Antoine Audouard

Blog de Antoine Audouard


TRUMP LE ZOMBI

L'ex-président Trump a été déclaré politiquement mort un tel nombre de fois qu'il est devenu difficile de hasarder le moindre pronostic sur le futur de ce zombi politique qui reçoit des balles de tous côtés et repart à l'attaque, plus vindicatif que jamais.

Pendant sa première campagne pour les primaires, il avait été lâché par le populiste New York Post pour avoir tenu d'inacceptables propos au sujet du républicain John McCain qui refusait de le soutenir. McCain, un des rares hommes politiques respectés dans les deux camps, n'était pas selon Trump un « héros » de la guerre du Vietnam, parce que les vrais héros « ne se font pas prendre », mais un « idiot » (dummy) et un loser. Rappelons qu'en 1967 l'avion piloté par M. McCain ayant été abattu, celui-ci a été fait prisonnier, puis torturé  si gravement qu'il en a eu des séquelles pour la vie ; détenu dans le « Hilton de Hanoï », la terrible prison de Hoa Lo, M. McCain a eu l'occasion de se faire libérer et rapatrier dans son pays mais il a refusé tant que tous ses camarades n'étaient pas également libérés. Ce courage et cette dignité étaient incompréhensibles pour Trump qui avait choisi d'accabler un de ses critiques, faisant oublier que de report en report, il avait obtenu de ne jamais partir servir au Vietnam.

Il était alors politiquement mort, ce qui ne l'a pas empêché de vaincre ses adversaires républicains puis d'emporter son élection face à Mme Clinton grâce à un étrange système électoral qui fait que dans le régime présidentiel de « la plus grande démocratie du monde », ce n'est pas nécessairement le candidat ayant le plus de voix qui l'emporte sur son adversaire. Une campagne menée à coups de provocations et de mensonges a débouché sur une présidence de la même eau. Sa présidence chaotique, sa gestion erratique de la pandémie de Covid, les preuves répétées d'un comportement privé plus que douteux, des liens non moins douteux avec les intérêts russes et des « affaires privées » de toutes natures ne l'ont pas empêché de prendre en otage le parti républicain (celui de Lincoln, quand même). Trump s'est surtout constitué une base de « fans » si large qu'il a, ne l'oublions pas, failli être réélu contre M. Biden il y a cinq ans, obtenant dans sa défaite plus de voix que lors de sa victoire (74 millions au lieu de 65). Son attitude d'alors, il l'avait annoncée dès sa première campagne, déclarant que le seul résultat légitime serait sa victoire. C'est pourquoi, après sa défaite, ses accusations de fraude électorale massive, toutes dénuées de fondement qu'elles fussent, n'avaient rien de surprenant. M. Trump a franchi un cap supplémentaire en intervenant directement auprès d'élus locaux pour que des résultats soient changés en sa faveur ; non content, il a appelé ses partisans à l'insurrection. Sa responsabilité dans ces deux attaques contre les institutions est rappelée dans les actes d'accusation précis et détaillés qui viennent d'être établis contre lui. Dans ces conditions, il est inquiétant de constater qu'il mène largement dans les sondages le peloton des candidats républicains à l'élection de 2024 ; à deux exceptions près, ses concurrents n'osent pas l'attaquer, craignant de perdre son éventuel soutien ou celui de ses électeurs s'il est amené à se retirer de la course - ce qu'il n'a aucune intention de faire, utilisant même l'accumulation des charges contre lui comme des arguments de campagne prouvant qu'il est une « victime » du « système ». Avec tout ça, on passe de l'inquiétant à l'affolant en découvrant les premiers sondages d'un « rematch » contre Biden qui indiquent une élection serrée.

 

 A l'heure (tardive) des décisions à prendre face au bouillonnement climatique, les États-Unis et le monde vont-ils être enfin débarrassés de Trump  qui a donné tant de preuves de son mépris pour l'environnement et de sa soumission au lobby pétrolier? Hélas non ! les zombis ne meurent pas comme ça.


