Antoine Audouard

Blog de Antoine Audouard


VOTEZ MENDOZA !

INDEPENDANCE DE LA CATALOGNE : VOTEZ MENDOZA !

 

« J'étais revenu à Barcelone, la tragédie recommençait, c'était partout la même violence et la même haine sans objet (?). Plutôt unis par leurs antagonismes et leurs angoisses que séparés par leurs différences idéologiques, les Espagnols étaient en train de descendre, dans une cohue pleine de confusion, une échelle de Jacob renversée, dont les barreaux étaient une succession de vengeances et la matière un enchevêtrement inextricable d'alliances, de dénonciations et de trahisons qui menaient tout droit à l'enfer d'une intransigeance née de la peur et du crime engendré par le désespoir. »

A l'heure où, à deux heures de vol de chez nous, la Catalogne se mue jour après jour en Catalistan, il est bon de lire (ou de relire) ces lignes écrites par un romancier d'une trentaine d'années - non pas hier dans la chaleur des manifestations et contre-manifestations, mais en 1975, les yeux tournés vers l'Espagne de l'avant et après Première Guerre mondiale. La vérité sur l'affaire Savolta était le premier roman d'un écrivain espagnol né à Barcelone, la «ville des prodiges», restée son héroïne au fil d'une oeuvre intensément personnelle et tranquillement universelle, avec ses personnages de misérables puissants et de pauvres, de prêtres masturbateurs, de criminels à l'âme pure, de policiers en proie au doute, de prostituées et de nonnes, de princesses vraies ou fausses. Qu'ils soient amples ou plus ramassés, de tonalité plutôt dramatique ou comique, historiques ou policiers, les romans de Mendoza sont un délice littéraire inépuisable, une comédie humaine moderne, une méditation souriante sur notre condition, une démonstration d'absolue liberté qui, à défaut de descendre dans les rues, danse à chaque ligne et nous laisse, la dernière page tournée, les yeux rouges de tristesse et de joie. On ne sait ce qui demain adviendra de MM. Puigdemont et Rajoy -  sans le savoir, sans s'en douter, tout vibrant de fureur, ils ont déjà rejoint la cohorte des fantômes du pouvoir qui, génération après génération, hantent les romans de Mendoza.


LE TRUMP ET LA FUREUR

Les échos sonores et visuels des éclats de l'occupant de la Maison Blanche sont devenus un show télévisé mondial : de ce point de vue -  le seul qui semble le motiver en continu - la présidence de M. Trump est un superbe, un incontestable triomphe. Avant son improbable élection, certains estimaient que sa campagne, vouée à l'échec par ses absurdités, ses outrances, ses mensonges, était la préparation d'un show télévisé pour Fox News ou une chaîne rivale. Trump a fait beaucoup mieux que d'être élu, il a créé son show  quotidien au sein même de la Maison Blanche.

Que cela soit volontaire et cynique ou inconscient et en partie défensif, un de ses ressorts principaux est d'utiliser la colère - y compris celle de ses adversaires les plus acharnés -  en karateka,  afin de faire grimper l'audience. Comme souvent, le cinéma « commercial » avait anticipé brillamment ce moment. J'ai revu récemment Network de Sydney Lumet - un film de divertissement profond et désespéré où le ressort de la montée en puissance du personnage principal est la manipulation des foules par la mise en scène de la colère. Il me semble une référence plus adéquate pour rendre compte des sorties incessantes de Trump, que les sources littéraires souvent citées, sans parler de Shakespeare et Faulkner. La conclusion du film n'est en rien rassurante : le meurtre en direct de la star télévisée sur commandite des puissants qu'il a servis puis dérangés ne serait une vue enviable que pour certains « antifas » frénétiques. L'idéal serait que l'audience baisse - mais on peut craindre le programme suivant presque autant que l'actuel - tant cette fureur est installée et profonde.

Bonus : la scène culte de Network où Howard Beale (Peter Finch) lance la campagne de Donald Trump.
http://bit.ly/1PJCBg9

 


SALAUDS DE PAUVRES !

« Salauds de pauvres ! » Il paraît que la fameuse exclamation de Jean Gabin dans l'inoubliable Traversée de Paris, qu'il éclaire (et assombrit) avec Bourvil, tout aussi génial, est devenue virale sur la Toile.

