pris un thé après). Dans le genre navet, mon ami Vincent « King » et moi avons regardé effarés l'indigent Tatoué (Denys de laPatellière, 1968) : pour compenser le creux du scénario, Gabin et de Funès cabotinent à tout va. Il y a un running gag de niveau moins que zéro, les rebondissements sont absurdes et longuets (c'est terrible, quand 1 h 31 de comédie, ça n'en finit pas) ça nous a peinés parce que c'est un sujet de Boudard et Alphonse, c'est Alphonse - et que Jardin a participé au scénario et écrit les dialogues, où il fait du sous-Audiard pour masquer l'incohérente et radicale inanité de l'histoire. Plus de trois millions d'entrées à l'époque, OK, mais ça vaut pas un pet de lapin. Paraît que Gabin et de Funès, tous deux méga-stars à l'époque, étaient très contents à l'idée de tourner ensemble pour la première fois depuis La Traversée de Paris mais ça s'est mal passé. Un peu à cause de la différence des personnalités : Gabin qui veut que tout soit en place pile-poil et de Funès qui improvise sans arrêt. Questions d'ego aussi : visionnant les rushes, quand l'un des deux préfère une prise, l'autre en préfère une autre. Franchement, vu le résultat, z'auraient mieux fait de s'abstenir. Du même La Patellière, le calamiteux Le Tueur (1972), avec son scénario sans queue ni tête malgré quelques bons dialogues de Pascal Jardin, ne résiste en (petite) partie qu'à cause de la qualité des acteurs : Bernard Blier (« le Bernard ») en patron de la Sûreté, Fabio Testi, pas si mal en Alain Delon du pauvre, la jeune et mignonne Uschi Glas, sans oublier Félix Marten (pas mal !), Ginette Garcin et un certain Gérard Depardieu promis à un bel avenir. Pour la curiosité, chanson de Ricky Shayne, pseudonyme de George Albert Tabett, un rocker français (un « sous-Johnny » si on veut être méchant), ayant fait une honnête carrière dans les pays germanophones. Il y a sûrement d'autres Gabin calamiteux, mais je ne les ai pas tous vus et ne vais pas me lancer dans la liste de ceux qui sont simplement moyens.

Top 14-18 des noms : le sien est hors compétition : Jean Gabin Alexis Moncorgé, Gogol et Tchekhov, qui partageaient (entre autres) un goût pour les noms marrants, auraient adoré. Pour  en revenir à Gabinski et à ses noms de cinéma, il en a eu une belle collection ; passons sur ceux où il n'a qu'un prénom, avec ou non sobriquet,  citons d'abord les noms de famille à consonance bien française (les Bouin, Grivot, Cordier, Fricot, Lafarge ; Valois Châtelain ou Châtelard, Maréchal, Rivet, Ruffin, Ledru, Lamy, Viard, Laurent, Ferré, Neveux, Raynal, Lambert, Boulin, Martin, Quentin, Le Guen, voire Malhouin) ; certains  sortent un peu de l'ordinaire[9] ; souchien : Jean-Hugues Guillaume Boutier de Blanville, dit « Archimède le clochard » ; comte Enguerrand de Montignac, ou « Legrain », légionnaire en retraite ; Antonio Sanna, chirurgien ; Nicolas Dange, dit « Nick », agent colonial ; Léandre Brassac, vétérinaire ; Joé Greer, coureur automobile ; Victor Le Garrec, entraîneur de boxe ; Trott Lennard, aventurier ; Raymond Pinsard, mécanicien de locomotive, aveugle après un accident ; André Gobillot, avocat ; Carlo Bacchi, industriel romain ; Victor Messerand, inventeur ; Henri Danglard, directeur de cabaret ; Pedro Savreda, mécanicien ; François Paradis, trappeur ; Martin Roumagnac, entrepreneur en maçonnerie ; Pépel,[10] dit « Waska », cambrioleur ; « Pépé le Moko », caïd parisien coincé dans la casbah d'Alger ; Jean Chappe, camionneur ; Lucien Bourrache, dit « Gueule d'amour », légionnaire ; Ferdinand Maréchal, dit « le Dabe », un truand[11] ; Martousse, mauvais garçon ; le baron Jérôme Napoléon Antoine ; Jean-Marie Péjat, réparateur de vélos ; Richard Briand-Chamery, dit « le commandant », turfiste un peu escroc ; Emile Beaufort, président du conseil ; Léandre Brissac, vétérinaire ; Maître André Gobillot, avocat ; Trott Lennard, aventurier ; Victor Ploubaz, aventurier mythomane ; Noël Schoudler, financier ; Auguste Maroilleur, paysan ; Vittorio Manalese, truand chef de clan ; Germain Cazeneuve, éducateur ; sans compter Gaston Dominici, Jean Valjean, Eugène Lantier, Ponce Pilate, le maréchal Lannes et le commissaire Maigret - et (j'allais oublier) Arsène Lupin dans une opérette.

Quelques jolis sobriquets de Gabin à l'écran (qualité des films non garantie) : Paulo les Diams ; le Dabe ; Max le Menteur, Pépé le Moko ; Père Tulipe.

Top professions : les plus courantes (je ne compte pas) ont été truand en retraite ou non ; mais il a souvent été ouvrier ; mécanicien (Gloria), chauffeur, marin, marchand (de tissus, Chacun sa chance) ou de TSF (Tout ça ne vaut pas l'amour) ;opérateur de cinéma (Coeurs joyeux). Hors-la-loi ou acharné à la faire appliquer, il a pratiqué l'alternance des fonctions : inspecteur de police dès son deuxième film (Méphisto, 1931), il était cambrioleur dans le troisième (Paris béguin), revenant avec régularité aux rôles de soldat ou flic (souvent commissaire) ; il a été paysan à deux reprises ; aventurier parfois il a été aussi - mais plus rarement - ingénieur, contremaître, ou industriel, mareyeur et armateur, juge une fois, avocat, inventeur, trapéziste, garagiste, artiste peintre (Grandgil dans La Traversée de Paris), médecin, vétérinaire, restaurateur - et footballeur aussi ; bibliothécaire une fois, et chef de gang en même temps (ouf !) ; il a été conducteur d'autos, de trains, de péniches, pilote de bateaux, chauffeur de camions - jamais pilote d'avion à ma connaissance ni de fusée, je ne vois pas dans sa longue filmo de film d'aventures spatiales. Déjà que selon Lautner il râlait de devoir insérer sa masse dans un « suppositoire » ( la Matra du Pacha), je ne le vois pas trop grimper à bord d'une capsule mise en orbite autour de la terre, même s'il avait eu Sandra Bullock comme partenaire.[12]

Top partenaires féminines : la plus connue est Michèle Morgan (Le Quai des brumes, Remorques) mais il y a la belle Dita Parlo de passage dans La Grande Illusion, la belle et très méchante Viviane Romance dans La Belle Équipe, moins méchante dans La Bandera où transite la belle Annabella ; superbe Arlettydans Le Jour se lève ; la glamoureuse Simone Simon (La Bête humaine),c'est pas rien, et Mireille Balin (Gueule d'amour, Pépé le Moko) a les plus beaux mollets du cinéma français avant Jeanne Moreau qui sera la jeune et pétulante amante du vieillissant Gabin dans Gas-oil.

Après guerre, il y aura aussi Danièle Delorme, bien mignonne en Fantine (Les Misérables)et toujours mignonne, mais dangereuse (Voici le temps des assassins), Françoise Arnoul, ravissante débutante dans French Cancan  et touchante dans Des Gens sans importance, et bien sûr Bardot : il paraît que, malgré le plaisir de retrouver « madame Ponce », Edwige Feuillère, qui jouait (très bien) le rôle de légitime épouse, Gabin était gêné de tourner les scènes les plus osées d'En cas de malheur face à la plus hot des jeunes actrices françaises - cette gêne dont Autant-Lara a su jouer fait partie de l'intérêt du film et enrichit l'ambiguïté de ce personnage d'un homme désabusé et vieillissant tourmenté par le « démon de la chair » . Je n'aurai garde d'oublier que les rôles secondaires d'Annie Girardot (Le Rouge est mis, Maigret tend un piège) ne sont pas mineurs) ; mentionnons uneapparition de Martine Carol dans Le Cave se rebiffe,un film qui voit le retourd'une presque star d'avant-guerre :Françoise Rosay (La Kermesse héroïque) épatante en vieille indigne et qui se spécialisera dans ce rôle pour la dernière partie de sa longue carrière (premier film, muet, en 1911, quand elle avait vingt ans le dernier en 1973, quand elle avait dépassé les quatre-vingts) ; last but not least, n'oublions pas la grande Simone Signoret, sa partenaire dans un de leurs plus grands films, Le Chat. Fun facts rapportés par le metteur en scène Granier-Deferre : Gabin craignait un peu Simone ; il l'avait demandée comme protagoniste, appréciant ses qualités d'actrice, mais il considérait avec un scepticisme  goguenard ou un peu inquiet ses engagements à gauche, et il craignait qu'elle ne l' «emmerde » avec sa propagande politique » ; entre deux scènes, Simone faisait tranquillement ses mots croisés et tout s'est déroulé sans anicroches ; le chat, en bon chat, au lieu de faire ce qu'il était censé faire (fuir Signoret et aller vers Gabin), persistait à faire le contraire.

 

Quelques livres, quand même

Florence Moncorgé Gabin : Quitte à avoir un père, autant qu'il s'appelle Gabin. J'ai pas lu, mais j'adore le titre.
Jean Gabin (avec Sébastien Gimenez) : Maintenant je sais.
Gilles Grangier : Au-delà de la Loire, c'est l'aventure. Pas le plus coté des réalisateurs français, mais un très bon, même s'il s'est raté parfois - assez rarement, en fait ce petit bouquin est plein de récits délectables sur le cinéma français et on y voit Gabin, mais pas que : Harry Baur, Carette, Dalio, Audiard, etc.

Des bios, il y en a plusieurs, mais je sais pas laquelle recommander, j'en ai lu aucune.

L'exposition

« Jean Gabin. L'exposition » (jusqu'au 10 juillet 2022 à l'espace Landowski - 28, avenue André-Morizet - Boulogne-Billancourt).



[1] Je sais, il y en a neuf.

[2] Qu'on peut aussi classer dans les nanars selon l'humeur.

[3] Ça, c'est mon coup de chapeau à l'ami Loïc, grand fan du Stade toulousain, grand lecteur de romans policiers et propriétaire avec sa femme Céline de la meilleure fromagerie du faubourg : Fernin - 204, rue du faubourg Saint-Martin. Tél. : 09 88 01 74 49. C'est aussi pour Brassens qui accepta une fois à par amitié pour mon père de quitter sa retraite estivale de Sète pour venir jouer dans les arènes de Fontvieille au profit de « la galette des vieux » Moi mon colon, celle que j'préfère, c'est la guerre de 14-18 !