PAUVRE NONO

Meurtrier d'une petite fille, M. Nordahl Lelandais est voué à une condamnation lourde et incompressible ; de plus, comme il est fréquent en ces sortes de crimes, il est l'objet d'une détestation dégoûtée de la part de chaque citoyen/parent. À voir comment son propre frère, qui lui n'a rien fait de mal au regard de la loi, a été insulté et menacé, on frémit de penser aux sévices qu'il est susceptible de subir en prison de la part de ses gardiens et codétenus - ces derniers surtout.

Ni les jurés d'assises ni les jurés moraux que nous sommes ne sont convaincus par ses explications embarrassées : non, il n'a pas violé la petite Maëlys avant de l'assassiner et de dissimuler son cadavre, il s'agit d'un malheureux accident, un malentendu, une petite dispute qui a mal tourné. Il ne va quand même pas jusqu'à dire ce qu'une amie psychiatre à Fresnes avait entendu de la bouche d'un criminel sexuel : « Je vous jure, docteur, la petite m'a regardé d'un air provocateur. »

Salaud ! Monstre ! Menteur !

Si la peine de mort existait encore, la vox populi la lui infligerait aussi sec - et il ne manquerait pas de volontaires (et bénévoles, avec ça !) pour remplir le rôle noble et ingrat du bourreau.

Or tout cela est un affreux malentendu que je vais tenter de dissiper.

Tout d'abord, M. Lelandais n'est pas seulement le meurtrier accidentel d'une enfant, il est simplement victime de la malchance, une terrible scoumoune ; ainsi est-il probable, malgré ses dénégations, qu'il ait également tué involontairement un jeune militaire - majeur pour sa part et manquant terriblement de réflexes car sinon il aurait évité l'accident. Le garçon n'était pas fait pour l'armée, corps où M. Lelandais avait effectué une carrière de maître-chien plus qu'honorable.

Examinons maintenant les témoignages sur sa personnalité.

Mis en pension, il aurait été victime d'abus sexuels - ce qu'il nie avec vigueur.

Sommé de donner des signes de sa précoce perversité, son propre frère se dit incapable de se le représenter en « tueur froid » et émet l'hypothèse étrange qu'il « protège quelqu'un ». Sa soeur ne comprend pas.

Une ex-petite amie le décrit comme dangereux. Témoignage négligeable : l'ex est souvent vindicative et partiale, on le sait.

D'autres témoignages tout aussi incertains font état d'attouchements sexuels de sa part sur des petites filles. Ouais ! À l'époque « woke » où nous vivons, un câlin à une petite, c'est un début d'abus - et Lewis Carroll, l'auteur d'Alice au pays des merveilles, serait aujourd'hui mis en examen et écroué. On assiste à ce que les Anglo-Saxons appellent « character assassination ». Le coupable n'est pas seulement coupable de ses crimes, il est coupable d'être lui-même - coupable tout court. Dans le temps, une condamnation à mort aurait mis un terme à ses épreuves mais le progrès de la société n'autorise plus ce geste humanitaire et il va être condamné « à vie ». Il lui restera tout le temps de méditer cette grande pensée de Woody Allen : « L'éternité, c'est long, surtout vers la fin. »

Ces derniers jours, ont défilé à la barre ses potes de jeunesse. Ils ne connaissent pas le prédateur toujours à l'affût, le tueur froid, le monstre. Pour eux il est « Nono », le type sympa, toujours prêt à faire la fête, serviable et dévoué, le genre qu'on « appelle à deux heures du matin », dit l'un d'eux, si on en a besoin.

Ajoutons que M. Lelandais s'est déclaré désolé de tout cela et qu'il a présenté ses excuses à la famille de la victime. Il y a tout à parier que celle-ci ne les acceptera pas, ce qui est compréhensible mais bien malheureux. Pour une fois qu'avec une sincérité incontestable, un coupable regrette, on le rejette. Pauvre Nono?