On pourrait y ajouter « crétins de pauvres ! »

Ceux-ci, en effet, semblent avoir un mal infini à comprendre la tendance mondiale qui tend à donner plus aux riches, non pour le bien des riches qui s'en foutent, mais pour celui des pauvres. Des pauvres, rien de ce genre ne nous surprendra car - c'est bien connu, s'ils étaient intelligents ils seraient déjà sortis de leur feignasserie loqueteuse et navigueraient à bord de leur premier yacht. Mais non ! Encrassés dans l'ignorance ils s'obstinent à croire que ce qui est donné en plus aux riches leur profitera alors que c'est tout le contraire : c'est pour le bien des pauvres que  sont prises ces mesures, de Trump à Macron.

Ayant ouvert sur le cinéma, concluons de même, avec la protestation indignée d'un personnage de Nous nous sommes tant aimés d'Ettore Scola : « Vous ne  vous rendez pas compte que notre vie à nous, les riches, est beaucoup plus difficile car nous sommes peu nombreux, et donc très seuls, alors que vous, les pauvres, vous êtes un paquet et vous pouvez vous serrer les coudes! »

 

 PS : en bonus l'extrait de  La Traversée de Paris :

https://www.youtube.com/watch?v=g49oPb6kuDg

 


EXCUSES de tartuffes

 

Un homme n'ayant ni bras ni jambe se voit demander sa carte d'invalidité par un contrôleur de la SNCF ; des voyageurs témoins s'indignent : Philippe Croizon poste un tweet plus amusé qu'indigné et les réseaux sociaux s'enflamment. La SNCF présente ses excuses et l'on suppose que l'histoire s'arrête là. Quelque chose dans ces excuses mérite toutefois qu'on s'y attarde. La SNCF explique en effet qu'il était dans le rôle du contrôleur de vérifier si l'accompagnatrice de M. Croizon (sa maman) bénéficiait de la gratuité (invalidité à 100%) ou  seulement des 50% de réduction attribués aux accompagnants des invalides à 80%.

Il y a ici, pour commencer, un manque de bon sens affligeant de la part du contrôleur : qu'on me demande ma carte à moi, qui ai deux bras et deux jambes, même si je me déplace difficilement, c'est tout à fait normal - mais à un polyhandicapé en fauteuil roulant privé de ses quatre membres, faut-il être docteur en médecine pour conclure qu'il est invalide à 100% ? Révélateur aussi - surprise ! -  la SNCF craint plus ses syndicats que les associations de handicapés : critiquer ou sanctionner un contrôleur pour imbécillité aggravée, c'est prendre le risque de troubles sociaux : au lieu de considérer avec l'humour de M. Croizon que, sans doute, ce « monsieur  a  eu une mauvaise journée, peut-être il est fatigué »  le débat sera porté sur les cadences infernales, les horaires impossibles, la nature et les conditions de la mission des contrôleurs - et leurs primes.

J'ajoute qu'il y a plus d'une contradiction dans la politique de la SNCF vis-à-vis des handicapés : gratuité pour les 100% et leurs accompagnants, pas de réduction pour les 80% et 50% pour leurs accompagnants ; assistance efficace et gratuite en gare (mieux qu'en Allemagne où ce soin est laissé à des associations caritatives). En cas de grève et d'annulation de trains (j'ai pu le constater lors des grèves de 2016), nulle priorité pour les titulaires de la carte d'invalidité : les premières  places disponibles sur le premier train seront pour les plus rapides.

Les vraies excuses de la SNCF à M. Croizon (avec qui, dit-il, « en général ça se passe super bien ») ne seraient pas une sanction contre le malheureux qui suivait sans discernement  la procédure, mais une véritable réflexion sur sa politique d'ensemble vis à vis des handicapés : il risque de les attendre longtemps, car on n'est pas prêt de nous voir bloquer les voies et les gares : handicapés en fauteuils roulants, hémiplégiques mes frères et soeurs, tétraplégiques mes cousins/cousines?


Officiel : Stéphane monte au ciel

 

 

J'ai partagé ici et avec quelques proches l'émotion ressentie à la mort de mon vieux pote d'école. L'un de ces amis, qui m'envoie chaque jour une photo d'un ciel du coin des Cévennes, où il vit avec sa femme, m'a adressé celle-ci, qu'il a dédiée à Stéphane. 

