Antoine Audouard

Blog de Antoine Audouard


ABUS DE LANGAGE

ça c'est de la (vieille) balle

 

Follohoueurs, follohoueuses, laboureurs, laboureuses, travailleurs, travailleuses, feignassous, feignassoutes, j’ai besoin de vous.

J’ai, comme les plus anciens d’entre vous ne l’ignorent pas, lancé une grande campagne nationale destinée à restreindre l’usage du mot « tuerie » à son sens premier, celui du massacre d’êtres vivants (humains ou animaux). Or cette campagne ne décolle absolument pas et je continue à entendre pas mal de monde – des amis, même – s’écrier « c’est une tuerie ! » pour dire « c’est délicieux, exquis ! » À mes amis juifs qui l’emploient, je signale qu’ils seraient à juste raison profondément choqués si pour désigner le comble du délice on disait « c’est une véritable Shoah ! ».

Sans vouloir jouer les « mécontemporains » à la Finkielkraut, je crois me souvenir que ces dégoûtantes dérives langagières ont débuté avec des expressions dont il fallait, au siècle dernier, quand j’étais un « homme mûr », m’expliquer le sens et qui sont devenues courantes : « c’est de la balle » ou « c’est de la bombe ». J’aurais dû m’insurger plus tôt : « Mec, une balle tue, une bombe aussi, et moi ça me coupe l’appétit » (alors, une tuerie ! ça ne donne faim qu’aux nazis, serial killers, snipers et autres tueurs professionnels).

So, follohoueuses, follohoueurs de mon cœur, si vous êtes d’accord avec moi, help ! à l’aide, il n’est peut-être pas trop tard, relayez cette campagne dans vos familles, chez vos amis et sur vos rézosocios. Pour raisons d’efficacité, tâchez de vous limiter à cette expression en évitant d’y adjoindre toutes celles qui vous agacent.

Une remarque personnelle pour établir que la mort et mon estomac ne font pas bon ménage (j’aime pas les enterrements, mais le pire c’est le repas d’après-enterrement, sauf celui de mon père, car là c’était rigolo : mes alors quatre enfants s’étaient assis à côté de mamans qui n’étaient pas les leurs et mon Hélène, du haut de ses sages et timides quatorze ans, expliquait à un vieil ami de mon père qui n’y comprenait rien quel enfant était à quelle maman).

Bref, quand c’est vraiment très bon, je n’utilise pas « c’est à mourir », mais il s’agit d’une préférence personnelle et si certains choisissent de mourir à l’issue d’un merveilleux repas, je leur laisse ce privilège. Tenté par la devise de mon légendaire grand-oncle Aristide (« quand c’est bon, ça ne me dérange pas qu’il y en ait beaucoup »), je me modère, car je n’aime pas l’idée de mourir d’avoir trop mangé.

Référence

Côté meurtre et appétit (avec recettes de riz sauté incluses), je n’ai qu’un livre charmant à recommander : Le sniper, son wok et son fusil, de Kuo Li Chang, traduit du chinois (Taiwan) par Alexis Brossolet (357 pages, Série Noire Gallimard)

 


