Antoine Audouard

Blog de Antoine Audouard


LOIN DES LUMIERES

Je lui parlais chaque jour presque : avec son français d'une parfaite précision il avait conservé son merveilleux accent de  « paysan du Danube», comme il disait, ou  de « Bougre » - comme j'aimais à l'appeler. Deux ans après son décès, à  deux semaines de ce qui eût marqué son 80e anniversaire, je pense souvent à  Tzvetan Todorov. Il me manque - son amitié, sa culture encyclopédique, sa simplicité, sa bienveillance, tous traits que j'évoque lorsque je vois que dans cette époque de progrès sans  limite, on  dessine une croix gammée sur le visage de Simone Veil, on inscrit « Juden » sur l'enseigne du restaurant « Bagelstein », on tague sur une rame de RER « Mbappé enculé de nègre enjuivé ».

Certes nous ne sommes plus à l'époque où un antisémitisme discret et courtois régnait chez des politiques qui n'étaient pas d'extrême-droite. Face aux actes antisémites, aucun ministre ne viendra déplorer - comme M. Barre à l'époque de l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic -  que des « Français innocents » soient victimes et, jusqu'au Front national, aucun dirigeant n'oserait - en tout cas en public -  prétendre  que ces faits sont des « détails » de l'histoire de France contemporaine. Le choeur   dénonce, s'indigne, outragé, une députée propose Mme Weil comme Marianne, on nous concocte en hâte une nouvelle loi contre la propagation d'injures antisémites ou racistes sur les réseaux sociaux. Sur ces sujets, comme d'autres, il est à craindre que la parole politique officielle - celle des gouvernants aussi bien que celle de leurs opposants républicains - n'ait perdu sa crédibilité, comme elle l'a perdue en tant de domaines. On la décrie allègrement avec la minable « quenelle » antisystème  (appelons-la « la quenelle antisémite», ce sera plus simple et au moins les trois derniers naïfs qui peuvent encore croire être de grands rebelles en pratiquant le geste sauront à quoi s'en tenir) de  Dieudonné, martyr oubliable de la liberté d'expression. On s'en voudrait de recommander le silence car une dénonciation ferme, sans être un garde-fou efficace, est au moins la confirmation qu'il n'y a pas de complicité tacite entre le pouvoir  et ceux qui, gilets jaunes ou pas, tolèrent ou encouragent ces âneries criminelles.  

 Triste à constater : autant beaucoup de « stars » d'horizons divers se sont précipitées pour sauter dans le wagon jauniste, autant  les mêmes se font maintenant discrets, peut-être par peur de passer pour des suppôts du mythique lobby sioniste soi-disant régnant dans les médias et la finance. On aimerait là-dessus mieux entendre les voix d'intellectuels, d'artistes, ou de personnalités non politiques - celles aussi de « vraies gens » (drôle de circonlocution pour éviter l'adjectif « ordinaire ») blessés, en tant qu'êtres humains juifs ou non juifs, que loin des lumières de telles pratiques soient perpétrées et  passent pour acceptables  au nom du respect dû aux « exclus » et aux « victimes » d'une société cruelle.

On ne saurait par ailleurs trop recommander aux éditeurs installés - dans la presse ou l'édition - de traiter les écrits  historiques antisémites avec la même rigueur qu'ils  réservent aux écrits racistes ou légitimant l'esclavage, en résistant à un entrisme pratiqué avec perversité par de pseudo-intellectuels  à en-tête universitaire ou médiatique et qui, sous couvert d'histoire intellectuelle, ne cessent d'offrir à la réédition une propagande antisémite littéralement vomitive. Que les pires écrits de Maurras, Rebatet, Drieu ou Céline n'aient pas été lus par les crétins qui ont tagué Simone Veil ou Mbappé (non, je ne compare pas le jeune buteur du PSG avec Mme Veil !), c'est certain, mais leur diffusion ordinaire contribue à alimenter un substrat qui, loin des lumières, alimente d'éternels préjugés. Sans se croire dans les années 1930, on a déjà la preuve que  certains  mots  ne sont pas des « bruits qu'on fait avec sa bouche», mais qu'ils ont des conséquences. Face à ces mots, ces insultes qu'avons-nous à disposition que d'autres mots ? C'étaient ceux de Tzvetan, qui avait d'ailleurs consacré un livre à l'histoire du sauvetage des Juifs bulgares et pratiquait au quotidien l'esprit de tolérance et de modération dérivé de l'esprit des Lumières, sur lequel il avait si souvent - et si bien ! - écrit.