Je la partage, en y adjoignant le poème que cette vue quotidienne m'avait inspiré il y a quelques mois.

 

CHAQUE MATIN MON AMI M'ENVOIE UN CIEL

 

Chaque matin mon ami m'envoie un ciel

Ciel bleu nuit ou ciel d'orage

Ciel de pluie ou ciel de feu

Ciel bouché ou grand ouvert

Ciel gris ou bien tout en couleurs

C'est le ciel qui s'ouvre à sa fenêtre

Celui qui couvrira son humeur ses labeurs

Pour un jour joyeux ou triste.

Sa loi morale je ne la connais pas

Plus qu'il ne connaît la mienne.

Kant, sévèrement, nous dirait qu'elle est une

Mais les ciels divers qui lui passent au-dessus de la tête

Il les partage avec moi comme on ouvre son coeur.

Chaque matin mon ami m'envoie un ciel.

Et quand ont passé les heures

Et que son ciel n'est pas arrivé sur mon écran

Je ne suis pas inquiet, j'attends.

Le ciel  de mon ami viendra en son temps

Chaque matin mon ami m'envoie un ciel.

 

 

 

 


TRUMP EST UNE VICTIME

En vitupérant contre lui ou en s'en moquant, on alimente la Trump-machine mondiale aussi bien qu'en flattant son courage ou son génie : Quoique ayant soumis mes quelques 1200 suiveurs  - comme  on dit dans le Tour de France - à ce douteux exercice il y a quelques jours à peine, je remets ça après le crime de Charlottesville - 1 morte, 19 blessés, dont certains dans un état grave. Qu'a déclaré M. Trump pour apaiser la douleur des victimes ?  Il a dénoncé la violence « de tous bords »  - comme si les manifestants protestant contre un rassemblement d'inspiration raciste et antisémite (voir les panneaux « nous ne laisserons pas notre place aux juifs !») et le groupe des suprémacistes blancs étaient des sortes d'«ennemis complémentaires». Intellectuellement cela rappelle les propos de Céline martelant que dans « l'histoire » entre nazis et Juifs, les Juifs avaient aussi des torts.
Inutile de transmette cette référence à M. Trump qui ne lit jamais un livre (même George W Bush, de peu illustre mémoire, avait été surpris à lire l'Etranger) et ne risque donc  pas de se lancer dans les oeuvres complètes de notre grand Maudit - lui, dont les capacités d'attention sont, dit-on, si limitées que ses conseillers doivent inclure pour le réveiller le mot Trump dans toute note dépassant quelques lignes. Malgré tout gêné (ou alerté par ceux de ses conseillers qu'il n'a pas encore virés), M. Trump s'est néanmoins fendu d'une petite déclaration filmée condamnant enfin le racisme, le Ku Klux Klan, les néo-nazis et les suprémacistes blancs - propos d'une audace folle délivrés sur un ton monocorde indiquant la conviction et l'émotion. Chassez le naturel, il revient au galop : dès le lendemain l'ami du peuple est revenu à sa rhétorique d'origine : Il y a à blâmer des deux côtés. Face à ces « violences » égales (0 victime d'un côté,  20 de l'autre) il représente l'unité du pays.

C'est que, voyez-vous, M. Trump n'a pas besoin de compassion pour les victimes : il est lui-même une victime. Victime des médias, des Démocrates tordus, des Républicains qui ne se sont ralliés à lui que par opportunisme et sabotent vicieusement tous ses projets - victime de tout le gang de ceux qui ne lui pardonnent pas sa victoire. Est-il aussi victime de son père, fondateur de la fortune familiale et arrêté autrefois lors d'une manifestation violente du dit Ku Klux Klan? Sans doute mais sur ce sujet, motus du potus. Il est vrai que les fils ne devraient pas avoir la charge des crimes des pères - sauf, à la rigueur, quand ils les répètent.

 


LE FEU ET LA FUREUR

M. Trump fait comme son nom l'indique : il trompe énormément.

Ayant trompé son électorat, il continue à trompéter à tous vents. Ainsi promet-il à la Corée du Nord un déluge tel que le monde n'en a jamais connu depuis la Bible - et encore? à l'en croire sur le kim bim ça va tomber fort, ce sera Saddam et Gomorrhe,  pour le moins.