D'UN PROCÈS L'AUTRE

J'ai dû lire Le Procès de Kafka quand j'avais une quinzaine d'années et que je dévorais son oeuvre, reconnaissant à Max Brod de n'avoir pas respecté la demande de son ami de détruire toute son oeuvre après sa mort. Où, peu de temps après la lecture, ai-je vu l'adaptation au milieu d'une rétrospective Welles dont je ne connaissais à peu près que le déjà légendaire Citizen Kane ? À la Cinémathèque de Chaillot ? Dans une des salles « art et essai » du Quartier latin, au Studio 28 ou au Mac Mahon ? Un de ces merveilleux cinés aux sièges inconfortables à un point surnaturel : pas de rembourrage, pas de place pour les jambes, on sortait de là en ayant mal partout. Je ne savais pas à quoi m'attendre ? et heureusement, car cette « innocence » m'a permis de recevoir le choc en pleine tronche. Un demi-siècle plus tard je revois le film et je ne suis pas déçu ; au contraire j'apprécie un peu plus la fidèle profondeur de sa traîtrise, son burlesque grinçant qui aurait fait péter de rire Kafka, un homme qui riait beaucoup dans la vraie vie et qui, raconte Brod, lisant à ses amis le premier chapitre du Procès, peinait à finir certaines phrases tellement il se gondolait. On n'éclate pas de rire à chaque plan du Procès wellesien mais il fallait un coupable pour adapter le chef-d'oeuvre d'un coupable et Welles est le coupable idéal. Comment réussir une oeuvre d'une tonalité unique à partir d'un bricolage de décors dégotés en studio à Boulogne, à Zagreb, à la gare d'Orsay et pour finir dans un trou creusé en Italie ? et les ombres et lumières des heures mystiques (aube et crépuscule) si prisées du roi Orson ? et la poussière ! et les acteurs ! On pourrait s'inquiéter d'un casting international assez hétéroclite mais on oublie vite l'étonnement premier de voir ces Anglais, Américains et Français porter des prénoms à consonance germanique ? ça passe plus vite que dans l'adaptation par Renoir des Bas-Fonds de Gorki, où les noms russes vont à Gabin, Jouvet, Suzy Prim et autres Le Vigan comme des guêtres à des lapins. Perkins avec son visage neutre, ses yeux traqués, ses futals trop serrés sur son cul coincé, son gilet trop étroit, est un Josef K. parfait : on le condamnerait rien qu'à le voir. Quant à Welles lui-même, il est l'avocat qu'on rêve de ne surtout pas avoir ; Romy Schneider, tout juste échappée de Sissi, est une ravissante et inquiétante petite cochonne. Le film est trempé dans le bain d'une inquiétude à la fois historiquement datée (bureaucratie du xixe au xxe siècle, univers concentrationnaire, apocalypse nucléaire?), donc démodée, et terriblement contemporaine. Tout juste, si l'on veut pinailler, peut-on faire à Welles le reproche de mettre les points sur les i de ses intentions avec un peu trop d'insistance dans quelques plans.

Dans les bonus du DVD, tous passionnants, un écrivain britannique propose une analyse comparée des deux oeuvres : c'est brillant, sans pédantisme aucun et j'applaudis sans réserve de ma main droite valide sur mon poing gauche récalcitrant. Jusqu'au moment où il conclut : « Il y a ceux qui aiment Tchekhov, et ceux qui aiment Kafka. Et les deux sont irréconciliables. » Sorry, prof, mais j'arrive facilement à me réconcilier avec moi-même d'avoir conservé mon adoration de jeunesse pour Kafka en développant une passion fraternelle pour Tchekhov. Je les trouve terriblement, humainement trop humainement drôles tous les deux et si je concède que le génie de mon Anton Pavlovitch[1] n'a pas le caractèrevisionnaire de celui de Kafka [2], je leur trouve bien des points communs ? et pas seulement dans le domaine sentimental où ils ont passé l'essentiel de leur vie à hésiter ou dans la tuberculose pulmonaire qui les a l'un et l'autre abattus dans leur prime quadragéniture (Mr. T., 44, Mr. K., 41). Et puis Tchekhov ou Kafka, c'est un peu comme Corneille ou Racine, Balzac ou Stendhal, Tolstoï ou Dostoïevski, Hemingway ou Faulkner, Roux ou Combaluzier, Bach ou Beethoven, Bird ou Trane, Beatles ou Stones : nous ne sommes pas juges dans un procès d'assises artistiques [3] et si nous pouvons avoir nos préférences, notre sensibilité, nos moments, nous ne sommes pas condamnés à prononcer des sentences, des verdicts.



[1] Notre Anton Pavlovitch, Nadioucha.

[2] Quoique?

[3] Non, pas même vous, monsieur le Professeur !


MOTS MANQUANTS

Tentant à ma façon de faire vivre l'oeuvre de mon père, je conserve un oeil et une oreille attentifs à ce que d'autres «fils ou filles de» personnages plus célèbres ou à l'importance plus reconnue que mon père accomplissent de leur côté.