[4] Mon ami Ouiqui m'indique qu'après des débuts audacieux (son film Patrouille de choc, inspiré par son expérience de reporter de guerre en Indochine, a été menacé par la censure, et le suivant Les Tripes au soleil, consacré au racisme, longtemps interdit), il a rencontré des difficultés : dans les années 1970, il a surtout réalisé des films pornographiques sous le pseudonyme de Burd Tranbaree, mais je n'ai pas vu Les Mémoires de monsieur Léon, Maître fesseur, Excès pornographiques, Prouesses porno ou Sarabande porno,pas plus que Les Jouisseuses, Cuisses infernales et Infirmières très spéciales. Contrairement à ce que son titre semble indiquer, Le Dernier Coït n'est pas un film porno apocalyptique, mais une adaptation de Chase ; quant à son denier projet, inachevé, La Jonque chinoise, je ne sache pas que Lino Ventura, son acteur principal, qui n'embrassait pas à l'écran, se soit embarqué en fin de carrière dans un film de cul ; d'ailleurs il n'est pas mort d'une épectase.

[5] Rien vu de lui non plus de lui, mais il a au moins un point commun avec M. Bernard-Aubert, il a réalisé un Monsieur Léon, avec le même Michel Serrault, qui n'est pas maître fesseur, mais médecin et résistant. M. Boutron est le réalisateur de la série Florence Larrieu : le juge est une femme, dont je n'ai vu aucun des treize épisodes, pas plus de sa suite Alice Nevers : le juge est une femme ;no comment non plus sur Les Étonnements d'un couple moderne, un téléfilm de 1987 qui a obtenu le 7 d'or du meilleur téléfilm. Sur ce thème, nul doute de M. Bernard-Aubert, alias Burd Tranbaree, eût réalisé une oeuvre que ni Télé 7 jours, ni Télérama n'eussent songé à primer - et qu'aucune chaîne, sauf peut-être le Canal Plus des origines, n'eût envisagé de diffuser.

[6] Toutes les références aux mollets sont dédiées à mon pote peuthe « Cap'tain Denis », fondateur de la « mollettologie »

[7] La toujours vigilante Malcampo me signale que j'omets de signaler que c'était avant la guerre civile, quand Franco commandait les troupes espagnoles au Maroc. Ajoutons par égard pour Duvivier qui n'était pas de gauche, mais pas facho, que si déjà Franco ourdissait son coup, le réalisateur ne pouvait le savoir et remerciait simplement le général pour avoir facilité son tournage.

[8] Quoique? elle avait déjà tourné cinq ou six films, dont Poui-Pouic, avec de Funès.

[9] J'ai ajouté l'occupation principale du personnage.

[10] Adaptant les fonds de Gorki, Renoir les a transposés en France, mais, peut-être à 'initiative de son co-adaptateur le génial émigré Zamiatine, il a conservé aux personnages les noms à consonance russkoff.

 Ainsi Jany Holt  est-elle Nastia la prostituée, Suzy Prim Vassilitatilieva  et Maurice Baquet Aliocha le fou accordéoniste. Robert Le Vigan, Jésus dans Golgotgha, est un acteur alcoolique innommé. Noter le passage, en promeneur, du réalisateur Jacques Becker, assistant et ami de Renoir.

[11] Audiard n'utilisait pas que les mots de Gabin et ses manières pour écrire ses personnages. C'est sûrement en pleine connaissance de cause qu'il a emprunté le prénom du père de l'acteur, l'artiste de music-hall Ferdinand Moncorgé.

[12]  Il faut bien Sandra Bullock pour tenir toute la durée de Gravity


L'éternité du « Vieux »

(Gab-3)

Certains disent que Gabin exagère un peu quand il affirme avoir connu une période difficile après la guerre. S'il avait été marseillais, comme son ami Fernand Contandin, dit Fernandel, on aurait dit qu'il « galéjait ».

Il est vrai que si son nom était loin d'être oublié, il lui fallait se réinventer? La cinquantaine pas encore atteinte il n'avait pas besoin de se vieillir pour faire « vieux », un attribut mal porté dans le cinéma qui a tendance - c'est pas nouveau - à idolâtrer la jeunesse? Tout à sa passion pour Marlene qui l'avait suivi à Alger, puis à Paris, Gabin imagina de tourner avec elle : une affiche avec deux des plus grandes stars du cinéma d'avant-guerre, c'était un ticket gagnant assuré. Je n'ai pas vu Martin Roumagnac, de Georges Lacombe, auquel Gabin croyait tant qu'il avait lui-même acheté les droits du roman de Pierre-René Wolf (pas lu), mais je crois comprendre qu'on peut s'en passer. Son échec commercial marqua la fin de l'illusion du grand come-back à deux et celle d'une liaison. Suivirent quelques années où l'ancien fusilier marin dut souquer ferme pour rester professionnellement à flot. En 1949, le retour sur scène (pour une pièce d'Henri Bernstein, un auteur qui lui aussi, avant-guerre, avait eu son heure de gloire et qui, lui aussi, était passé de mode) ne le « remit » pas en vogue, pas plus qu'un film de l'excellent René Clément. Il jouait dans Au-delà des grilles le rôle d'un passager clandestin, mais il était peut-être passé des cabines de luxe au fond de la cale où le cinéma français, sans l'oublier totalement, le négligeait. Les retrouvailles avec Carné pour La Marie du port (1950) ne lui portèrent pasbonheur,pas plus que des voyages en Italie pour ce que j'imagine être d'improbables nanars, Pour l'amour du ciel, de Luigi Zampa (1951) et Fille dangereuse, de Guido Brignone (1953). Enfin vint le Grisbi. Le film de Jacques Becker (1954) a, à ce point, marqué l'image cinématographique de Gabin qu'il est difficile de se souvenir qu'il n'était pas le premier choix du réalisateur de Casque d'or et du Trou pour le rôle de Max le menteur. Daniel Gélin, qui avait déjà tourné avec Becker, et François Périer furent pressentis - et ce dernier suggéra que Gabin serait un bien meilleur choix pour ce rôle de truand sur le retour que « le Vieux » en viendrait à incarner à tant de reprises.

D'un pan à l'autre de sa carrière il excella toujours dans les rôles d'hommes contre, de rebelles, de marginaux, de refuzniks gouailleurs ou taiseux d'une société qui prétend imposer des valeurs (de soumission, d'argent triomphant, de convenances, de progrès) à son esprit d'indépendance et de liberté. Même s'il est tentant de dessiner le portrait d'un personnage type de Gabin, ce qui frappe d'abord, c'est la diversité de ses rôles : industriel coureur de jupons (La Vérité sur Bébé Donge), financier (Les Grandes Familles),aristocrate devenu : légionnaire (Le Tatoué, 1972) ou clochard (Archimède le clochard, 1959) ; cheminot devenu aveugle (La nuit est mon royaume, 1951) ;conducteur de camions (Gas-oil, Des gens sans importance) ;ex-débardeur de ports devenu armateur et mareyeur (Le Sang à la tête). Il fut également le meilleur commissaire Maigret, avant de devenir ce vieux truand qui sort de sa retraite pour un « dernier coup » (Ne touchez pas au grisbi, Mélodie en sous-sol) ; il fut ce meneur de revues en retraite (décidément) pour l'excellent French Cancan où il retrouvait Renoir ; il fut grand chef d'un restaurant poussé au crime par une vilaine fille (Danièle Delorme dans Voici le temps des assassins), il fut assassin, truand sicilien et flic, le patriarche paysan acharné de La Horse, il fut l'avocat et l'amant de la jeune criminelle Brigitte Bardot (En cas de malheur), éducateur idéaliste dans un des meilleurs films de José Giovanni, Deux hommes dans la ville ;il fut chirurgien, peintre, il fut turfiste escroc vivant d'expédients (Le Gentleman d'Epsom),il fut même président du Conseil (Le Président) ; il fut Gaston Dominici ; il fut aussi et pour finir, quoique ce ne soit pas son dernier film, l'inoubliable vieux du Chat,face à Simone Signoret. Jeune et beau, vieux et lourd, économe de gestes et de mots, même s'il roulait en bouche ceux qu'Audiard avait écrits pour lui, il fut surtout le grand, l'unique Jean Gabin, « monstre entre les monstres », qui pouvait tout jouer et malgré sa notoriété reconquise d'icône nationale, n'avait pas peur de jouer des personnages ambigus, voire antipathiques, comme le flic infiltré chez les trafiquants de drogue de l'excellent Razzia sur la chnouf (Henri Decoin,1955). Du témoignage même de ses partenaires hommes ou femmes, il était à la fois un pro accompli et pointilleux, mais passé un premier abord timide prenant une forme plutôt rugueuse, il était généreux dans les rapports de travail, ne rechignant pas à les mettre en valeur.

Jeune premier, il était un héros tragique dont le personnage mourait de mort violente ; il connut sa dernière mort par balles avant cinquante ans, dans un duel-règlement de comptes avec Lino Ventura à la fin de l'excellent film noir de Gilles Grangier Le Rouge est mis. Après cela, vieux indestructible, il sembla parvenir à une forme d'éternité où il est toujours. (À suivre)


« Être acteur c'est chouette, c'est bath[1] »

(Gab-2)

Gabin a beau dire dans une interview que le métier de comédien ne s'apprend pas, c'est un talent, une façon d'être soi en jouant les autres, on ne peut, à voir et revoir ses films, qu'être ébloui par la variété, la richesse de son jeu. Lorsqu'il se tait, son visage et tout son corps expriment. Même vu de dos, il « est » Gabin. Et puis - un peu plus encore quand, un embonpoint accru par l'amour de la bonne chère en bonne compagnie le freine - il fait tout lentement. Lorsqu'il se suicide à la fin de ce sublime mélo qu'est Le jour se lève (Marcel Carné, 1939), il est délibéré, lent, tranquille dans chacun de ses gestes.

« Comment ? »

Comment ce fils d'artistes (son père était artiste de music-hall et sa mère aussi avait été chanteuse « fantaisiste » de caf'conc') qui ne voulait pas faire de music-hall est-il devenu le bel ouvrier du cinéma français des années 1930, le truand idéal ou le flic ronchon des années 1950 et 1960, cet inoubliable homme d'un autre âge de La Horse ou du Chat ?

Comment ne pas prendre en sympathie un acteur vedette qui, contrairement à ce que Truffaut écrivait injustement, préférait que la caméra s'attarde sur le visage de ses (le plus souvent ravissantes) partenaires féminines ? « Elles me rendent plus beau de dos », dit-il un jour de sa voix bourrue, illustrant cette « absence d'ego », rare chez les acteurs, relatée par un des jeunes assistants de Georges Lautner alors qu'il tournait Le Pacha.

Comment ne pas avoir envie d'admirer une star toujours ponctuelle et qui poussait le professionnalisme jusqu'à assister au tournage des scènes auxquelles il ne participait pas ?