Référence : pour ceux qui connaissent mal Tzvetan Todorov   comme pour les autres, je ne saurais trop recommander un ouvrage posthume et passé  loin de la lumière des grands médias: Lire et Vivre (éditions Robert Laffont, 2018)

Anti-référence : personne à ma connaissance ne nous annonce la réédition de la France Juive - quoique l'association des amis d'Edouard Drumont, toujours active si je ne m'abuse, soit sans doute à l'oeuvre pour y parvenir.

 


LIBERTE LIBERTE CHERIE !

D'un séjour de trois semaines à New York, plutôt que les habituelles « trumperies », je préfère retenir deux beaux exemples de liberté. Pas plus critique d'art que de cinéma, je me permets de partager quelques réflexions personnelles inspirées par deux découvertes en ces domaines.

Le premier est le film Can you ever forgive me ? Parce que sa (géniale) actrice principale est Melissa McCarthy, il sera sans doute classé « comédie » - c'en est une, et c'est beaucoup plus que cela. Racontant l'histoire de la célèbre faussaire américaine Lee Israel qui, pour survivre à une carrière en panne et payer les factures, tapait sur de vieilles machines à écrire des lettres de  stars littéraires de l'époque, comme Dorothy Parker ou l'auteur de théâtre Noel Coward (elle alla jusqu'à écrire une lettre de Marlene Dietrich), la réalisatrice Marielle Heller (je ne connaissais pas) donne un film transgenre - si j'ose, car ses protagonistes sont  homosexuels l'un et l'autre : ils  développent une amitié fortement alcoolisée  (un classique) et leurs répliques ( à la hauteur de Melissa se situe son partenaire, l'excellentissime Richard E. Grant) donnent le contour émouvant de l'amitié entre deux solitaires à la dérive. Le film n'est encore diffusé que dans quelques salles à New York  mais - oscarisation ou pas - nul doute qu'il ne vive une vie plus épanouie dans les mois à venir.

Dans un autre registre, l'exposition des dessins d'Eugène Delacroix au Met offre un exemple de liberté artistique qui pourrait inspirer beaucoup d'intégristes de « l'art véritable ». Je m'attendais à voir des chevaux et il y en a - comme il y a des Arabes montés sur chameaux ou bien assis, en costumes de couleurs, fumant le narguilé.  Mais ces séries shakespeariennes, inspirées par Hamlet ou Othello (trois minuscules aquarelles, à l'entrée de l'exposition), mais ces caricatures qui ne le cèdent en rien à celles de Daumier !  A côté  des dessins préparatoires de célèbres tableaux, l'on voit les essais d'un artiste de 20 ans qui copie sans relâche les maîtres qu'il admire avant de croquer d'un trait, comme un dessinateur de presse, les figures grotesques d'un débat parlementaire. Il n'est pas l'un « ou » l'autre, il est l'un et l'autre, comme en témoigne ce petit chef d'oeuvre où, à côté d'une lionne couchée flotte le profil d'Ingres, rival de Delacroix qui, quoique libre à sa façon, ne se fût pas aventuré à ces fantaisies-là.

Comme il est bon de constater parfois que prendre l'art au sérieux n'oblige pas à renoncer à la liberté et à se prendre au sérieux.