C'est avec un certain étonnement - et une forme d'amusement un peu - morose que j'entends M. Denis Westhoff, fils de Françoise Sagan, expliquer au cours de la même interview que l'inédit de sa mère qu'il publie aux éditions Plon est « violemment saganesque », puis que, sans la réécrire il a ajouté « des mots qui manquaient », rétabli l'ordre de paragraphes et effectué diverses corrections - toutes opérations appartenant ordinairement en propre à l'auteur et à personne d'autre, fut-il, par le sang et sa connaissance de l'oeuvre, « violemment » attaché à lui. Je connais un auteur qui a failli subir une attaque - voire attaquer physiquement son éditeur. Avait-il raté le Goncourt à une voix ? non ! une main aussi innocente qu'inconsciente lui avait, sur épreuves, corrigé quelques signes de ponctuation sans l'avoir consulté. M. Westhoff - pour en revenir à lui - nous précise que son ami écrivain et éditeur, le regretté Jean-Marc Roberts, lui avait donné son opinion sur le manuscrit d'origine, jugeant qu'il desservirait la mémoire de l'oeuvre de sa mère. N'eût-il pas été plus honnête et « moral » (un mot qu'il emploie au sujet de sa maman qui selon lui, toutes questions fiscales mises à part, en était un modèle) vis-à-vis du public de cosigner le texte ou de le publier tel quel, dans une revue littéraire consacrée à Sagan, avec ses imperfections et ses mots manquants ? mais il est vrai  qu'alors l'éditeur n'aurait pu procéder à un premier tirage de 80.00 exemplaires. Nous devons nous abstenir d'émettre un jugement moral sur l'héritier comme sur l'éditeur - mercantile par essence - mais on leur conseillera une bonne séance de coaching média avec écoute de l'intégrale de l'interview, qui contient à peu près  tout  ce qu'il ne faut pas dire - le pire étant que Mme Salamé, qui mène l'entretien, le fait sans aucune intention hostile, inquisitoriale ou  simplement critique.

De son côté, la fille de René Goscinny a prêté ses souvenirs et quelques documents personnels à un « roman graphique » consacré aux Goscinny. Connaissant l'oeuvre de son père aussi bien que M. Westhoff celle de sa mère, elle ne s'est pas cru autorisée à la « compléter » pour en tirer quelques royalties de plus. C'est pourtant à bon droit qu'elle aurait pu la déclarer totalement « goscinnesque » puis qu'elle est, à n'en pas douter, une Goscinny de lignée et de coeur.

Si j'étais « saganiste », il me semble que le tripatouillage de son fils pourrait me gâcher le plaisir de découvrir un inédit de mon auteure chérie : j'eusse en ce cas préféré qu'on déposât ce brouillon en archives ou, à la rigueur, qu'on me le donnât tel quel, me laissant juge de sa valeur. Ne l'étant pas (sur Sagan je suis comme M. Macron plaisamment croqué par M. Retailleau : « ni pour ni contre, bien au contraire »), je continuerai à lire ou relire les livres sortis un par un de l'énorme pile accumulée depuis des mois. Moby Dick enfin achevé, je peux reprendre les nouvelles de Garcia Marquez que mon plus jeune fils doit lire en espagnol, avant de revenir à Bove ou Henri Thomas - deux de ces merveilleux petits cétacés de l'histoire de la littérature qui, d'une décennie à l'autre, plongent et refont surface sans qu'un de leurs ayants droit ne songe à compléter leurs mots manquants ou corriger les mots qu'ils ont manqués.

 

Références :

Françoise Sagan préface et mots manquants de Denis Westhoff: Les Quatre coins du coeur, 224 pages, 0,31 kilos, 19 euros

Catel Muller, Le Roman des Goscinny, 344 pages, 0,9 kilos, 24 euros

 

 


UNE TUERIE EST UNE TUERIE, NOM DE DIEU!

 

A la différence de M Finkielkraut, moins « mécomtenporain » que lui, je ne voue pas systématiquement aux gémonies les expressions que le français moderne incorpore sous l'influence  des argots de banlieues, héritiers de nos vieux argots de métier ou imprégnés des langues de ses nouveaux entrants : que la langue   de Rabelais, de La Fontaine, de Molière se colore aujourd'hui d'arabe, de bambara, de créole, voire de gangsta rap gallicisé, cela n'est ni nouveau, ni choquant : cela témoigne plutôt de sa vigueur, d'une souplesse dont les Anglais s'enorgueillissent.

Toutefois j'ai mes limites.

Il y a quelques années, lorsque j'ai entendu un jeune et sympathique caviste de mon faubourg vanter une de ses bouteilles avec l'exclamation « c'est de la balle ! », j'ai tiqué sans me douter que la métaphore meurtrière hyperbolique n'en était qu'à ses débuts. « C'est de la balle » a été suivi par « c'est de la bombe » qui eût réjoui Ravachol et la bande à Bonnot. On aurait pu s'en tenir là, mais la marche du progrès est inéluctable, en matière langagière comme pour le reste.

Il semble courant aujourd'hui chez l'aimable bourgeois branchouille d'exprimer son appréciation de la qualité d'un plat en s'écriant : « c'est une tuerie ! »

 Je dis « Halte ! »

Outre qu'une tuerie est une tuerie (le Littré donne carnage et massacre comme synonymes et signale comme « exagération » l'exemple  «  N'allez pas là, c'est une tuerie » pour désigner un lieu où, en raison de la foule, il est préférable de ne pas se rendre pour éviter le danger), pendant qu'on y est lorsqu'on touche au suprême de l'exquis, pourquoi ne dirions-nous pas « c'est un génocide », voire « c'est une véritable Shoah !»