Comment ne pas admirer le courage d'un homme qui, en pleine guerre, approchant la quarantaine, réfugié dans le confort de Hollywood où il vivait une romance torride avec Marlene Dietrich, choisit d'arrêter le cinéma pour rejoindre de Gaulle et les Forces françaises libres à Londres ? Pas pour donner sa voix, comme le génial Pierre Dac, ce qui n'eût pas été si mal, mais pour se battre : tu parles d'un tournage ! Il finit la guerre comme canonnier, puis chef de char d'un régiment blindé de fusiliers marins. La guerre gagnée, il déclina l'honneur de défiler sur les Champs-Élysées avec son char, préférant les bras de la belle Marlene. Moins « m'as-tu vu », tu meurs.

Comment ne pas être impressionné par les capacités de réinvention de lui-même d'un acteur star à trente ans et qui, quelque peu éclipsé, se relance à l'approche de la cinquantaine et, le succès revenu, « sert » (« servir », un mot qu'il employait souvent) le cinéma dans la comédie, le film policier ou le drame avec une égale conviction ? Gabin ne cabotine pas quand, dans ses interviews, il mentionne son respect pour « le gars, là-haut, qui a payé sa place ».

Un monde sans Gabin ?

Deux jolis films récents[2] imaginaient, l'un, un monde sans Johnny, l'autre un monde sans les Beatles. Imaginons un instant un monde sans Gabin.

Si M. Ferdinand Moncorgé avait réellement connu un garagiste du côté de la place Pereire et, en 1922, lui avait confié son fils Jean, dix-huit ans, qui voguait alors de petit boulot en petit boulot, celui-ci serait-il devenu mécanicien auto et serait-il passé à côté de la plus belle carrière du cinéma français du xxe siècle ? Impossible à dire, of course. Toujours est-il que Ferdinand, artiste de music-hall et tenancier de café de son état, « piégea » son fainéant de fils[3] en l'emmenant aux Folies Bergère où il enchaîna les petits boulots, de la régie à la figuration, et devint Jean Gabin.

Petit garçon, il avait voulu suivre jusqu'à la ligne de front les pantalons rouges des soldats français pour devenir l'un d'entre eux ; soldat (Gueule d'amour, La Bandera),il le fut à l'écran - et déserteur (Le Quai des brumes),caïd à Alger (Pépé le Moko),ouvrier sableur (Le jour se lève), ingénieur, conducteur de locomotive (La Bête humaine), marin (Remorques) - sans oublier Ponce Pilate (dans le bizarroïde Golgotha de Duvivier où Harry Baur est Hérode et Robert Le Vigan Jésus). Tout cela au cours de sa première carrière seulement, celle qui, interrompue par la Seconde Guerre mondiale, l'amena à Hollywood où il tomba dans les bras de Marlene Dietrich, tourna (in english) quelques films oubliables avant de laisser tomber le cinoche pour s'engager aux côtés de De Gaulle dans les Forces françaises libres. Revenu au cinéma, il dut constater qu'il était trop tard pour retrouver la jeunesse de sa vie et de son image à l'écran. Avec ses cheveux blancs, il était à quarante ans un ex-jeune premier qui devait ramer pour devenir un jeune vieux prometteur. Il fallut s'accrocher. Lui qui n'avait été qu'aimé dans sa première vie cinématographique connut de relatifs échecs et essuya pour la première fois les vacheries de la critique. Il faudrait s'habituer, développer une vraie capacité d'indifférence qui lui serait bien utile lorsque, avec d'autres vieillissants « ci-devant » (metteurs en scène, acteurs, scénaristes) il devint une des têtes de Turc des jeunes loups de la Nouvelle Vague. Du camp des rebelles à la « vieille garde », on échangeait des horions, et les pisse-copie se régalaient ; pour créer le « buzz » comme on ne disait pas encore, un critique crut fin de titrer dans un article sur un film de La Patellière dont Gabin était la vedette : « Jean Gabin règle son compte à la Nouvelle Vague ». Ambiance. Dans ses interviews, Gabin dit qu'il s'en fout, de tout ça, ce qu'on raconte. Est-ce vrai ? Qui s'en fout vraiment, qui développe l'ultime capacité d'indifférence ? C'est sans doute à ça aussi qu'il pense quand il dit ailleurs qu'il aime le cinéma qui lui a tout donné, mais pas les à-côtés, la promotion, les voyages.

Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie

La phrase célèbre de Paul Valéry s'applique parfaitement à Gabin, qui avait beau avoir à l'écran des rôles de solitaire ou de rebelle, mais qui, hors sa famille, cultivait le culte de copains qui n'étaient pas une cour vouée à sa dévotion, mais de véritables amis - une « bande » qui, la journée de tournage finie, aimait à se retrouver pour un repas ou une virée - à condition que celle-ci ne l'emmenât point trop loin. « Passé la Loire, c'est l'aventure », dit-il un jour à son ami Gilles Grangier, qui a utilisé la phrase comme titre d'un merveilleux petit livre de souvenirs? La bande à Gabin comporte des visages qui nous sont familiers, ceux de Bernard Blier, Jean Lefebvre, Robert Dalban, Paul Frankeur ou André Pousse, auxquels à partir du Grisbi viendra s'adjoindre celui de Lino ; côté scénaristes c'est Albert Simonin, puis Michel Audiard, rencontré via Grangier et dont il se méfiait un peu au début, croyant avoir affaire à un fils de famille et qui devint un ami proche et - pour le meilleur et l'ordinaire - l'auteur de bon nombre de ses films à succès et de ses répliques cultes. (À suivre)



[1] Jean Gabin dans une interview.

[2] Jean-Philippe, de Laurent Tuel, avec Johnny Hallyday et Fabrice Luchini, 2006 et Yesterday, de Danny Boyle, avec Himesh Patel, Lily James et Ed Sheeran, 2019.

[3] Ah ! l'historique collection de tous ces cossards qui, selon leurs parents, suivaient le mauvais chemin et se préparaient une existence de honte (pour leur famille), d'échecs et de misère (pour eux-mêmes). À voir la liste des « ratés » annoncés qui se sont fait un nom, tout parent digne de ce nom cesserait instantanément de pousser ses enfants à bien travailler à l'école et de les féliciter pour leurs bons résultats. Les phrases « on ne fera jamais rien de toi » et « tu n'arriveras à rien » sont la matrice de bien des succès. Les ex-premiers de la classe qui ont réussi leur vie sont une poignée. Pour info j'ai été premier de ma classe ex aequo pendant l'année scolaire 1965-1966, en classe de 7e (CM 2 pour les modernes), mais ça n'a pas duré. Notre instituteur (à blouse blanche comme il se doit) s'appelait M. Genet et sous des dehors sévères il était la douceur même. Qu'est devenu mon condisciple ? j'ai oublié son nom - à l'époque déjà, j'étais plus enclin à devenir le pote des mauvais sujets, une tendance qui n'a fait que se renforcer par la suite?


DE QUOI GABIN EST-IL LE NOM ?

(Gab-1)

« Vive la vedette ! » est l'un des chapitres du Plaisir des yeux, un des deux livres d'essais critiques de Truffaut, et Gabin n'y a pas une ligne. Tout juste est-il cité dans Les Films de ma vie, à propos de La Grande Illusion - il est vrai que c'est de Renoir qu'il est question, un des rares intouchables du cinéma français. Dans un article d'Arts (1959) Truffaut y va carrément au bazooka : « Ce sont [Gabin et Gérard Philipe] des artistes trop dangereux qui décident du scénario ou le rectifient s'il ne leur plaît pas. Ils influencent la mise en scène, exigent des gros plans. Ils n'hésitent pas à sacrifier l'intérêt du film à ce qu'ils s'appellent leur standing et portent selon moi la responsabilité de nombreux échecs. » Lorsqu'un journaliste suisse lit cette phrase à Lino Ventura, le « fils spirituel » cinématographique de Gabin, son protégé, son ami, celui-ci entre dans une violente colère. Truffaut n'est pas plus clément dans le cadre privé de sa Correspondance. S'il fait référence, évoquant à son ami Lachenay sa propre situation de déserteur, au Quai des brumes de Marcel Carné, il n'en donne même pas le titre, mentionnant « ce film qui se passe au Havre ». Trente ans plus tard, conseillant un jeune auteur qui a, lui écrit-il, écrit « le meilleur scénario que j'aie lu depuis huit ans », il lui recommande de ne pas l'envoyer à Gabin, « qui n'y comprendrait rien ». Est-ce adouci par le temps ou arrondi par les succès qu'il conseille à Depardieu d'accepter de jouer dans Fort Saganne,« un rôle de militaire, comme Jean Gabin dans Gueule d'amour » ? Hors Renoir, aucun des autres rôles de Gabin ne trouvera grâce à ses yeux, hormis La Traversée de Paris, un des deux films de Claude Autant-Lara qu'il admire - avec réserve pourtant, car il classe avec un certain mépris ce metteur en scène complexe et ambigu dans la vaste caste du « cinéma français de qualité » qu'il voue aux gémonies - avec ses acteurs et scénaristes. Pour ne rien arranger, avec le temps Gabin est associé à Audiard, à ses mots d'auteur, ses répliques - et Truffaut déteste Audiard et tout ce qu'il représente, détestation que le scénariste des Tontons flingueurs lui rend bien.

Laissons le jeune Truffaut à ses règlements de comptes néo-vaguistes et revenons à notre « monstre ». Un cinéphile a appelé John Wayne le Jean Gabin du cinéma américain (ou Gabin le John Wayne du cinéma français, je ne sais plus). On comprend ce qu'il voulait dire, dans le sens où un acteur populaire en vient à incarner pour le grand public national l'image rêvée du spectateur - et Gabin jeune fut cela, de même, sur un mode différent, que Gabin vieux. L'homme à cheval qu'est John Wayne, le bel ouvrier, le soldat héroïque, le déserteur incarné par Gabin jeune, le flic qui ne lâche pas, le voyou avec un code d'honneur, le paysan obstiné joués par Gabin le Vieux, ce sont des Américains ou des Français en mieux. La comparaison entre les deux acteurs atteint vite ses limites.

John Wayne, cow-boy ou soldat, n'a jamais joué que « John Wayne » alors que Gabin a excellé dans des rôles d'une infinie variété, incarnant chacun de ses personnages tout en restant Gabin. Imagine-t-on John Wayne en artiste, en homme politique, en clodo, en cheminot ? Gabin et Wayne sont l'un et l'autre des icônes, des « monstres sacrés », mais Gabin est un comédien beaucoup plus accompli. (À suivre)


Pratique de liberté

Non, ceci n'est pas une discussion sur ce que certains appellent la "dictature macronienne" - pass vaccinal, affaiblissement du Parlement, refus du débat.

N'ayant pas vécu sous une dictature au sens traditionnel du terme, je n'ai pas de point de comparaison me permettant de former un jugement personnel sur ces questions. Je constate seulement qu'en ces temps d'élections, nous vivons dans un pays où chaque citoyen a l'occasion de donner sa voix à celui ou celle des candidats lui paraissant représenter au mieux ( ou au moins mal) ses valeurs - sens de la liberté compris. Ce choix est-il réellement « libre » ou conditionné plus ou moins clairement par les médias et une pression idéologique sournoise ? Question épineuse à laquelle je me garderai de proposer une réponse - même la plus timide.