 

Références :

Can you ever forgive me, film de Marielle Heller tiré du livre éponyme de Lee Israel avec Melissa McCarthy et Richard E. Grant.  Produit par Anne Carey, à qui l'on devait aussi, entre autres, l'excellent et inclassable Mr. Holmes. Sortie française ?

Les dessins de Delacroix : exposition au Metropolitan Museum of Art de New York, jusqu'au 6 janvier 2019.


MAUVAIS QUART D'HEURE

 

Le « quart d'heure de gloire » de chacun prophétisé par Andy Warhol  - et qui à l'âge des réseaux sociaux est bien souvent un quart de seconde-  trouve jour après jour son héros plus ou moins malheureux. Après M. Jawad, logeur de terroristes qui voulait seulement «rendre service», après les bévues de gardiens de but de foot, et les « off » de M. Wauquiez,  voici  en boucle la vidéo du révérend Ellis, qui ne restera pas dans l'histoire pour ses prêches ou son combat pour l'écologie et la paix mais pour avoir (intentionnellement ? malencontreusement ?) caressé la poitrine d'Ariana Grande pendant la cérémonie de commémoration  consacrée à Aretha Franklin.  Au lieu  - oubliant que tout était filmé  et qu'aucun geste n'était donc « off » - de déclarer que « jamais il ne ferait une chose pareille », le pasteur Ellis aurait été mieux inspiré (et sans doute plus proche de la vérité) s'il avait avoué que la chanson « You Make Me Feel Like a Natural Woman » interprétée brillamment et avec émotion par la jeune femme,  lui avait donné des idées et que, dans le désert sexuel de sa vie il n'avait pas su se contrôler.  A soixante ans passés, on  a quand même le droit  d'être un « natural man », bordel, même à l'ère de Harvey.


Mettre le Trumpomètre à 0

 

Observant pendant l'été 2016, la résistible ascension de Donald Trump qui, de gaffe en gaffe, de mensonge  grossier en mensonge éhonté, de provocation  grossière en provocation vulgaire, traçait son chemin vers la primaire républicaine, je me demandais avec incrédulité si cela pouvait aller jusqu'au bout. On sait où l'on en est aujourd'hui et Donald Trump n'a pas déçu : les audiences mondiales de son show de télé réalité sont au top et le président Trump se comporte dans la droite ligne du candidat Trump. C'est pourquoi ce serait une grave erreur de penser que l'ensemble de ce qui lui oscille au-dessus de la moumoute (collusion avec les Russes, actrice porno payée en sous-main pour la boucler sur leur liaison) puisse être un facteur décisif dans sa réélection. Comme il l'a expliqué avec un cynisme délicieux dans une interview à son ennemi médiatique favori, le New York Times, Trump c'est bon pour le business : la vente des journaux, les audiences télé, les livres pro et anti - et même les casquettes!
Si l'on est sérieux, il faut croire qu'un candidat démocrate ou indépendant (Bloomberg ?) saura se détacher des émotions attachées à la personne de Trump, pour faire ressortir ses incohérences politiques, ses mensonges économiques et son travail inlassable pour rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres.

Si l'on n'est pas sérieux, on rêvera d'une secrète alliance universelle pour mettre le trumpomètre mondial à zéro : une journée où l'on ne parlerait pas de lui, où son nom ne serait pas cité, une journée devenant une semaine puis un mois, un trimestre, deux, au terme desquels l'action Trump s'effondrerait en bourse et il n'aurait comme ressource que demander asile à ses derniers  vrais amis : Poutine, Erdogan, Orban ou Kim Jong-un.

 


MISE EN ACCUSATION

Les Lilliputiens sont mis à toutes les sauces, on sourit des bagarres entre Petits et Gros-boutiens, mais qui se souvient des géants habitant Brobdingnag, des  obsédés de mathématiques de l'île de Laputa ?