P.-S. Sur la peine de mort, je viens de revoir le beau film de mon ami disparu José Giovanni, Deux hommes dans la ville, où un Jean Gabin âgé et qui n'y croit plus mais ne renonce pas tente de sortir d'affaire un Alain Delon persécuté par un flic obsessionnel joué avec une cruelle précision par le toujours suprême Michel Bouquet. Delon n'est pas ce bel indifférent qu'on a souvent vu à l'écran, mais un très convaincant rebelle sans cause qui finit par craquer - et le travelling arrière qui montre les quelques instants précédant son exécution est du pur cinéma. Tout condamné à mort aura la tête tranchée. La célèbre phrase de l'ancien Code pénal n'était pas pour rien la favorite de Stendhal et sa disparition laisse un vide littéraire : que peut-il y avoir de plus précis et définitif ? Dans le film, on ne voit pas cette belle tête rouler - et c'est pire. Jamais plaidoyer contre la peine capitale n'aura été aussi efficace en si peu de mots.


HAPPY BIRTHDAY TO ME !

J'ai publié mon premier roman il y a quarante ans. Je venais d'avoir 21 ans.
J'en avais écrit les premières phrases assis au bureau de mon père du rez-de-chaussée de la maison de famille d'Arles, rue Diderot, à deux pas des arènes.
Cela commençait ainsi : « L'université de Nanterre se vide vers le soir. »
Suivaient un peu moins de deux cents pages écrites en un mois dans une exaltation où l'ivresse amoureuse se mêlait à la pure fièvre des mots.
Le livre reçut quelques critiques chaleureuses, des recensions aimables au milieu desquelles se glissèrent quelques lignes méprisantes dans mon quotidien favori qui me blessèrent plus que ne m'avaient flatté l'attention de quelques-unes des figures historiques du comité de lecture de la maison Gallimard, où j'avais été porté sur les fonts baptismaux par l'écrivain Roger Grenier, qui avait bien voulu me lire au nom de l'amitié de jeunesse le liant à mon père - ils avaient travaillé ensemble, non à la NRF mais à France Dimanche où mon père était chargé de reportages au titre engageant type « Epidémie de suicides chez les chats » et « rewritait » les articles de journalistes au nom déjà établi. Roger avait et a conservé un visage rond, mélancolique où brillaient des yeux doux qui, selon mon père, faisaient merveille quand, après un fait divers particulièrement atroce dans le fond des campagnes françaises, ce timide  venait chercher des photos  au fond des tiroirs de familles taiseuses.

Mon copain de rentrée littéraire s'appelait Didier Martin, il était au civil chauffeur de grandes remises - je ne saurais parler de son livre que je lus alors et dont ma mémoire ne conserve pas de traces, titre compris.
J'eus les honneurs d'un voyage de presse collectif de la maison de la rue Sébastien Bottin dont la vedette était Romain Gary : il s'ennuyait avec nous et ne le cachait pas. Dans l'ascenseur de l'hôtel de Lyon où nous étions tous logés, l'écrivain Yves Navarre me tâta hardiment les fesses et je n'eus pas à déployer une force physique considérable pour repousser un assaut timide et sans conviction.

Marie en quelques mots connut des ventes modestes mais raisonnables pour un premier roman et le paiement de mes premiers droits d'auteur finança le billet d'avion vers Beyrouth, où je rejoignis mon amoureuse muse qui m'inspira un deuxième roman hâtif et emporté d'éducation sentimentale.

Longtemps je n'ai pu rouvrir ce premier livre sans un sentiment de honte : ses imperfections me sautaient aux yeux et le « haïssable moi » que j'y voyais exposé avec un art effusif, naïf et  brouillon me gênait affreusement. De ce rejet, seule était épargnée la belle citation en exergue de Benjamin Constant : « Il y a dans la simple habitude d'employer le langage de l'amour, et de se donner ou de faire naître en d'autres des émotions passagères, un danger qui n'a pas été suffisamment apprécié jusqu'ici. »

Ce premier livre est là, rangé avec les autres sur l'étagère des oeuvres familiales : je m'y reconnais aujourd'hui avec une tendresse plus ou moins réconciliée - et pas seulement parce que Marie est le prénom de mon aimée fille ainée.

Happy birthday to me, jeune écrivain dont le coeur vibre, innocent plein de foi qui fut et vit encore en moi.