Donald est-il sérieux ou bien n'est-il, au fond qu'un petit Mickey ? Il peut  mériter la réplique légendaire (de Clint Eastwood, je crois) dans Le Bon, la Brute et le Truand : « Si tu dois tirer, ne parle pas, tire ! » ou être pris au sérieux, comme Hitler en son temps - un homme  pour qui les mots  menaçants n'étaient pas des bruits que l'on fait avec sa bouche.

Aucune inquiétude à se faire, vraiment : en attendant la fin du monde, le business va se poursuivre - Trump va tweeter,  les zélateurs zéler, le New York Times s'alarmer, les media du monde titrer. Et les Nord-Coréens, unis avec leurs cousins du sud, vont trembler de tout ce feu et cette fureur, n'ayant, pour oublier leur peur, qu'à s'extasier devant le triomphe du Dieu commerce en sa nonpareille ardeur.


POIDS ET MESURES

 

On peut s'agacer ou sourire de la rhétorique de M. Macron, de son goût pour des mots comme « progressiste », du « pas ça ! » par lequel il martèle son désaccord radical avec son adversaire politique.

Mais que dire d'une candidate du peuple ayant grandi dans un château en banlieue ouest, qui utilise les mots « patriotisme » et « laïcité » comme des kalachnikovs et considère le mot « réfugié » comme une forme d'insulte presque aussi grave que « banquier » et « islamiste ».

Certes on peut relever la filiation entre M. Hollande et M. Macron - ce que ses adversaires de droite et de gauche n'ont pas manqué de faire. Mais au moins celui-ci, après avoir servi son mentor avec loyauté, est-il parti suivre son chemin avec dignité et clarté, exposant ses différences sans se renier ni s'en exonérer en lui inventant des turpitudes inconnues du peuple.

Que dira-ton, en revanche, de la pseudo-rupture familiale et politique de la famille Le Pen ? Marine peut bien effacer son nom de famille et celui du Front national de ses affiches de campagne. Qui en sera dupe ?

Car ce n'est pas seulement sa part de l'héritage immobilier que Mme Le Pen accepte d'un père, que par ailleurs elle exclut du parti qu'il a fondé et formé. Se mettant  elle-même en congé de parti pour raisons de campagne, elle choisit dans un premier temps un président  intérimaire se rangeant dans le camp de M. Faurisson et des révisionnistes « sérieux » (Moi, je considère que d'un point de vue technique il est impossible, je dis bien impossible, de l'utiliser (le zyklon B) dans des exterminations de masse), propos tenus en 2000, nous dit-on au Front nouveau, comme on parlerait des vétilles d'un enfant qui, à quatre ans, s'amusait à arracher les ailes des mouches ou avait renversé une casserole d'eau froide sur le chat de la maison.

On connaît à l'étranger un cas d'antisémitisme pro-israélien : c'est celui de M. Trump - c'est tristement encourageant pour Mme Le Pen dont la rhétorique anti-immigrants, anti-étrangers ressemble sur bien des points à celle de l'héritier milliardaire antisystème.

Point n'était besoin de se trouver un porte-voix antisémite avéré : la banque est juive, chacun le sait en France. Voici M. Macron habillé pour l'hiver : ce philosémite et philo-merckélien aime autant les Juifs que les Arabes - l'ennemi de l'intérieur comme celui de l'extérieur.

Au sujet du système, voici un point commun entre nos deux finalistes. Ils déploient de constants efforts pour montrer leur opposition au « système ».  Qu'est-ce, d'ailleurs, que ce fameux « système » ?

