Antoine Audouard

Blog de Antoine Audouard


LES MOTS DU COMMENCEMENT DU MONDE

Je ne connaissais pas les six conférences que Jorge Luis Borges donna sur l'art de la poésie à Harvard, dans les années 1967-68. On aurait tort de n'y voir qu'une démonstration brillante de la culture immense, toujours inattendue, et l'esprit toujours malicieux du célèbre Argentin. Elles respirent la passion des mots, une passion fondée sur une longue fréquentation, et célèbrent le lien charnel, presque physique, entre les choses et les noms que les hommes trouvèrent pour les nommer. Les mots, dit Borges, ne commencèrent pas en étant abstraits, mais concrets. Et plus loin, semblant presque  se contredire : les mots commencèrent, en un sens, dans la magie


CE QUI N'INTERESSE PERSONNE

Certains veulent que Tchekhov soit parti pour Sakhaline afin d'oublier un chagrin d'amour, d'autres pour émuler Dostoïevski et sa Maison des Morts. Or la vérité, il suffit de la lire de sa propre plume, à la fois dans ce récit qui marque son entrée en littérature, et dans la correspondance qui l'accompagne. Pourquoi un jeune médecin, déjà tuberculeux, entreprend-il ce voyage épuisant ? parce que, écrit-il, cela n'intéresse personne. 


LA MORT, C'EST LA NUIT FRAICHE

L'écrivain Yu Hua ne cesse d'explorer l'hstoire de la Chine contemporaine à partir de personnages dont l'humanité est si profonde, si complexe et si palpable qu'il réconcilie littérature populaire (son livre Revivre a été un best-seller adapté au cinéma) et littérature "sérieuse" - si l'on peut employer ce mot à propos d'un écrivain si rabelaisien dans son inspiration,


ENTRE FRAGMENTS ET UNITE

C'est l'une de ces phrases familières, l'une de celles qui se sont tellement mêlées au langage courant qu'elles rodent tout près des clichés. « Si on me presse de dire pourquoy je l'aymois,?» Dans son dernier livre, la Cité des Mots, Alberto Manguel rapporte la genèse du passage célèbre dans lequel Montaigne exprime, en des termes d'une éloquence qui nous émeut encore à plus de quatre siècles de distance, son amitié avec La Boétie - et au-delà, l'essence même de ce sentiment.


LA VIRGULE QUI TUE

"Aucune pointe de fer ne peut percer glacialement un coeur humain comme un point placé au bon endroit." Cette phrase souvent citée de la nouvelle Guy de Maupassant, d'Isaac Babel, est un appel à la force de la ponctuation qui résonne à la manière d'un verset révolutionnaire. Venant d'un homme qui voulait intituler son autobiographie "Histoire d'un adjectif", cela ne peut surprendre.
 


REPETITION INTERDITE

"Quand dans un discours se trouvent des mots répétés, et qu'essayant de les corriger, on les trouve si à propos qu'on gâterait le discours, il faut les laisser, c'en est la marque; et c'est là la part de l'envie, qui est aveugle, et qui ne sait pas que cette répétition n'est pas faute en cet endroit; car il n'y a point de règle générale."


MAIS DANS QUEL ORDRE

A mes débuts dans l'édition me fut assignée la noble tâche de relire et d'annoter des dizaines de textes écrits pour Pierre Bellemare dans le but de retenir les meilleurs pour l'édition. J'entends encore Jacques Antoine, le « cerveau » de l'atelier Bellemare, qui avait mis au point avec son partenaire ce format retenant quotidiennement des millions d'auditeurs, m'énoncer son principe littéraire de base : « Nous écrivons des histoires avec un début, un milieu et une fin. »


FACE AU MIROIR

 L'éditrice Viviane Hamy a édité ou réédité il y a une quinzaine d'années les ?uvres d'un écrivain hongrois magnifique, Deszö Kosztolanyi, admiré entre autres par Sandor Marai, mais dont l'?uvre ne semble pas suivre le même chemin posthume. Cela nous engagerait dans des réflexions mélancoliques sur le temps comme Grand Rectificateur, car voici un auteur qui eut beaucoup de succès de son vivant (dans les années 20), et risque d'être englouti par l'oubli, de devenir un fantôme. 


FRANÇAIS COMME LANGUE ETRANGERE

L'un des écrivains de langue française les plus admirables nés au cours des vingt dernières années est un ancien journaliste sportif, spécialiste notamment du cyclisme (ce qui le relie à mon parrain Antoine Blondin, mais c'est une autre histoire), qui parsème ses récits de métaphores empruntées au monde des sports.


LORSQUE LE SILENCE SE MET A PARLER

Dans sa préface aux Contes de Karen Blixen, Geneviève Brisac cite cette phrase d'Hannah Arendt : « Lorsque le conteur est fidèle à l'histoire, c'est alors, en fin de compte, que le silence se met à parler. Lorsque l'histoire a été trahie, le silence n'est plus que vide. »


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