 


DES PIERRES ET DES HOMMES

 

J'avais 21 ans et dans le car menant de la triste ville industrielle de Homs à Palmyre, je lisais Anna Karénine. Mon voisin de voyage m'a poussé du coude : on arrivait. J'ai refermé mon livre, le coeur battant d'une imprécise attente tandis que les premiers temples de l'ancienne ville de la reine Zénobie allongeaient leurs gracieuses silhouettes vers le ciel  pur de nuages. Tout était sable et bleu. Au sommet d'une aride colline se découpait la masse moins élégante de l'ancien fort où, en 1940, mon grand-père avait été stationné durant la « drôle de guerre ».

Que voit-on passer entre les pierres reconstituées virtuellement de la merveilleuse exposition « Sites éternels » du Grand Palais ? quelques figures humaines, des statues effondrées, des fantômes.
L'émotion qui étreint le passant (on n'ose dire « le visiteur » tant ici les moyens techniques déployés nous donnent l'impression d'être témoins, et non consommateurs culturels ayant acheté notre billet pour l'entrée de 16h30) devant les paysages de Palmyre et de ces autres sites dont l'existence sera désormais essentiellement imaginaire, car leur beauté s'est éboulée non sous l'usure du temps mais sous les bombes, les pelles et les pics, les explosifs...
A quoi ça sert de s'y immerger, pour dix minutes ou pour une heure, à l'heure où les troupes d'Assad fils (un garçon qui a de la branche car il s'en prend à Alep avec la même subtilité destructrice que son père à la sublime Hama) détruisent et massacrent en toute tranquillité ?

On a voulu nous faire croire après le Bataclan, que prendre un verre à une terrasse, assister à un spectacle, étaient des actes de résistance civique. Dira-t-on que faire la queue (espérons-le assez longue) pour visiter ces « sites éternels » est une manifestation d'opposition, un cri de révolte contre ces destructions humaines et artistiques perpétrées par les  ennemis complémentaires du régime syrien et de Daech avec la complicité internationale?  Non ! Ce n'est que l'occasion d'une évocation personnelle sensorielle et puissante, celle d'une méditation poignante.

Que restera-t-il sur ces sites eux-mêmes, quand la guerre se retirera ? L'aurore balaiera-t-elle plus que des ruines ocre et blanches effondrées, émiettées ?  Ou bien sera-ce comme à Cluny, Sparte, Olympie, où le peu qui demeure évoque puissamment la grandeur de ce qui fut ? 

Il n'a fallu «que» trois mois de travail qu'on imagine intense et frénétique, à ma merveilleuse amie Sylvie Hubac, la toute nouvelle directrice de la Réunion des musées nationaux, pour mobiliser les talents, les documents et l'énergie nécessaires à monter ce projet proche de son coeur - car ces lieux furent des rêves de sa jeunesse - de la nôtre, car nos âges commençaient par 2 quand, ayant tout juste publié mon premier roman, équipé d'une machine à écrire portative, je rendis visite au Liban à une stagiaire d'ambassade éblouie de la beauté des lieux et découvrant la perpétuelle folie de leurs occupants. Sa sincérité et une forme de foi naïve ont survécu à la guerre ainsi qu'à l'expérience du service  de l'Etat, à  la répétition des espoirs et des déceptions.

Il ne fallait pas seulement des moyens financiers et technologiques pour réussir pareille exposition; sans un coeur plein d'ardeur tout cela eût échoué ou n'eût été qu'une sinistre reconstitution. - or ces pierres vibrent de vie et nous portent à penser aux hommes qui les édifièrent, à ceux qui y vécurent, ceux qui les admirèrent ou les relevèrent- comme à ceux qui y meurent. Notre ombre se mêle aux leurs, et, promeneurs au milieu de pierres imaginaires, nous contribuons en silence à faire vivre cette vie qui, n'étant plus, à travers  nous se prolonge et n'est pas tout à fait oubliée.

 


L'Express

"3 raisons de lire ... Changer la Vie. Pour son auteur (...) Pour son motif (...) pour son ton." - Marianne Payot

 

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