Ils sont d'accord au moins là-dessus : il s'agit, en gros, des partis politiques (socialiste et gaulliste) ayant exercé le pouvoir en France depuis une soixantaine d'années.
A noter au passage que cet horrible système les a nourris l'un et l'autre - moins longtemps que M. Mélenchon - depuis quelques années. Enarque produit par l'élitisme républicain et non la transmission sociale, M. Macron  a,  très jeune, pénétré au coeur du « système » (l'Elysée)  avant d'en gravir les marches et de le quitter  en deux temps (cette banque qui lui est tant reprochée, la fondation de son parti après une expérience ministérielle) pour rêver d'y revenir en réformateur.  A-t-on le droit d'être sceptique ? Oui, sans aucun doute ; la démarche au moins est sincère, si ses objectifs sont flous et ses résultats sont incertains.
Quant à Mme Le Pen, c'est l'abominable institution européenne qu'elle dénonce avec une vigueur orléanaise qui la nourrit - elle et des « assistants » plus fantômes que Mme Fillon, ce qui n'est pas peu dire. Le système a de ces charmes cachés?

Comment gouverneront-ils ?

Sur ce point nos deux candidats ont des faiblesses que leurs adversaires n'ont pas manqué de relever au cours du premier tour.

L'alliance politique formée autour de Macron a quelque chose d'incertain, entre ses communistes refondateurs n'ayant rien refondé  et  ses libéraux réformateurs n'ayant rien réformé? quand la pierre angulaire de son soutien politique est M. Bayrou, il y a de toute façon de quoi s'inquiéter?

Cela fera-il une majorité stable et une politique cohérente? Rien n'est moins sûr. Depuis le temps que les Le Pen parlent d'un UMPS qui n'existe pas, il peut être tentant de voir si l'alliance entre les modérés des deux bords donne de meilleurs résultats que la mise en scène de leur opposition.

Côté Le Pen, au-delà du fantasme qu'elle ne nourrit même pas d'une majorité pour son parti « marinisé », il est difficile de croire que quoi que ce soit d'autre qu'un vaste bordel puisse émerger : entre les fachos vieux et jeunes, quelques chevaux de retour du paléo-gaullisme et quelques ex-gauchos  aventuristes ou opportunistes, comment surnager?

On arguera que M. Tsipras y parvient bien en Grèce depuis son élection. Il semble avoir pour cela des qualités de tempérament  et une souplesse bien étrangère à celles de Mme Le Pen.

L'élection présidentielle, nous dit-on, est plus une opposition de caractères  et d'images que d'idéologies.  Pour y réussir, il ne faut pas tant indiquer une proposition qu'incarner une contradiction. Le général de Gaulle n'était pas tant le gaullisme - fourre-tout  improbable où chacun peut aujourd'hui encore faire son marché - qu'un mélange unique de fils rebelle et de père protecteur, d'homme qui change tout et ne modifie rien. Lecanuet face à lui échoua  à n'être que réformateur raisonnable - et Mitterrand 1, qui fut peint avec succès  en homme d'intrigues à la moralité élastique, opportuniste arrangeur de coups foireux. Puis vint Pompidou, rondeur centriste appuyée sur la tradition, présence paternelle permissive qui vainquit un Poher, archéo-Larcher bon vivant et mou. Après les « émotions » on avait besoin d'être rassuré. Tout ayant changé, tout serait comme avant : le rêve.

De cela on se lassa. Vint Giscard qui dans sa version 1 incarna contre Mitterrand la jeunesse et le changement, s'appuyant en même temps sur la tradition gaulliste.

Le septennat n'ayant pas tourné favorablement, Mitterrand eut la subtilité de se réinventer en révolutionnaire ultra conservateur,  double champion de la ruralité  et de la révolte sociale. En cela M. Chirac fut son successeur, avec sa  fracture qui ne cassait rien. La « rupture » sarkozyste fut une vaste blague, de même que la « normalité  hollandiste, réinvention plate de la « force tranquille » qui se révéla faiblesse agitée.  Qu'en sera-t-il cette fois-ci ?  Chacun des deux candidats s'exerce à montrer sa synthèse impossible, nous désignant une société où tout aura changé et où nous pourrons vivre tranquilles et sans peur, remplis d'optimisme, concentrés sur la recherche du bonheur. Riches, pauvres, nous paierons tous moins d'impôts tout en bénéficiant des mêmes protections sociales et de santé que le monde justement nous envie. L'expression allemande «  heureux comme Dieu en France » reprendra tout son sens?

Au de-là des contenus programmatiques réalistes ou non, quelles sont les tonalités générales de ces bonheurs à portée de bulletin ?

Le bonheur selon Macron est à la fois assez « technologie moderne »  et « bio » : un équilibre entre liberté de l'initiative individuelle et protections collectives.