Quant à la liberté, le très regretté Tzvetan Todorov notait déjà que par l'Europe et le monde, les groupes politiques estampillés « liberté » étaient le plus souvent d'extrême droite. En France aujourd'hui, combien jugent des atteintes à la liberté, les barrières morales et politiques à l'expression du racisme, de l'antisémitisme et de l'homophobie ? « On n'a plus le droit de rien dire » est trop souvent le mantra des intolérants et des xénophobes de tout poil.

Je n'ai donc pas la prétention de savoir ce qu'est  la «  liberté », mais je ressens une joie particulière lorsqu'il me semble en découvrir une forme nouvelle. Assister il y a quelques soirs au spectacle du groupe marocain Kabareh Cheikhats a été un de ces moments de découverte jubilatoire.

Dans le Cabaret Sauvage occupé par ce Kabareh venu de Casablanca, il y a tout ce qu'exècrent Mme Le Pen et M. Zemmour : des Franco-marocains passant du français à l'arabe et retour, des « barbus », des jeunes femmes dont les cheveux sont recouverts d'un foulard - ce symbole « d'oppression » vilipendé par les frontistes old style et new school. Il y a aussi des Français « souchiens », comme moi, des vieux, des jeunes, parfois très jeunes. Surtout, sur scène il y a Ghassane et son groupe : des barbus, oui, mais maquillés, portant robes et perruques et chantant un répertoire de femmes, les cheikhats, ces chanteuses marocaines populaires qui ont chanté l'amour, mais aussi la résistance à la colonisation française.

Ce groupe de chanteurs et musiciens (ils sont douze, mais seuls dix ont fait le voyage de Paris - va savoir pourquoi, dans sa grande sagesse, l'administration a refusé deux visa ), est souvent présenté comme un groupe folklorique « transgenre » - ambiance Alcazar ou Paradis Latin. Rien contre, mais avec ces termes réducteurs on est loin du compte. Si oud, tambours et tambourins sont folkloriques, oui ils le sont. Si un homme habillé en femme est « transgenre », oui, ils le sont. Quand on écoute, c'est plus subtil :  leurs musiques puisent aux sources diverses (arabes, juives, andalouses) de la culture marocaine. Et s'ils sont provocateurs dans le Maroc contemporain, peu réputé pour son atmosphère de liberté, oui ils assument ce choix, quitte à subir quelques insultes. La légende de ces « cheikhats » a marqué leur adolescence : en chantant leurs chansons, en les dansant, ils expriment un choix artistique et politique qui va bien au-delà de la provoc' et dépasse le cadre marocain. On ressent leur plaisir parfois malicieux et leur joie communicative à incarner ces femmes, poétesse, résistantes, divas, objets d'opprobre sous le protectorat français et qui pour beaucoup sentent encore le soufre aujourd'hui ; en les magnifiant, ces jeunes gens aussi talentueux qu'audacieux redonnent vie à des traditions théâtrales anciennes dans différentes cultures - le théâtre élisabéthain anglais, le No ou le Kabuki japonais, le théâtre classique et l'opéra chinois. Ce travestissement existe aussi depuis longtemps au Maroc et en rendant hommage à ces femmes, ces hommes n'obéissent pas tant à un esprit de provocation qu'à la liberté de la perpétuelle réinvention des cultures. Ghassane, entre deux chansons, blague, parle politique ou religion (prudemment, mais librement dans les deux cas - puis après une brève introduction, il se lance dans un long poème lyrique - transe et danse. Ils chantent ces cheikhats ignorées - ils chantent les femmes de nos vies, les femmes qui vivent en nous depuis bien avant nous. Il y a de quoi rire et pleurer, de quoi danser au long des longues nuits. Ensemble de qualité professionnelle, le Kabareh est composé d'amateurs passionnés qui se débrouillent pour gagner leur vie à côté - la recette d'un spectacle sert à faire la fête. Tradition pour tradition, le Kabareh n'est pas seulement un groupe folklorique : ces musiciens sont aussi des comédiens qui jouent Shakespeare (en arabe).

Avis aux amis américains : ils entament ces jours-ci une tournée américaine : début le 6 avril au Poe's Pub de New York, le 8 au Contemporary Arts Center de Cincinatti, le 9 au Spotlite de Detroit, puis le 11 à la Old Music School de Chicago. Sinon j'espère que lors de leur prochain passage en France ils pourront tous avoir leur visa. Pour les voir dans leur contexte familier, rendez-vous au Vertigo, un club mythique de Casablanca, qu'on n'ose pas appeler leur « port d'attache », mais qui est leur lieu de liberté première.

 

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Instagram : kabarehcheikhats

 

 

 


NOIR C'EST NOIR

Henri-Georges Clouzot et Jean-Pierre Grumbach, dit Melville, sont deux « cas » du cinéma français ; si l'aîné (Clouzot) commence à tourner avant-guerre et le cadet juste après, ils débutent l'un comme l'autre en noir et blanc et restent des maîtres du « noir » même lorsqu'ils passent à la couleur ; ce sont l'un et l'autre des marginaux que le « système » ne rejette pas et qui exercent une influence stylistique au-delà de nos frontières ; l'un et l'autre suivent leur chemin ; l'un et l'autre sont des auteurs qui, sans vendre leur âme pour obtenir le succès, l'ont souvent trouvé. L'un et l'autre sont réputés pour leur caractère difficile, leurs relations souvent tendues avec les acteurs, leur exigence, leur nature obsessionnelle, voire « paranoïaque » (ainsi François Truffaut qualifie-t-il Jean-Pierre Melville dans une lettre).

Suivez le guide

Puisque Truffaut est un peu mon guide dans le passé du cinéma français, j'ai été chercher ce qu'il disait de ces deux loups solitaires dans sa Correspondance et dans ses deux volumes publiés de critiques. Un seul article sur un film de Clouzot, Le Mystère Picasso, aucun sur Melville, au sujet de qui les mentions dans les lettres sont en général peu amènes, notamment parce que Truffaut a pris la défense de Jean-Luc Godard, jugeant que Melville s'était mal comporté avec son ami qui lui avait offert un (petit) rôle dans À bout de souffle et, surtout, l'avait aidé à monter Léon Morin, prêtre. Truffaut se laisse-t-il dominer par le caractère antipathique, jaloux, àl'occasion odieux de Melville, ou bien n'a-t-il pas vu l'intérêt, l'influence mondiale des films de son aîné ? Ce ne peut être de la jalousie de sa part, car c'est un sentiment qu'on ne décèle jamais chez lui, en tout cas dans ses écrits - et en plus ses propres films noirs sont avant tout des films de Truffaut.

Lors d'un procès en diffamation intenté en 1962 par Roger Vadim à Truffaut, si les « néo-vaguistes » se sont séparés en deux camps - Malle pour Vadim, Godard et Chabrol pour Truffaut -, Melville, qui n'est d'aucun « camp » identifié, s'est rangé du côté de l'auteur des Quatre Cents Coups.

Au-delà de cette comédie judiciaire très parisienne, si j'en crois les biographes de Truffaut, les deux hommes avaient assez de sympathie mutuelle pour déambuler ensemble sur les Champs-Élysées. La relation qu'en donne Philippe Labro, l'écrivain-cinéaste-patron de RTL, ami et « fils spirituel » de Melville, est aussi peu sympathique pour l'un que pour l'autre. « Je me vois en train de descendre les Champs-Élysées avec François Truffaut me disant : ?Méfiez-vous de Louis Malle, c'est un arriviste !? Et je me vois les remonter sur le trottoir d'en face avec Louis Malle me disant : ?Méfiez-vous de Truffaut, c'est un arriviste !? » L'anecdote en dit au moins autant sur celui qui la rapporte que sur les deux cinéastes. C'est pourtant Melville que Truffaut choisit pour se confier une nuit entière après l'échec de la production française de Fahrenheit 451. Drôle de choix, même si c'est au cours d'une soirée chez Melville qu'il a entendu parler du roman de Ray Bradbury pour la première fois. Les discussions sur le cinéma devaient être vives, car s'ils partageaient une passion pour le cinéma américain, ce n'était pas le même : ainsi de Johnny Guitar, le film de Nicholas Ray, que Truffaut adorait et que Melville tenait, selon le jeune Bertrand Tavernier qui l'avait emmené le voir, pour un film exécrable, un des pires de tous les temps.

D'après ce que l'on sait d'eux, il est difficile d'imaginer deux êtres plus différents - et mal accordés - par le goût et le tempérament. Dans l'intimité, on sait qu'ils peuvent être l'un et l'autre séduisants, charmeurs, amicaux. En public c'est autre chose car leurs styles, pour effacer un physique qui ne leur plaît pas, sont opposés : Truffaut se cache derrière sa timidité, sa politesse presque excessive, un voussoiement systématique ; Melville a trouvé son costume américain, Stetson et Ray-Ban pour dissimuler sa calvitie, ses yeux globuleux et ses joues tombantes. Sur un tournage, ils sont aussi nerveux l'un que l'autre mais autant qu'on sache, Truffaut ne pique pas de « crises » alors que celles de Melville deviennent vite légendaires - point commun avec Clouzot à qui Truffaut reprochera l'atmosphère de « terreur » qui règne sur ses plateaux de tournage.

Pour Clouzot, c'est autre chose mais assez compliqué aussi ; dans une lettre de jeunesse à son grand ami Lachenay, Truffaut dit avoir vu Le Corbeau treize fois ; certes c'est encore loin de La Règle du jeu (quarante-deux fois) ou même du Roman d'un tricheur de Sacha Guitry, qu'il a dû voir à une trentaine de reprises, mais cela signifie que le chef-d'oeuvre de 1943 l'a marqué. Dans une lettre à Clouzot de 1964, il exprime son admiration pour deux autres de ses oeuvres maîtresses, Quai des Orfèvres et Le Salaire de la peur, et lui rappelle qu'à treize ans il connaissait les dialogues du Corbeau parcoeur. On sait Truffaut mauvais élève, et turbulent, mais quand il s'agissait de cinéma, comme de littérature, il était d'un sérieux absolu. Son admiration pour le film n'a pas diminué avec le temps : l'ayant revu une fois de plus, il adresse ces mots à Clouzot : « c'est un chef-d'oeuvre, il n'a pas bougé, c'est un film parfait et profond, et sensible et fort ». Il qualifie La Vérité de « film important ». Se disant dans une autre lettre incapable de filmer les rapports de force entre les hommes (« peut-être parce que je suis fils unique »), il s'avoue « bon spectateur », « épaté » devant les films de Clouzot ou Polanski.

Tout cela - et même le fait de l'avoir qualifié, avec René Clément, d'« intouchable » dans la catégorie honnie du « cinéma de qualité française », ne l'empêchera pas de le flinguer avec un humour cruel à la sortie des Espions - loin d'être son meilleur, il est vrai : « Avec Les Espions,écrit Truffaut,Clouzot a fait Kafka dans saculotte , formule qui en sept mots suffit à rendre compte parfaitement de la portée exacte de l'entreprise. ».