Je n'avais jamais lu les Voyages de Gulliver sinon en français dans des éditions abrégées et illustrées pour les enfants.
Dans mon train quotidien pour White Plains, la joue calée contre une affiche vantant Gulliver's Gate, la nouvelle attraction de Times Square, je me suis plongé ce mois d'août dans l'intégrale en anglais du chef d'oeuvre de Swift. J'y ai retrouvé la délicieuse fantaisie de mes maigres souvenirs, ainsi que la satire sociale et politique, la dénonciation de la colonisation vantées par les historiens de la littérature. J'y ai  de plus découvert un aspect qui ravirait mon ami Bizot : une mise en accusation féroce de l'espèce appelée homme : cruel, hypocrite, encore plus odieux en «civilisé » qu'à l'état de nature, il est presque toujours et partout - grand ou petit - détestable, et l'on comprend le pauvre Lemuel Gulliver, ayant survécu aux dangers de tous ses voyages, de se réfugier au milieu de ses chevaux en limitant au minimum ses contacts avec ses congénères. Malgré la fréquentation des foules de la gare de Grand Central, ni pires ni meilleures que celles des gares parisiennes, je ne rejoins pas ce Gulliver chauffeur de taxi  jaune, dont le rêve est d'échapper aux « assholes » new yorkais proliférant pour se réfugier sur une île déserte.


L'homme comme yahoo

De Montaigne à Todorov en passant par Montesquieu, de nombreux philosophes ont démasqué notre tendance à voir en l'étrange étranger, dont la langue et les coutumes sont différentes des nôtres, un barbare radicalement autre, une «brute» incivilisée et donc exploitable, massacrable à merci : cette illusion-prétexte est même un des éléments tragiques de ce que Todorov appelle «la signature humaine».

Une scène du voyage final de Gulliver illustre magnifiquement la même idée : lors de ce qui sera son ultime voyage, Gulliver découvre le pays des Houynhnms (chevaux parlant et sages qui dominent les «yahoos» à forme humaine mais noirs de poils comme de saleté.) Dès qu'il les a aperçus, Gulliver a été animé de la certitude que si la ressemblance - aussitôt découverte par les Houynhnms - n'était pas contestable, il n'était, lui, pas comme ces ignobles brutes marchant à quatre pattes, se servant de leurs ongles comme de griffes et incapables de s'exprimer autrement que par des grognements, des cris ou  des gémissements. Toutefois alors qu'il se baigne dans un cours d'eau, une jeune yahoo aperçoit Gulliver nu et, saisie d'un violent désir pour lui, se précipite pour l'embrasser. Défendu par le cheval attaché  à sa protection,  Gulliver échappe à une étreinte qui lui répugne et le trouble car il se voit contraint de reconnaître en cet être hirsute et repoussant comme une autre moitié de lui-même. Dans la violence instinctive du désir sexuel à l'état de nature, le voici forcé de reconnaître, non seulement son ancêtre et cousin  disparu Néandertal  (que les descriptions de la paléo-anthropologie  moderne rapprochent nettement de celle Swift) mais - au-delà de la lointaine filiation - l'évidence de sa condition de yahoo, c'est-à-dire d'homme.

 


HALTE A LA VIOLENCE DES FEMMES !

 

Fait divers : M.L. vient d'avouer avoir étranglé sa femme. « Accidentellement »,  affirme-il.  Une dispute qui a mal tourné?  A quoi son avocat ajoute aussitôt que, dans le couple, ce n'était pas l'homme qui était violent, mais la femme?

Cela m'a rappelé des souvenirs. La « dispute »  au cours de laquelle Bertrand Cantat tue Marie Trintignant : un malheureux accident dans la vie d'un couple turbulent. Sa défense a-t-elle prétendu que Mlle Trintignant, sous ses dehors charmants, était une furie qui faisait vivre l'enfer au chanteur de Noir Désir ? Je ne m'en souviens pas.