Le bonheur selon Le Pen est d'obédience villageoise.

L'une et l'autre nous rappellent l'adage selon lequel les promesses n'engagent que les malheureux qui les croient. Aucun de ces bonheurs n'adviendra, nous le savons déjà car comme disait le poète Ossip Mandelstam à sa femme Nadejda, «  où as-tu vu que nous soyons sur terre pour être heureux ? ». Je préfère me reformuler leurs promesses en me demandant lequel aura le sens plus naturel des évolutions nécessaires et saura mieux les accompagner en nous tenant le plus possible à l'écart de notre péché mignon historique : la passion de la guerre civile.

Sur ce point, Mme Le Pen agite avec une confusion brouillonne et irresponsable  des chiffons rouges dangereux - le tempérament de M. Macron semble clairement plus modéré, quoique son adversaire essaie de nous faire croire que nous avons affaire en ce « successeur de Hollande » à un dictateur en herbe. C'est si peu crédible et énorme  qu'on a du mal à croire que ça puisse passer. Quoique? méfions-nous : Trump c'était pire dans le n'importe quoi et les Américains (certes de grands enfants) ont mordu assez pour l'élire?

Pour conclure, Mme Le Pen et M. Macron nous engagent l'un et l'autre à croire  à des choses impossibles - et si nous ne les croyions pas ne serait-ce qu'un tout petit peu, nous serions incapables de placer notre bulletin pour l'un d'entre eux.

L'un et l'autre nous incitent impétueusement et naïvement à les suivre non par défaut (parce que nous détestons l'autre) mais par adhésion.

Dans les deux cas il me semble difficile d'accéder à leur souhait et je ne saurais blâmer ceux qui, dans la joie (M. Emmanuel Todd), la colère ou la morosité s'apprêtent à s'abstenir. Il me semble inutile de les bassiner à coups d'injonctions morales comme on le fait en vain depuis tant d'années.

Toutefois, en ce qui me concerne, mon système intérieur de poids et mesures me donne un résultat sans illusions mais sans ambiguïté : je voterai Macron - et plutôt deux fois qu'une, puisque ma femme, en voyage professionnel, a bravé les files d'attente pour me donner sa procuration avant de partir.


DEGAGISME ET BARRAGISME...

... LES DEUX MAMELLES DE LA DEMOCRATIE

 

Passé le soulagement vague que le duel du 2e tour de la présidentielle ne soit pas l'un de ceux que l'on peut pouvait craindre surgissent quelques amusements : que dans la continuité historique de ses meurtrières batailles internes, l'extrême gauche française n'arrive pas à se mettre d'accord sur une candidature unique susceptible de rassembler le score vertigineux de 2 % ; que MM. Cheminade et Lassalle aient pu prolonger, malgré les obstacles institutionnels, la glorieuse tradition du candidat impossible inaugurée en 1965 (Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître) par l'inoubliable et larmoyant M. Barbu (« Barbu n'est pas un traître ! »).

Puis on en vient à s'interroger sur deux grand « gismes » dominants de la vie politique locale.
Le « dégagisme », nous assure-on, a été l'une des arques de cette campagne : à voir sur les étranges lucarnes les visages des gagnants et perdants de tous les camps, on peut s'interroger. Dégageront-ils, ces infatigables partouzeurs des plateaux, sarkozystes contrits, hollandistes honteux, les Copé, les Dray, les Bayrou, les Le Guen ? Et en 2022 reverrons-nous M. Mélenchon, lui-même venu se réinventer en hologramme de l'insoumis vainqueur ?

Puis vient le « barragisme ». Né il y a quinze ans avec la qualification de M. Le Pen pour le 2e tour (non, Marine, tu n'es pas la première !), celui-ci tend à devenir le grand facteur unificateur des partis de gouvernement traditionnels : que l'on soit de droite ou de gauche, on veut « faire barrage ». L'image de MM. Fillon, Hamon, Juppé d'un côté, de l'autre Mmes Pécresse, El Khomri, Vallaud-Belkacem, tous enlacés sur une place publique pour faire rempart de leur corps aux hordes lepénistes a quelque chose de terrifiant et grotesque qui pourrait donner envie de s'abstenir. Depuis quinze ans que ces résistants courageux font barrage, le Front National a connu une ascension irrésistible, passant de groupuscule d'extrême droite à alternative de gouvernement crédible, le tout malgré le barragisme démocratique intense qui l'attend à chaque coin de rue - et je m'en voudrais de ne pas mentionner les groupes de militants qui vocifèrent et cassent à toutes les occasions pour nous persuader que le fascisme ne passera pas.