Quelques mois avant sa mort, il écrit pourtant une lettre chaleureuse à Clouzot, à qui le lie ce qu'il n'ose pas appeler une amitié mais qui lui ressemble fort, pour l'encourager à tourner encore. C'est Truffaut à son meilleur, laissant parler la sincérité de l'admiration avec les simples mots du coeur. Quittons un instant le guide Truffaut pour introduire les trajectoires de ces deux enfants terribles.

Deux marginaux, deux pros

Clouzot a fait ses (interminables) classes en étant longtemps assistant ; Melville s'est lancé sans expérience préalable dans son premier long métrage. Malgré ces différences, l'un et l'autre acquièrent la réputation d'être des techniciens consommés, des maîtres, une aura enrichie par leur caractère difficile et leur look de mecs à qui on ne la fait pas ; ils connaissent parfaitement leur métier et imposent leurs vues et leurs ambitions innovatrices à leurs techniciens. Ils savent obtenir ce qu'ils veulent, ils ne comprennent pas la phrase « ce n'est pas possible » et l'affrontement ne leur fait pas peur, au contraire. S'il faut charmer, ils charment et s'il faut flinguer, ils flinguent. Ce qui compte, c'est le résultat.

Ils ne sont ni l'un ni l'autre des « idéologues » et, sans comporter de message particulier, leurs films mettent en scène de façon moderne le tragique de la condition humaine. L'humanité, c'est d'abord les hommes. Là où Doinel/Truffaut disait et répétait « les femmes sont magiques », chez eux, le plus souvent, les femmes sont des présences, des silhouettes, des corps démembrés comme dans un tableau de Dalí ou de Picasso : bouches, seins, jambes, fesses?

Cherchez la femme

À un petit nombre d'exceptions près, quoique très notables, Melville et Clouzot sont des hommes réalisant des « films d'hommes » où les rôles de femmes sont rarement majeurs.

Les premiers films de Melville comportent deux beaux rôles de femmes : la nièce du Silence de la mer, dont Nicole Stéphane incarne à merveille la douceur obstinée, est le visage de ce silence que des êtres simples opposent à l'occupant. C'est un peu ennuyeux, très digne, l'atmosphère et la lenteur sont « bressoniennes », des débuts pour le moins surprenants pour un cinéaste qui deviendra obsédé par l'idée de se mesurer au box-office avec les maîtres du film populaire français des années 1960, Henri Verneuil et Gérard Oury. Dès Le Silence, malgré ses défauts, on découvre le noir et blanc à la Melville - en réalité, un noir, blanc, gris. Ce sera moins convaincant quand Melville passera de l'austérité de Vercors au lyrisme poétique de Cocteau pour Les Enfants terribles, film bizarre qui n'est ni vraiment Melville tel qu'on va le découvrir, ni vraiment Cocteau ; le rôle de la même Nicole Stéphane y apparaît artificiel et son jeu, forcé. Passons sur un bizarre film de commande, Quand tu liras cette lettre : certes, on est content d'y voir la très belle Juliette Gréco mais son rôle n'est pas plus épais ou crédible que celui de l'oubliée qui joue sa soeur. Pour être juste,  le rôle de la star masculine Philippe Lemaire, un beau gosse qui n'a pour lui que sa beaugossité un peu rugueuse et voyoute, n'est pas beaucoup plus  passionnant, ni même consistant. Si on ne le savait déjà, ce qui intéresse Melville, ce n'est pas de créer des personnages, mais des silhouettes. Exception sera faite pour Emmanuelle Riva, à qui dans Hiroshima mon amour Alain Resnais imposait un style emphatique terriblement démodé : sa sobriété et la sauvage retenue de sa sensualité dans Léon Morin, prêtre sont merveilleusement crédibles et touchantesface à Belmondo, le cureton le plus diaboliquement sexy de l'histoire du cinéma français, même si le jeune Huster est acceptable - et même pas mal - dans l'étonnante adaptation par Georges Franju de La Faute de l'abbé Mouret. Dans le premier des deux films américains de Melville, l'improbable Deux hommes dans Manhattan, le scénario est mince et invraisemblable, pur prétexte à tourner en partie à New York ; les femmes sont réduites à des types, elles n'ont pas plus d'épaisseur que des strip-teaseuses saisies une fraction de seconde par un projecteur sur la scène d'un night-club : elles apparaissent, font le job et s'effacent aussitôt. Il en sera de même avec L'Aîné des Ferchaux, le deuxième film américain bien meilleur d'ailleurs (comment se rater avec une histoire adaptée de Simenon ? Peu de metteurs en scène, même médiocres, ont réussi cet exploit) : les femmes y sont des poupées ou des ombres et la caméra du cinéaste ne se concentre que sur les deux hommes - deux beaux rôles pour le génial Charles Vanel (soyons clairs : quoi qu'il joue, même dans les pires navets, Vanel est génial - etencore meilleur quand le film est bon) et le jeune Belmondo, épatant lui aussi comme toujours.

Se réduisant le plus souvent à de longues jambes en bas noirs et à des poitrines serrées dans des chemisiers à paillettes, les femmes des films postérieurs de Melville sont nettement moins intéressantes ; à peine plus consistantes, traîtreuses ou complices, elles servent vite fait de « Bond girls » à Belmondo ou à Delon : ce sont ces deux mâles que la caméra de Melville caresse à n'en plus finir, long coïtus homoérotique interruptus par la mort inéluctable du bel homme. Une exception dans les Melville tardifs est le beau personnage de Mathilde, dans L'Armée des ombres, interprété par une Simone Signoret déjàépaissie mais toujoursbelle femme et grande actrice. Le rôle n'est pas aussi puissant ni aussi développé qu'il pourrait l'être mais elle est une présence impressionnante - et elle meurt très bien (ça y est, je l'ai dit). Elle est la dernière femme notable de la filmo de Melville, dont les derniers films sont 100 % des films d'hommes où passent quelques jolies donzelles, qui se contentent d'être un peu salopes ou de se sacrifier - ou l'un et l'autre. Même avec l'alors sublime Catherine Deneuve, à qui Truffaut a donné de si beaux rôles, Melville ne prend pas la peine de créer un personnage vaguement intéressant. Chassez le naturel macho, il revient au pas, au trot, au galop. Un peu à la manière du personnage de Bourvil dans Le Cercle rouge, Melville préfère leschats.

Les femmes de sa vie

Même s'il n'en a pas eu cinq, comme Guitry, mais « seulement trois », les femmes ont beaucoup occupé la vie et le cinéma de Clouzot. Les femmes du cinéma de Clouzot, ce sont d'abord les femmes de Clouzot : sa première compagne Suzy Delair est la partenaire de Pierre Fresnay dans son premier film, le troublant et distrayant L'assassin habite au 21. Après la guerre, elle est à nouveau la vedette féminine de Quai des Orfèvres. Sa présence est virevoltante et sa voix, agaçante (à mes oreilles) quand elle parle, prend son vrai charme quand elle entonne Avec son tralala, son petit tralala. Elle faisait tourner toutes les têtes. Entre deux films avec Suzy en vedette féminine, Clouzot a offert un rôle trouble et superbe - son plus beau sans doute - à Ginette Leclerc dans Le Corbeau. Passons sur Le Retour de Jean, le short réalisé par Clouzot dans le pontifiant ensemble du film à sketches Retour à la vie. Entouré par deux tâcherons, MM. André Cayatte, et Georges Lampin, Clouzot se met presque à leur niveau et Louis Jouvet y est à son pire ; la scène où une femme facile s'offre à lui est nulle - et insupportable la grande scène où, ayant offert assistance à un Allemand  blessé en fuite, il découvre que celui-ci a été un tortionnaire et lui fait la leçon. Le message, même dans sa partie « bizotesque » (pour devenir un bourreau, un homme n'a pas besoin d'être un monstre, un homme ordinaire suffit) sur le fond, est délivré sous une forme ampoulée à la limite du tolérable et complété par un addendum qui le vide de tout sens quand le personnage de Jouvet affirme que lui ne torturerait pas, jamais. Mais je m'égare (de l'Est) comme toujours, j'en étais aux femmes.

La deuxième épouse de Clouzot, Véra, est le grand amour de sa vie - il faut d'ailleurs un regard amoureux pour lui voir un grand talent : elle passe en rôle secondaire dans Le Salaire de la peur - elle est limitée mais acceptable dans Les Diaboliques où Signoret mange l'écran ; potable dans Les Espions où, occupée à exploser des oreillers dans des crises de panique, elle a peu l'occasion d'ouvrir la bouche ; après la mort de Véra, et avec l'affirmation de ses angoisses catholiques, le péché est de plus en plus au centre des obsessions du réalisateur. Son pendant, la jalousie, est le sentiment qui dévore Serge Reggiani et Bernard Fresson, les partenaires masculins de Romy Schneider dans L'Enfer et d'Élisabeth Wiener dans le dernier film du réalisateur, La Prisonnière.

Aux enfers du « grand film »

Clouzot comme Melville ont un « grand projet » qui rencontre d'extraordinaires difficultés. Si Melville réussit à mettre sur pied son Armée des ombres, considéré comme « le meilleur film français sur l'Occupation et la Résistance », celui-ci ne connaîtra pas le succès espéré par son auteur ; quant à Clouzot, il ne mènera jamais à terme son très ambitieux Enfer dont il n'est resté que des bribes muettes, dont le courageux Serge Bromberg alla tenter d'obtenir les droits auprès de la dernière Mme Clouzot qui, per fortuna, n'était pas actrice, mais seulement catholique - et courtoise. Elle lui avait refusé ce qu'elle avait refusé à d'autres - non sa vertu, sans doute imprenable et que d'ailleurs il ne réclamait pas. Sans une providentielle panne d'ascenseur les choses en seraient restées là. Mais en homme obstiné il mit à profit quelques minutes d'intimité forcée pour convaincre la récalcitrante. Le montage qu'il en a tiré n'est pas le film (dont un remake que je n'ai pas vu a été tiré par Claude Chabrol à partir du scénario), mais on peut avoir des doutes sur le devenir de ce film. Les causes officielles de l'interruption du tournage sont les maladies (celle de Reggiani, que Jean-Louis Trintignant refusera de remplacer au pied levé, puis celle Clouzot lui-même, mais en suivant le montage réalisé par Serge Bromberg, qui alterne les séquences muettes sauvées du tournage, quelques scènes tournées (avec Bérénice Bejo dans le rôle de Romy et Jacques Gamblin dans celui de Reggiani) en suivant le script, et des interviews des acteurs ou techniciens survivants, on pénètre dans le monde d'un homme à l'ambition démente, et qui perd les pédales. Le récit même du tournage tel qu'on pourrait le reconstituer porterait le même titre que le film, mais pour d'autres raisons : sauf pour quelques bricoleurs qui sur instructions de Clouzot, fanatique d'art moderne, s'amusaient à inventer des machines cinétiques permettant de colorer les lèvres ou la langue de Romy Schneider dans toutes les couleurs, c'était l'enfer. Enfer pour les acteurs - Romy devait tirer la langue des centaines de fois, Reggiani, qui n'est pas Belmondo, devait reprendre jusqu'à l'épuisement des courses sur une route de montagne. Dommage d'avoir, pour les martyriser, choisi la plus belle actrice du cinéma européen d'après-guerre et l'un de ses meilleurs acteurs, Serge Reggiani, dont la carrière, débutée en 1938 et s'étalant sur soixante ans, comprend quelques-uns des plus beaux rôles du cinéma français. Surfant sur ses succès internationaux, Clouzot avait mis en route une superproduction financée par la Columbia. Son lieu de tournage principal était un lac appartenant à EDF en contrebas du viaduc de Garabit, dans un décor naturel grandiose. En raison de la construction d'un barrage, le lac était appelé à disparaître, ce qui donnait un temps de tournage de quelques semaines au cinéaste, animé de l'ambition de réaliser un film révolutionnaire et total mais handicapé par des problèmes cardiaques chroniques qui avaient effrayé ses commanditaires, il en tira argument pour exiger non pas une équipe de tournage, pas deux, mais trois. Au lieu d'une efficacité supplémentaire, le résultat fut de perturber profondément les techniciens des équipes 2 et 3 qui n'avaient pas d'idée de ce que ceux de la 1 faisaient avec le patron et attendaient, préparaient, préparaient pendant des heures tandis que Clouzot faisait inlassablement des prises de la même scène. Si l'on ajoute qu'insomniaque, Clouzot réveillait ses différents assistants à trois heures du matin pour avoir leur avis sur sa dernière trouvaille, on obtient la recette d'un désastre.