Ce qu'on n'accepterait pas par un minium de considération pour les victimes des génocides et de leurs familles, en excepterons-nous les victimes des tueries ordinaires ? Certes, le phénomène est moins courant chez nous qu'aux Etats-Unis, mais est-ce une raison pour tolérer que l'image du crime de masse soit susceptible de nous venir aux lèvres pour désigner la qualité d'une blanquette ou d'un tiramisu ?

Concluons sur le « quoique », cher à mon défunt ami Guy Leverve, rebelle et lettré, qui ne prenait pas à la blague la cérémonie du thé : à y bien réfléchir, si le tiramisu n'exige à ma connaissance aucun meurtre, on ne peut en dire autant de la blanquette, qui naît de l'assassinat d'un veau innocent. Tuerie, non, mais crime, oui, qui m'en a fait passer l'envie, comme de tout ce qui tourne autour de l'agneau, du cochon de lait, du poulet et de toutes les préparations de jeunes animaux; elles me rappellent trop les croisés qui, non contents d'avoir procédé à un massacre  d'infidèles, faisaient bouillir les bébés survivants dans des chaudrons, histoire d'enchaîner harmonieusement les tueries.

 


TROP C'EST TOO MUCH

« Qu'est-ce que vous voulez, Monsieur, moi j'aime trop Dieu », m'a asséné le sympathique chauffeur de VTC au milieu d'un trajet où il avait, assez vite après la conversation météo, attribué à Dieu (Allah, en l'espèce) la  création du monde et ce qui s'en suivait, ma survie à un AVC comprise, avant de mentionner les célèbres fake news sur les conversions à l'Islam du commandant Cousteau et de l'astronaute Neil Armstrong.

Alors que sa conduite était tout ce qu'il y a de rassurante, ce « trop » m'a fait sursauter.

« Comment », ai-je demandé après avoir confessé que je n'étais pas croyant  « peut-on trop aimer le Dieu auquel on croit ? »

Une inquiétante explication a suivi : ce jeune homme, dont le tableau de bord s'ornait d'une photo d'un petit garçon souriant, mis dans la situation d'Abraham, sacrifierait son Isaac adoré sans hésiter. Je me suis soudain senti crétin de lui avoir rappelé que « trop » en langue française marquait l'excès. Dans ce cas précis c'est réellement aimer « trop » Dieu que de lui sacrifier un enfant. J'ai en vain argumenté que Dieu lui-même, selon la Bible et le Coran, avait retenu la main d'Abraham. Mon jeune prosélyte avait réponse à tout : « c'est une mise à l'épreuve », m'a-t-il envoyé, mettant fin à notre controverse sur l'exégèse du Livre.

Dans les cas courants, hors situations bibliques extrêmes, les adverbes « très » ou « extrêmement » me paraissent plus adaptés que le « trop » pour exprimer un contentement supérieur à la moyenne - voire exceptionnel.

Je concède qu'en l'espèce, le jeune Mokrane exprimait justement sa pensée : aimer son Dieu au point d'être prêt à lui sacrifier une vie humaine - celle qui nous est la plus chère - c'est littéralement l'aimer trop.

Si j'avais besoin d'en être convaincu, cela me conforte dans ma résolution de les observer amicalement, mais de pas trop près, en me tenant à carreau face à ceux que leurs adeptes sont susceptibles d'aimer « trop «  au point de leur sacrifier mes enfants - ou les leurs.

 

Références :

« Oh les  filles oh les filles ! Elles me rendent marteau 

Oh les filles oh les filles !

Moi je les aime trop. » ( Au Bonheur des Dames)

« Humain, trop humain ! » (Frédéric Nietzsche)


L'EMPIRE ENCHANTE DU CLICHE

 

Il arrive à plus d'un écrivain, plus d'un cinéaste, de commettre l'erreur pointée par Tchekhov de parler de ce qu'il ne connaît ni ne comprend.