Ayant voté pour M. Macron au premier tour, non par résignation mais parce qu'une certaine modération de tempérament sur nos terres furieuses me paraît bienvenue, il semble raisonnable de penser que je m'exécuterai à nouveau dans deux semaines, espérant seulement ne pas avoir entre-temps les oreilles cassées par la clameur barragiste et rêvant, sans trop y croire, que cet Amiénois supporter de l'O.M. réussisse à préparer un gouvernement point trop entravé par les guerriers dégagistes.

 


TOUS VICTIMES, TOUS REBELLES !

La rhétorique révolutionnaire a gagné peu à peu le centre de l'espace public.

Souvenons-nous : l'opprimé prend conscience de sa condition qui justifie sa rébellion. Les masses d'abord ignorantes puis sceptiques le suivent et le peuple triomphe enfin. Cette tactique a réussi à M. Trump, milliardaire « victime » des médias ultra-libéraux (une insulte là-bas aussi, mais pas dans le même sens) et des politiciens de Washington terrifiés par son audace tweetante.

La majorité de nos candidats ont adopté cette posture : victimes du système, même si celui-ci les a nourris depuis longtemps (et les nourrit encore), ils se rebellent contre lui et entendent faire table rase. M. Sarkozy prônait la rupture, M. Hollande le changement, mais au moins à l'époque de leur ascension ne tentaient-ils pas de nous faire croire que des forces mystérieuses s'exerçaient contre eux. M. Sarkozy a caressé le rêve de construire sa reconquête du pouvoir sur le mythe de cet acharnement - au moins s'est-il interrompu en route, comme M. Hollande, que son impopularité croissante a dispensé de débusquer un complot.

Sans procéder à un catalogue, observons nos candidats: fonctionnaires, syndiqués protégés, élus, fortunés par héritage ou sens des affaires, ils se présentent presque tous comme des victimes.  On refuse la télévision aux « petits » ; M. Dupont-Aignan est tellement obsédé à l'idée de s'en plaindre, qu'il refuse de détailler son programme sur TF1 et tente un « messieurs les censeurs, bonsoir ! ».  Victime aussi de persécution judiciaire, Mme Le Pen (dont l'assiduité au Parlement européen qui la paie mériterait à tout autre salarié un licenciement pour faute grave), victime, la même qui dénonce la bureaucratie bruxello-strasbourgeoise et fait payer des militants sur son budget. Victime M. Fillon, non de ses amis peu fréquentables ou de ses mauvaises habitudes de gestion personnelle, mais des pratiques abjectes d'un cabinet noir ; victime aussi M. Hamon,  des « trahisons » de ses camarades socialistes. Au nom du peuple, tous résistent, refusent de se laisser intimider et se battront jusqu'au bout.

M. Mélenchon, insoumis professionnel et qui veut détruire le « système », n'essaie pas, au moins, de se présenter en victime. Le modeste appartement d'une centaine de mètres carrés  qu'il a acquis grâce à l'argent du contribuable et décoré, déclare-t-il,  "avec un goût exquis", a pris ces dernières années assez de valeur pour le placer dans les premiers patrimoines des candidats. Tant qu'un complot ne se développe pas contre lui, il n'a aucune chance d'être élu. Sa VIe République attendra d'autres hérauts.

M. Hamon, ex-chef frondeur, et n'étant une victime que de ses pairs, aura du mal sur ce terrain bien qu'il ne soit le modeste propriétaire que d'une Opel Corsa 2006.

M. Macron, « privilégié » d'origine modeste et qui s'est élevé dans la société à force de travail et d'intelligence, n'a pas, jusqu'ici tenté de montrer sa place dans l'invincible camp des victimes. Du moins lui aussi est-il « anti-système » avec modération. Cela lui suffira-t-il pour être élu ? A suivre?


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