Le message c'est qu'il n'y a pas de message

Que disent leurs films ? À proprement parler, rien et si l'on en juge à la faiblesse du seul film à message de Clouzot, mentionné au début de ce texte, ça vaut mieux comme ça. En apparence ils racontent et n'offrent ni propos politique ou moral (sauf peut-être dans L'Armée des ombres ou Le Silence de la mer), ni leçon. La psychologie des personnages de Melville est rudimentaire, c'est leur silhouette qui compte, et la lumière qui les éclaire ou les laisse dans l'ombre en dit parfois plus que les paroles qu'ils prononcent. Dans les meilleurs Clouzot,  la psychologie est plus complexe, même chez certains personnages secondaires ; ce sont eux qui contribuent à créer l'atmosphère particulière de la pension où le crime de l'Assassin habite au 21 a lieu, eux qui donnent vie au Corbeau ou à son Quai des Orfèvres ; de même dans La Vérité,  le rôle de Marie-José Nat, soeur jalouse et frustrée n'est pas éclipsé par Brigitte Bardot, alors au summum de sa beauté. Pour le coup c'est le personnage de l'amant assassiné, pourtant joué avec une belle ambiguïté par Sami Frey, qui apparaît falot, tandis que le duel judiciaire de l'avocat général et de l'avocat nous réserve quelques morceaux de bravoure de ces deux grands acteurs que sont Paul Meurisse et Charles Vanel. A son déclin Clouzot sera moins heureux, réduisant peu à peu ses personnages à des types, même quand ils sont incarnés par d'excellents comédiens.  Les femmes deviennent coquines (Dany Carel dans l'Enfer mais aussi la Prisonnière) objets de fantasmes ( Elizabeth Wiener dans la Prisonnière, Romy Schneider dans l'Enfer),  les hommes des jaloux (Reggiani dans l'Enfer,  Bernard Fresson dans la Prisonnière) ou des pervers ( Laurent Terzieff dans la Prisonnière)

Marginaux et passeurs

Leur aura s'étend au-delà du cinéma français, où ils représentent de façon très personnelle une passerelle entre les « classiques » et la Nouvelle Vague : Clouzot connaîtra plusieurs succès mondiaux et l'influence de Melville s'exerce aux États-Unis (Tarantino) et jusqu'en Asie, où de jeunes réalisateurs japonais ou hongkongais (Johnnie To) sont profondément marqués par son style.

Les rôles de leurs vies

S'ils ont leurs acteurs fétiches, dans les rôles principaux ou secondaires, ils savent les sortir de leur « zone de confort » pour donner des rôles inattendus à des « monstres sacrés » : les trois rôles que Melville confie à Belmondo sont très à part dans la riche filmographie de notre « Bébel » national, ceux de Delon parmi les plus marquants de sa carrière ; la Bardot de La Vérité de Clouzot est loin des films de Vadim, les deux films que Melville tourne avec Ventura changent Lino des rôles qui l'ont rendu célèbre, même si les deux hommes en sortiront fâchés au point de ne plus se parler ; le Bourvil du Cercle rouge, le dernier rôle de ce grand acteur, est aux antipodes des comédies qui l'ont rendu célèbre. Pour Clouzot, les deux rôles qu'il donne à Pierre Fresnay sont à part - et mémorables - dans la carrière de ce grand acteur, il rend Montand acceptable, et même bon dans Le Salaire de la peur, film où le grand Charles Vanel est inoubliable. Loin de ses emplois dans ses films à succès du Monocle, Paul Meurisse est superbe chez Clouzot (Les Diaboliques et La Vérité) comme chez Melville (Le Deuxième Souffle). Héroïne chez Melville, criminelle chez Clouzot, la Simone Signoret vieillissante met à leur service toute sa puissance et sa justesse de grande actrice, dont le sommet sera atteint dans deux des meilleurs films de ce magnifique et sous-estimé cinéaste qu'était Pierre Granier-Deferre : je cite souvent Le Chat et La Veuve Couderc car ce sont des films qui vous happent et ne vous lâchent plus de la vie.

L'habit fait le moine

Même s'il les secoue, les perturbe, leur crie dessus ou les irrite au point que certains menacent de quitter le tournage en cours, Melville choisit ses acteurs parce qu'il leur fait confiance. Il passe plus de temps à les habiller qu'à leur expliquer leur rôle. Ayant enfilé sa soutane seyante, Belmondo sera prêtre ; un galure et un imper sur le râble, le voici transformé en voyou et balance (Le Doulos) ; un imper et son chapeau sur la tête, Delon sera un tueur (Le Samouraï) ; autre chapeau, autre imper pour Bourvil afin d'en faire un vieux cheval  de  flic (Le Cercle rouge).

Et à la fin?

Rares dans leurs films sont les happy ends ; même les happy ends des premiers Clouzot sont tout relatifs car la tonalité reste sombre : on a trop baigné dans la boue de l'ambiance du Corbeau pour se laisser vraiment attendrir par la révélation de l'innocence de Denise (superbe Ginette Leclerc) et de l'amour naissant entre elle et le docteur Germain (Pierre Fresnay). Quant à L'assassin et à Quai des Orfèvres, malgré le ton enjoué des dialogues et le rythme, l'impression dominante reste celle du noir des ruelles de Montmartre, celui des façades d'immeubles fatigués, des corridors et des cages d'escalier où tant de scènes se déroulent. Tentative de happy end à la peu  convaincante comédie  Miquette et sa mère mais décidément « ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants », c'est pas le truc de Clouzot.

Dans les films noirs de Melville, peu nombreux sont ceuxoù la mort est épargnée à son personnage principal. Clouzot est plus varié : quand il y a meurtre, on n'y assiste pas toujours et le cinéaste, réputé pour sa maîtrise du scénario, sait nous piéger, comme dans Les Diaboliques, où nous croyons voir un meurtre quand il s'agit d'un piège, piège tendu à l'épouse par le mari et l'amante, piège tendu par le réalisateur au spectateur. On pourrait, par cuistrerie de pseudo-cinéphile ou aux fins du seul divertissement, prétendre ceci : en scénarisant la mise en scène d'un « faux meurtre », que le film finit par démonter, Clouzot procède à une interrogation de ce qu'est le cinéma, comme s'il disait : vous savez bien que ce que vous croyez voir n'existe pas, tout ça c'est du chiqué, du cinéma. C'est Rashômon : pas plus que celui d'un homme, le vrai d'une caméra n'est la Vérité. Toutes ces vues dumonde, trompeuses, incertaines jusque dans leur sincérité, ne sont que des fragments subjectifs, éclatés, du monde. Dans la Nouvelle Vague et à sa suite, ce thème sera poussé, rabâché parfois, avec davantage de lourdeur.

Deux possédés

De leur mauvais caractère, de leur habitude de maltraiter leurs équipes techniques et leurs comédiens, aucune conclusion particulière à tirer : nombreux sont les metteurs en scène réputés difficiles  à tort (Welles) ou à raison ( Julien Duvivier). Même sur ce point les témoignages ne concordent pas toujours, montrant plutôt deux hommes obsédés, possédés par leur travail et imposant à tous leur niveau d'exigence avec plus ou moins de brutalité. Mon ami l'écrivain, scénariste et cinéaste José Giovanni avait gardé un exécrable souvenir de sa collaboration unique avec Melville (pour Le Deuxième Souffle, tiré d'un de ses romans) ; dans un documentaire consacré à Melville, après avoir rapporté un mauvais traitement inutile infligé par l'homme au Stetson (il faisait partie de ces hommes qui ont besoin de se déguiser pour être sûrs qu'ils existent - peut-être parce qu'il se trouvait laid), il a cette phrase terrible : « En réalité, il voulait être seul. »

Peut-être est-ce le dernier mot sur ces deux « cas » en quête de la mythique « baleine noire » qui habitait les eaux profondes de leurs fantasmes et de leurs peurs. Ils voulaient être seuls. Et maintenant ils nous laissent seuls avec leurs films : nous n'avons été ni maltraités ni injuriés par leurs réalisateurs - et il nous reste le meilleur : la chance de les voir et, pour certains, de les revoir.

So long, gents !

PS.

Désolé de ne pas avoir pris le temps de faire plus court  - près de deux mois entre les premières lignes et la rédaction finale, ça semble long mais ça passe vite.

 

Références

Une fois de plus j'ai puisé dans la Correspondance de Truffaut et dans ses deux volumes de critiques (Les Films de ma vie et Le Plaisir des yeux, chez Flammarion, collection « Champs »), ainsi que dans la monumentale biographie de Serge Toubiana et Antoine de Baecque (collection « Folio », Gallimard) dont l'index complet et minutieusement établi est particulièrement facile à utiliser.

Pour les films de mes deux monstres, ils sont tous disponibles en DVD. En VOD aussi je suppose, mais j'ai eu la flemme de chercher - déjà que j'ai mis un mois à écrire ce que vous venez de lire, je vais pas me lancer dans des recherches complémentaires : follohoueurs, follohoueuses je vous le dis : je vous aime, mais  dé-mer-dez-vous !


