CYNISME TRANQUILLE

16/11/2010

Un cynisme tranquille a bonne presse chez la plupart des journalistes. Dans la version anglo-saxonne, la vie privée des personnages publics n’existant pas, tout détail intime se trouve virtuellement révélateur de tel aspect de la personne que le public a le droit de connaître – et le journaliste le devoir de révéler. La version française, loi oblige, est plus discrète en ce que les questions de vie privée y seront traitées avec plus de prudence, mais sa philosophie n’est pas différente : un sujet est un sujet, et pas une personne, et le seul devoir réel est de raconter une histoire. L’idée qu’un journaliste pourrait avoir une forme de devoir vis-à-vis des personnes dont il a croisé la vie – et qui plus est un devoir de nature morale, de l’ordre de la responsabilité personnelle – est pour beaucoup d’entre eux une lune, si ce n’est un objet de dérision.

Je trouve sous la plume de la grande journaliste américaine Lilian Ross, en préface à son livre Reporting, des livres qui sont le meilleur antidote à ce cynisme : « Dès qu’un autre être humain vous autorise à écrire sur lui, il vous ouvre sa vie et vous avez le devoir d’être en permanence conscient que vous avez une responsabilité vis-à-vis de cette personne. Même si elle vous encourage à utiliser avec désinvolture votre connaissance intime de sa vie, même si elle manque de discrétion sur elle-même (..), il vous appartient d’exercer votre propre jugement en décidant de ce que vous écrivez. (..) Votre obligation à l’égard de ceux au sujet desquels vous avez écrits ne s’achève pas avec la publication de votre article. Toute personne qui vous fait assez confiance pour vous parler de lui vous donne une forme d’amitié (…). Un ami ne peut être utilisé puis abandonné. »

Source : préface à Reporting, de Lilian Ross, citée par Anjelica Huston dans sa péface à un autre (merveilleux) livre de Ross, Picture (à propos du tournage du Red Badge of Courage, de John Huston)

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Antoine Audouard