Lors d'un voyage en Argentine, il y a pas mal d'années, on nous offrit de rendre visite à Carlos Monzon. Le boxeur était emprisonné pour avoir jeté sa femme par-dessus le balcon : elle était morte. « Un accident », insistaient les amis du boxeur, ils se disputaient souvent et Susana (le nom de l'infortunée) avait du répondant. Il en fallait face à un boxeur vainqueur de 87 combats  et quinze fois champion du monde ; le jeu de jambes de Susana n'était pas assez affûté ce jour-là. Le manque d'assiduité à l'entraînement se paie cash.

Loin de crier haro sur ceux qui tuent leur conjointe, nous devrions considérer - ce à quoi l'avocat de monsieur L. s'emploiera sûrement - en quoi leur geste n'a été qu'une réponse légitime, quoique maladroite, à la violence dont ils étaient victimes de la part d'hypocrites  harpies à qui la société pardonne tout.


LE MEILLEUR DES BOUGRES

 

Il y a vingt ans, après un long accouchement intérieur, je mis en oeuvre la décision  (« idiote » selon la charmante dégère du groupe) de mettre fin à ma « carrière » dans l'édition. Quelques-uns de ceux que j'avais rencontrés me demandèrent si je voulais bien les accompagner. Nul ne me fut proche que Tzvetan Todorov, « paysan du Danube », comme il se qualifiait avec un humour  dont une majorité d'intellectuels français sont hélas démunis, ou bien « bougre », c'est-à-dire bulgare, comme je l'appelais tendrement surnommé, étant un peu bougre moi-même, Tzvetan fut pour moi un ami à la Tchekhov : un des rares aussi admirables par son oeuvre que par son être pour  son tempérament tendre, don exigence intellectuelle, sa tolérance, son amour de la vie, sa curiosité spontanée , sa simplicité - tous traits qui se retrouvent d'ailleurs dans  ses livres.  En décembre 2016, à la veille de mon départ pour un séjour de médecine ayurvédique en Inde, j'étais passé le voir  chez lui, près des arènes de Lutèce. Fatigué, il n'avait pu participer à la promotion d'un ouvrage où sa connaissance intime de la culture et de l'histoire russes s'exprimaient de façon admirable. Il n'avait plus  l'envie ou la force, m'expliqua-t-il, de se lancer dans ces longues randonnées intellectuelles qui exigent des années de lectures, de synthèse, de réflexion tranquille. Il souhait plutôt rassembler les nombreux textes courts (articles, préfaces, interventions dans des colloques), dits improprement « de circonstance » car si c'est la circonstance qui les provoque, ils émergent du plus profond de l'être, dans ce qui fait le fond de sa culture et de son caractère. Il s'employait à les organiser, une tâche à laquelle sur son lit d'hôpital il consacra ses dernières forces avec l'aide de Sacha et Léa, enfants aussi aimants qu'ils étaient aimés. Ainsi naquit le livre qui paraît dans quelques jours, un an presque jour pour jour après le décès de Tzvetan. Le philosophe André Comte Sponville,  proche entre les proches  et lecteur  attentif des livres de son ami, a bien voulu surmonter ses réticences d'humilité et introduire son ainé en prêtant plus que son nom  et quelques lignes  de convenance

Pour ceux qui le lisaient déjà comme pour ceux qui le prenaient pour un « maître penseur » universitaire indifférent aux labeurs et aux souffrances des hommes, voici l'occasion de faire connaissance avec le « meilleur des  Bougres » : un ami qui ne  les quittera plus et leur réchauffera l'âme aux jours de fraîche grisaille.

 

Références:

Tzvetan Todorov, Vivre et Lire, préface d'André Comte Sponville (Robert Laffont/Versilio, parution le  1er février 2018)

Du même,  Le Triomphe de l'artiste (Flammarion/Versilio, 2017)

Sans oublier ses nombreux ouvrages disponibles dans la collection Points Seuil,  et le volume Le siècle des totalitarismes (Robert Laffont/Bouquins, 2016)

 

 


SOLIDARITÉS DESORDONNEES

« Personne ne peut tout faire, mais chacun peut faire quelque chose. » La phrase du poète et musicien Gil Scott-Heron me revient souvent en mémoire.