TOUT EST BIEN QUI FINIT MAL

Trois « cas » du cinéma français :

1 : Jean Grémillon, ou tout est bien qui finit mal

En cette fin d'année, les éditeurs de DVD proposent leurs coffrets. Pourquoi pas ? Pour moi qui n'ai à vendre, je vais revenir en deux posts sur des cinéastes bien différents,  mais dont je vois ou revois les films avec intérêt, plaisir, fascination parfois, trois outsiders,trois, solitaires, trois inclassables, trois cas : Jean Grémillon ouvre la marche et il sera suivi d'Henri-Georges Clouzot et Jean-Pierre Melville, que j'ai « mariés » sans leur accord pour un post spécial « film noir ».

Dans sa Correspondance, François Truffaut ne cite Jean Grémillon qu'une seule fois, en passant, dans une short list de metteurs en scène français pour lesquels il a peu de considération. Pas un Grémillon dans Les Films de ma vie, où figurent pourtant deux films d'Autant-Lara, d'ailleurs excellents, La Traversée de Paris et En cas de malheur. Comment un cinéaste à l'oeil aussi aiguisé que le jeune Truffaut a-t-il pu passer à côté de Gueule d'amour,  L'Étrange Monsieur Victor, de Remorques, de Lumière d'été ou de Pattes blanches ? Je ne mentionne pas Le Ciel est à vous, avec le génial Charles Vanel, souvent cité comme un de ses plus grands films, parce que je ne l'ai jamais vu alors que j'ai vu (presque) tous les autres, y compris son premier, Maldone, un muet de 1928 où le rôle masculin principal est tenu par Charles Dullin, une des figures  légendaires du théâtre français, ami du jeune Grémillon et d'ailleurs producteur du film : Charles Dullin.

Je suis surpris et un peu déçu par cette ignorance de mon cher François, qui pouvait être aussi généreux dans ses jugements, quand il aimait, que cruel, quand il n'aimait pas. Comment n'a-t-il pas ressenti que bon nombre de leurs préoccupations étaient communes, y compris une dimension mystique présente chez Grémillon du début à la fin - et qui ne s'exprime que tardivement chez Truffaut (dans la Chambre verte) ? Comment n'a-t-il pas vu que Grémillon, à part quelques films de commande, c'était du putain de cinéma ?

D'abord il y a chez Grémillon cette double focale que l'on trouve chez quelques-uns seulement des plus grands, comme Kurosawa, John Ford ou Jean Renoir à son meilleur : sa caméra nous découvre un espace large, un paysage vaste, mais elle sait aussi traquer la lumière grise d'un intérieur, l'inquiétude ou les tourments d'un visage humain. Sauf de rares exceptions, le cinéaste est aussi à l'aise dans les scènes d'intérieur que dans la rue ou au grand large, dans les scènes d'intimité entre deux personnages que dans les scènes d'action. Pour les bagarres, c'est pas John Ford, mais les tempêtes de Remorques ou de L'Amour d'une femme sont convaincantes ; l'opération chirurgicale menée en urgence par Marie Prieur (Micheline Presle) dans un phare vers la fin de ce même film est à la fois d'un réalisme digne d'Urgences et chargée d'un sens symbolique puissant .

L'engagement d'un dégagé

Même si Grémillon est classé « à gauche », son angle politico-social n'est pas bêtement « antibourgeois ». Il montre avec autant de sympathie et de compréhension des châtelains (Paul Bernard dans Lumière d'été puis dans Pattes blanches), des boutiquiers (Raimu dans L'Étrange Monsieur Victor), un travailleur de la mer (Jean Gabin dans Remorques), ou un modeste ingénieur des mines (Georges Marchaldans Lumière d'été). Ses déclassés (Pierre Brasseur, artiste peintre alcoolique dans Lumière d'été, Madeleine Renaud ex-danseuse à l'opéra, dans le même film, le tout jeune Michel Bouquet, fils bâtard d'un aristocrate et d'une servante dans Pattes blanches) ne sont jamais caricaturaux, les voix des ouvriers sonnent juste, celles des voyous aussi.

Un cinéaste des temps modernes.

Pétri de culture  classique (artistique, musicale, littéraire), musicien lui-même (pour payer ses études, il jouait du piano au Max Linder en accompagnement des muets), Grémillon est à l'aise dans le monde moderne, qu'il filme à sa façon : la vie des sauveteurs en mer, celle des ouvriers à l'oeuvre sur un barrage (Lumière d'été) ou un pont (L'amour d'une femme) ne sont pas de simples toiles de fond -  un beau décor - pas plus qu'elles ne sont le point de départ d'un cinéma platement militant. C'est le monde de ses contemporains, montré avec le souci de précision du documentariste qu'il est par ailleurs, mais il sait aussi l'harmoniser avec son monde intérieur, débordant de préoccupations spirituelles,  de l'obsession de la mort. C'est Grémillon lui-même qui prête sa voix au prêtre méditant à haute voix devant la tombe de la vieille institutrice (Gaby  Morlay) dans L'Amour d'une femme ; pour doubler l'acteur italien qui incarne le prêtre il aurait pu demander à n'importe quel comédien français, mais il se choisit, lui, non avec le plaisir narcissique d'un Guitry, mais avec la réticence et le sentiment d'obligation intérieure qui animeront Truffaut quand il interprétera lui-même les rôles du médecin dans L'Enfant sauvage et du solitaire misanthrope dans La Chambre verte.

Où sont les femmes ?

À la vieille garde du cinéma français, Truffaut a reproché avec une vigueur parfois extrême de proposer des femmes des images limitées, caricaturales. Or, un peu comme chez Truffaut, elles sont souvent chez Grémillon « l'homme de la situation ». Elles existent autrement que comme types : la belle gitane de Maldone  est une femme libre qui oriente de façon décisive le destin de son héros bien nommé ; l'épouse délaissée (Madeleine Renaud dans deux films),la salope ou vilaine fille dévergondée (Mireille Balin dans Gueule d'amour - ah, ces longues jambes, ces mollets vibrants ! - Viviane Romance dans L'Étrange Monsieur Victor), la femme fatale (Michèle Morgan dans Remorques),l'ingénue (Madeleine Robinson dans Lumière d'été - et même une nouvelle figure, la working woman (Madeleine Renaud encore, aviatrice passionnée dans Le Ciel est à vous,Micheline Presle dans le dernier film de fiction du réalisateur, L'Amour d'une femme) - et j'en oublie.

Et les enfants ?

Un des autres reproches de Truffaut à ses prédécesseurs du cinéma de qualité, c'est l'absence des enfants. Il faut bien reconnaître que cette remarque peut s'appliquer à la plupart des films de Grémillon. Les deux petits garçons de L'Etrange Monsieur Victor ont leur place, mais à l'arrière-plan : « petits rôles » qui, hors quelques scènes (pas forcément les meilleures du film) restent en retrait. Les enfants de Pattes blanches font penser à ceux qui terrifient Victor, l'enfant sauvage : masse indistincte et cruelle.

Comme Renoir et Truffaut, Grémillon aime ses acteurs/trices, et il écrit (ou fait écrire) et tourne sa caméra pour les mettre en valeur d'une façon inhabituelle et juste : quand il reconstitue le couple mythique de Quai des brumes, tant le personnage joué par Gabin que celui de Michèle Morgan sont totalement paumés, ils ne savent plus où ils en sont dans une situation qui les dépasse et nous ne pouvons qu'être touchés, émus par la faiblesse humaine, le désarroi qui affleure derrière leurs allures de machines à séduire. Quant à Raimu, monstre entre les monstres, il fallait de gros cojones au jeune Grémillon pour faire tourner, dans le décor de sa ville natale, à l'un des acteurs fétiches de Pagnol un rôle profondément ambigu où la jovialité légendaire du Toulonnais était utilisée pour maquiller les failles et les contradictions d'un personnage certes haut en couleur, mais finalement assez déplaisant.

J'ai dit pour commencer que Grémillon, c'était du cinéma : comment oublier les magnifiques travellings qui campent le décor urbain, maritime ou naturel sans jamais rester simplement anecdotiques ou simplement descriptifs : si la caméra suit une route de montagne ou s'attarde sur les installations d'une équipe de déminage, c'est avec une intention encore secrète, mais qui apparaîtra tôt ou tard ; il en est de même pour les travellings avant ou arrière qui accompagnent les personnages ; comment oublier le jour qui frise à travers les persiennes, ces bandes d'ombre et de lumière qui découpent les personnages ?

Truffaut reprochait au cinéma de qualité estampillé tradition française de ne pas raconter d'histoires d'amour crédibles. Les tortures que vivent les personnages de Grémillon, hommes (Dullin vagabond, Gabin vulnérable, Brasseur à la dérive) ou femmes (pauvre Madeleine Renaud, si souvent appelée à souffrir des hommes, Micheline Presle écartelée entre l'amour d'un homme et la passion de son métier, Gaby Morlay, la vieille institutrice du même film qui, ayant donné sa vie à des enfants qui n'étaient pas les siens, n'en reçoit ni reconnaissance ni amour), n'ont rien d'artificiel : elles nous rappellent que comme dans la chanson des Rita Mitsouko, les histoires d'amour finissent mal, en général. Ainsi des films de Grémillon où le happy end est rare, mais qu'on incite Truffaut à se faire projeter dans le cinéma de la Voie des Lumières ouvert 24 heures/24 où il réside désormais - et pour l'éternité.


SEMPER SEMPÉ

Ayant acquis chez ma libraire favorite[1] un exemplaire du dernier album de Jean-Jacques Sempé, je déguste les traits de son esprit toujours jeune (Escargot #1 : « Il faut être curieux, aller vers les autres. » Escargot #2 : « Le problème c'est que ça prend du temps. ») À l'approche du siècle (encore une dizaine d'années), il ne donne aucun signe de faiblesse dans l'élan créatif. C'est comme les romans de Modiano : on n'aura pas le choc de la surprise qui vous renverse et vous cloue au sol, mais c'est bien, on est en terre amie.

Pendant une pause entre deux petits chefs-d'oeuvre, mes yeux parcourent la liste des livres publiés et je me souviens qu'il a toujours été là : les Petit Nicolas qu'il avait inventés avec René Goscinny étaient dans ma chambre et ses grands albums dans la bibliothèque de mes parents, depuis Sauve qui peut (1964) jusqu'à Luxe, calme et volupté (1987) en passant par La Grande Panique (1966), Saint-Tropez (1968) et Vaguement compétitif (1985).

Un peu à la manière de Modiano, auquel je viens de le comparer d'instinct, Sempé n'est pas un dessinateur révolutionnaire (Chaval ou Reiser, chez nous) qui bouscule les codes et les réinvente, mais sans se répéter il ne change pas, il est toujours juste et pertinent : tendre quand son observation touche à la cruauté, il sait à sa façon douce et discrète décocher le trait qui fait mal lorsque son dessin pourrait devenir seulement mignon. Dans quel album figure ce dessin dont j'ai le souvenir ? Ça ressemblait à ceci : l'auteur est assis face à l'éditeur dont le bureau est chargé de manuscrits et de livres (fun fact : le pire et le plus représentatif des bureaux d'éditeurs que j'aie pu apercevoir, c'était celui de Jean-Marc Roberts au Seuil - un bordel incroyable où tout autre que lui se serait perdu). L'auteur : « J'aimerais pousser une longue plainte jusqu'à 100, 150 000 exemplaires. »

Je ne serais pas opposé à produire un livre qui devienne un best-seller, mais je ne vois pas trop de quoi me plaindre.