C'est alors que l'infortuné, tenté par le vertige de l'inconnu, trouve refuge dans un monde enchanté : celui des clichés  : celui-ci nous fournit, au sujet de tous les êtres et de tous les lieux, un stock inépuisable de traits marquants, de paroles typiques d'autant plus inattaquables qu'ils ne sont pas sans rapport avec la réalité : les Provençaux disent réellement « fatche de », les Suédoises sont souvent grandes et blondes et les Anglais consomment réellement autant de thé que les Indiens de currys. Le monde enchanté des clichés recoupe en partie le monde des préjugés : les Noirs y sont joyeux, paresseux, doués pour la danse, les Chinois cruels, les Arabes fourbes et criminels, les Américains naïfs, les Espagnols irascibles. Le monde enchanté des clichés englobe les sentiments, les émotions, les rapports humains en général, substituant au camaïeu du vivant, quelques couleurs dominantes nettement tranchées, effaçant la confusion des zones d'ombre au profit des noirs et blancs.
Dans l'empire enchanté du cliché, les bons sont bons, très bons, et les méchants, méchants, très méchants, les histoires d'amour commencent mais ne finissent pas, les enfants sont innocents, les justes sont récompensés et les criminels punis, car à la fin c'est le Bien qui triomphe.

Le sommet du monde du cliché en art, c'est Tintin, non à cause des clichés mais malgré eux ; en littérature c'est Bouvard et Pécuchet car le génie déjà fatigué de Flaubert trouve, à s'y promener avec ses deux protagonistes, un plaisir de vieux  joueur.

Gardons-nous de penser que les utilisateurs systématiques de clichés se trouvent uniquement, ou même principalement, chez les créateurs catalogués «commerciaux», par opposition aux «littéraires» ou aux «vrais artistes». Même si nous mettons de côté ce fait que tous - même les plus grands (ainsi de Tolstoï, pointé cruellement mais non sans justesse par Tchekhov qui, par ailleurs, l'idolâtrait) sont susceptibles d'y avoir recours à l'occasion, nous devons admirer les capacités d'observation et de compréhension d'écrivains que nous n'apprécions pas particulièrement. La vraie distinction n'est pas de genre mais  plutôt d'engagement personnel et de  travail : le recours permanent aux clichés est le signe d'une épouvantable paresse ; dans l'ordre de la représentation des êtres humains, il relève le plus souvent d'une peur de l'ambiguïté des émotions, d'un refus de leur complexité, d'une difficulté à rendre compte honnêtement de leurs contradictions.

Pour le créateur ou celui qui se veut tel, il en est du cliché comme de la connerie : le tout n'est pas de les repérer chez les autres mais de les déceler en soi-même avec une impitoyable tendresse.


DE LA MERULE EN LITTERATURE

 

Selon Jean-Pierre Cuny, le frère de ma vielle camarade Marie-Thérèse, certains êtres humains étaient comparables à ce petit champignon invisible - dit aussi « mérule pleureuse » - qui s'introduit dans les bois de charpente et les dévore en douceur jusqu'à ce qu'ils soient réduits en poudre.


Trahison...

Je m'étais promis de ne plus jamais me lancer dans la vaine et douloureuse entreprise de traduire depuis une langue que je parle - et surtout que j'écris - sans jamais la « penser » (le français) en une langue que j'écris sans toujours la comprendre (l'anglais) - avec un instinct de bête, qui se jette en avant et découvre, toujours trop tard, ce qu'elle cherchait, instinct seul propre à m'arracher à la certitude de la frustration, de l'insatisfaction et même du ridicule - car ce que j'écris en anglais, je ne doute pas que je serais incapable de m'y essayer en parlant.

C'est pourtant ce que je me retrouve à faire pour le livre de Bizot, « le Silence du Bourreau »...


SILENCE

Un ami me parle d'une femme qui, à force d'habiter seule et de ne voir personne, s'est en quelque sorte installée dans un béguinage et se rend compte que non seulement elle se tait presque tout le temps, mais que les mots la quittent. Paroles peu à peu gommées, à petites touches : l'absence finale s'appellerait la mort.

Je me souviens du silence d'Héloïse... ce long silence qui dure aussi longtemps qu'une vie et la prolonge mieux que ne sauraient le faire des paroles désordonnées, « des bruits qu'on fait avec sa bouche ». Pour qui cherche le mystère, pour qui se baigne dans la glu de l'intime, le silence est nécessairement une peur, une tentation – et peut-être l'ultime réponse.


NAPPE SONORE

Comment les mots peuvent-ils rendre l'atmosphère de la musique? c'est une énigme pour les poètes à laquelle bien des romanciers ont été confrontés. Je propose la réponse du grand journaliste américain Philip Gourevitch, dans son texte électrique du New Yorker, un portrait du "Napoléon" (ou "Parrain") de la musique soul américaine, James Brown.


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