Sans vouloir me transformer en professeur de morale ou en curé en chaire (c'est un peu tard, je le crains), il me semble que ces temps de célébrations familiales et amicales sont propices à la méditer et à la mettre en pratique, chacun à notre façon.

En plus de l'aide spontanée, instinctive, que nous apportons à ceux de nos proches qui en ont besoin, il nous est possible d'élargir le cercle et de contribuer à notre mesure, à notre échelle, à faire ce « quelque chose », ce misérable petit quelque chose qui ne change pas le monde, ne sauve pas la personne - mais allège une condition, permet un repas, le paiement d'une note de chauffage. Certains de mes amis consacrent à ces « oeuvres », comme on disait autrefois, une part fixe de leurs revenus annuels. Nous sommes plus désordonnés, mais nous tachons chaque année de penser aux associations qui nous  tiennent à coeur ou à des personnes que nous savons dans la difficulté et de  faire  ce geste simple de glisser un chèque dans une  enveloppe - ça ne nous empêche pas d'être normaux, banals en dépensant trop d'argent pour les cadeaux des enfants et les menus de repas de fête mais, toute question de responsabilité et de culpabilité à part, cela nous donne l'impression de prendre place dans ces chaînes de solidarité invisibles de bonté privée, sans témoin, qui relient les humains au-delà du « chacun pour soi ».

Bonne année !

 

PS : association Art et Solidarité Warl.  www.as-warli.com

 

 


ELECTIONS : TCHEKHOV 1 - Trump 0

 

Il y a un an, à la stupéfaction générale (la sienne comprise) Donald Trump était élu président des Etats-Unis.

Le lendemain, je rendais visite au plus jeune de mes vieux copains, le merveilleux Guy Leverve, atteint de la maladie de Charcot et qui, après des mois de lutte pour continuer à vivre seul dans son petit appartement avec l'aide de ses deux fils et de quelques proches, venait de jeter l'éponge et de se faire admettre à la maison de soins palliatifs Jeanne-Garnier dans le 15e à Paris. Allégé, pris en charge, ayant mis ses affaires en ordre, il connaissait un répit dont il profitait pour lire, peindre de belles aquarelles et plaisanter avec les infirmières. Dès mon entrée, je l'entendis pester contre le businessman et je protestai mollement.

-      Franchement, vu où tu en es, tu n'en as pas un peu rien à foutre, du Trump !

Je me pris une volée de bois vert modèle vieux gaucho non repenti.

-      Mais tu ne te rends pas compte, c'est Hitler, ce mec!

Sur ce, Guy m'indiqua sur son étagère le gros volume de la correspondance de Tchekhov - quatre ans de travail pour ma voisine Nadine afin de choisir et traduire un petit millier de lettres. Il avait, avant son admission commandé l'ouvrage à sa libraire de quartier, dans le 12e, et voulait que je lui dédicace, ce que je fis de bonne grâce, découvrant à l'occasion ses origines en partie russes.

Dix jours plus tard, lors de ma visite suivante, non seulement il avait lu les trente pages de ma préface - mais l'intégralité des lettres. Il ne fut plus entre nous question de Trump, mais nous comparâmes nos lettres favorites de cet ami que nous n'avions pas connu mais qui s'offrait à nous, familier, tendre, ironique, nécessaire.

Sur ce, amis lecteurs, comme le grand Anton Pavlovitch concluait souvent ses lettres, soyez sereins et joyeux, oubliez Trump un jour ou deux, et votez Tchekhov !

Référence : Vivre de mes rêves, lettres d'une vie, choisies, traduites et présentées par Nadine Dubourvieux, préface d'Anton Ivanovitch Audouard (collection Bouquins, Robert Laffont, 2016)

 


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