Référence

Quelques amis (Denoël, 13,50 euros)



[1] Promotion gratuite : Librairie Litote, rue Alexandre Parodi, Paris.


HELLO GOODBYE

L'univers des livres de « développement personnel » se peuple chaque jour de davantage de menteurs et de tricheurs - les bateleurs et les bonimenteurs y prospèrent, faux maîtres à côté desquels Elmer Gantry, le prédicateur escroc autrefois incarné par le grand Burt Lancaster, fait figure de petit saint.

Il n'en est que plus rassurant, pour ne pas dire exaltant, de se plonger dans Goodbye fatigue !, le dernier opus de Léonard Anthony. Ni médecin, ni « -logue », ni « -peuthe », mon ami a puisé dans un trésor d'expérience personnelle et des années de rencontres pour établir ce petit traité chargé de sagesse et d'humour - sans compter d'un paquet de conseils pratiques pleins d'un bon sens souriant et malicieux. Parfois on se dit « je le savais déjà » ; sinon ça donne envie d'essayer le truc.

Follohoueurs, follohoueuses, ne tardez pas, il n'y en aura pas pour tout le monde : aux dernières nouvelles, le premier tirage est presque épuisé.

Références

Goodbye fatigue ! (éditions Overjoy, 16,90 euros, disponible également en version numérique sur les plateformes Fnac et Zonzon).

Elmer Gantry : film de Richard Brooks (1960) avec Burt Lancaster et Jean Simmons.

Hello, Goodbye : chanson des Beatles (1967) écrite par John Lennon et Paul McCartney ; la face B du 45-tours était le superbe I am the Walrus. Pas d'opinion sur les reprises de The Cure et des Analogues.


TRUFFAUT, L'HOMME QUI AIMAIT (12)

Ça y est, j'ai fini mon voyage en Truffaldie ? c'est le dernier épisode et il n'y aura pas d'épilogue, je crois[1]. Si je compte mes 10 bis et 11 bis, il y aura eu 14 épisodes, et non 12 comme annoncé. C'est le destin : depuis que Partie gratuite a connu 14 révisions, ça doit être mon chiffre. Sans succomber à l'atroce idée de conclure, si je devais retenir une ou deux « impressions de voyage », voici ce qu'elles seraient.

Le mythe de l'éternel retour

Truffaut n'est pas Buñuel et je ne crois pas que le surréalisme l'ait marqué en quoi que ce soit, mais il me semble souvent que ses personnages reviennent dans les mêmes quartiers, les mêmes rues, les mêmes décors, les mêmes paysages, comme à la recherche de ce porche, ce seuil de jardin, par où ils pénétreraient dans un pan disparu de leur existence et y retrouveraient les êtres chers. Pour ses films dont Paris est le cadre, la tour Eiffel y revient non comme un point de repère touristique, mais comme un totem ? une déesse peut-être, un vaisseau spatial atterri en ce lieu et qui peut en décoller à chaque instant et qu'il importe de retenir par l'image. Lorsque Louis Mahé (Jean-Paul Belmondo a-t-il jamais joué le rôle d'un homme superbement fragile ?) et Marion (Catherine Deneuve a-t-elle jamais été aussi belle ? désirable et inatteignable ?) sont embarqués dans la cavale infernale de La Sirène du Mississippi, Marion est obsédée par le désir de gagner Paris. Est-ce un refuge où se perdre et disparaître ? Quand ils gagnent la capitale et qu'on aperçoit la tour Eiffel, l'espoir absurde d'un embarquement pour ailleurs passe le temps d'un éclair.

Fuir, toujours fuir

L'admiration de Truffaut pour Alfred Hitchcock est bien connue et je vois bien plus que des clins d'oeil ou des références pour cinéphiles dans le goût truffaldien de filmer des voitures sur des routes périlleuses ou de créer, dans des contextes très éloignés du film policier, des atmosphères de suspense que l'on peut sans excès qualifier de « hitchcockiennes » ; bien souvent, les personnages de Truffaut fuient ou cherchent à fuir. Doinel son double fuit des parents qui l'aiment mal ou pas, Charlie Kohler (Charles Aznavour dans Tirez sur le pianiste) fuit son passé et de mystérieux gangsters (dont l'écrivain Daniel Boulanger, le dernier à qui Jeanne Moreau réglera son compte dans La Mariée était en noir) avec l'aide de Léna (Marie Dubois) ; dans le court métrage Antoine et Colette, Colette (Marie-France Pisier) fuit Antoine. Dans Baisers volés Antoine fuit la violence de son désir pour Fabienne Tabard (Delphine Seyrig), fuit le choix entre cette dernière et la jeune Christine Darbon (Claude Jade). Antoine fuit sa peur de la vie de famille dans les bras d'une maîtresse et fuit la lassitude de cette dernière auprès de sa femme (Domicile conjugal) ; il court et fuit toujours dans le dernier film de la série Doinel, L'Amour en fuite.

Catherine (Jeanne Moreau) fuit dans la mort le choix entre Jules et Jim et y entraîne l'infortuné Jim qui ne choisissait pas entre elle et son ami ; Marion Vergano fuit son passé pour rencontrer Louis Mahé (La Sirène) avant de fuir ce dernier ; lorsqu'il la retrouve, ils fuient ensemble. Pour finir il consent à la laisser le tuer et elle s'enfuit. L'enfant sauvage du (magnifique) film éponyme fuit les hommes ; quand malgré la douceur des méthodes du docteur Itard il souffre de son éducation, il tente de fuir. La brochette des assassins de son mari fuit vainement la vengeance de Julie Kohler dans La Mariée ; dans La Peau douce Pierre Lachenay fuit longtemps le choix entre sa femme et sa maîtresse.

Adèle H. (Isabelle Adjani) fuit sa famille, l'ombre de sa soeur morte et son père autant qu'elle poursuit un amant imaginaire ; et lorsque celui-ci se dérobe définitivement, elle fuit encore ; Lucas Steiner (Heinz Bennent), le mari de Marion (Deneuve encore) dans Le Dernier Métro, cherche à fuir la Gestapo et les collabos ; Bernard (Gérard Depardieu) a fui sa passion pour Mathilde (Fanny Ardant) dans La Femme d'à côté ; quand le hasard les réunit, il essaie de l'éviter ; lorsque le destin les jette à nouveau dans les bras l'un de l'autre, ils fuient dans la mort la double impossibilité de renoncer à leur amour et de le vivre ; même Mme Jouve (Véronique Silver) s'enfuit lorsque l'homme qui l'a abandonnée des années plus tôt revient et demande à la revoir. Julien Davenne fuit les vivants dans La Chambre verte où des milliers de cierges éclairent les visages de ses morts.

Une des rares fuites couronnées de succès est celle de Montag, le pompier de Fahrenheit 451 (Oskar Werner, le Jules de Jules et Jim), qui fuit la destruction de la culture en se réfugiant dans la forêt des hommes-livres.

Pour Truffaut lui-même, mort à cinquante-deux ans, encore plein de vie, d'amour et de projets, je préfère penser que, sans s'enfuir, il est passé par l'entrée de secours dans une des deux salle d'à côté ; plutôt que celle où une rétrospective lui est consacrée, il a choisi celle où l'on projette les films qu'il aimait et ceux qu'il aimera ?et qu'il les regarde avec son pote Lachenay. Pour la centième fois ils revoient La Règle du jeu, pour la cinquantième Le Roman d'un tricheur (Guitry) L'Aurore de Murnau, peut-être, l'intégrale des Hitchcock. Vous avez de la chance, François, les cinémas viennent de rouvrir. Plus besoin de resquiller, vous avez la réduction senior.

 

Références :

François Truffaut, d'Antoine de Baecque et Serge Toubiana (Gallimard 1996 et 2001, 876 pages, réédition en Folio) ; l'ayant lu d'une traite ou presque, je suis souvent revenu à ce modèle de biographie, aussi précis et documenté que bien raconté.

De Truffaut lui-même, on trouve d'occasion la Correspondance (672 pages, 5 Continents/Hatier, 1988) et plus facilement ses textes critiques en deux volumes : Les Films de ma vie et Le Plaisir des yeux (tous deux chez Flammarion, collection Champs), ainsi que le Hitchcock écrit en collaboration avec Helen Scott. Publié chez Robert Laffont en 1966, il a été réédité chez Gallimard et il est toujours disponible, neuf comme d'occasion. D'occasion, on trouve aussi Les Aventures d'Antoine Doinel.

Pour les films, je les ai presque tous vus en DVD dans les différentes éditions disponibles ? un peu parce que beaucoup étaient là sur les étagères, un peu par nostalgie, aussi parce que certaines éditions proposent de riches bonus (versions commentées, documents d'archives). Particulièrement satisfaisant est le coffret d'Arte Éditions comprenant huit films, de La Mariée à La Chambre verte ainsi qu'un livret incluant des témoignages et des « impressions » de cinéastes contemporains ; pour la série Doinel, éditée chez MK2, le DVD des Quatre Cents Coups comprend notamment une version commentée par l'ami Robert Lachenay qui éclaire les aspects les plus autobiographiques du film, ainsi que les « bouts d'essai » des différents adolescents envisagés pour le rôle, y compris Jean-Pierre Léaud, dont on voit tout de suite qu'il est Doinel ; enfin le DVD inclut Les Mistons, le premier court métrage du cinéaste ; le DVD de Baisers volés, quant à lui, comprend le film commenté par Claude Jade et Claude de Givray, un des coscénaristes, ainsi qu'Antoine et Colette, le short de 1962 ; pour le reste, je crois que les longs métrages sont tous disponibles sur Netflix ; ils le sont également sur Mubi, qui propose en outre le short Une histoire d'eau (bon choix sur cette chaîne, où j'ai vu presque tous les Varda, quelques Chaplin et les premiers Milos Forman).

PS. Bizot, je ne sais pas si je t'ai convaincu de mettre un oeil là-dessus. Si non, tant pis, j'ai fait de mon mieux ; si oui, je te suggère Une belle fille comme moi ou L'Homme qui aimait les femmes pour commencer. Ça ne vaut peut-être pas ton favori, L'Honneur des Prizzi, mais c'est bien barré quand même?

P.S. Je suis plus que jamais reconnaissant à Marie-Odile «  Malcampo » Mauchamp et à Emmanuelle Hardouin (Versilio) qui ont relu avec une inlassable vigilance les textes de ce « feuilleton » avant de les purger de leurs scories plus évidentes. Au-delà des corrections typographiques ou grammaticales,  leurs remarques et commentaires m'ont aidé à les préciser et à les améliorer. Grâce leur soit rendue !

 



[1] Quoique?


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