Antoine Audouard

Eloge de la biscotte

17/09/2010


Quand mon ami Bruno est venu me rendre visite à New York, c’était la première fois au cours de sa déjà longue vie qu’il se rendait aux Etats-Unis. J’aurais presque pu dire que c’était la première fois qu’il allait à l’étranger, ce qui est inexact techniquement, puisque, montagnard fiévreux, Bruno considère que les Alpes, montagnes essentiellement françaises, débordent territorialement pour des raisons historiques incompréhensibles sur des nations étranges comme l’Autriche, la Suisse et l’Italie, où l’on parle des langues qui ne sont pas le français. Autant dire que Bruno, à la manière des Grecs anciens, voit l’étranger comme le barbare. Il a donc fallu son affection pour moi pour que cet über-French franchisse l’Atlantique. Bruno a une éducation remarquable, très vieille France, et il applique très bien le principe selon lequel pour parler à un étranger il n’est pas nécessaire de parler sa langue, il suffit de s’exprimer en français suffisamment fort et lentement. Son séjour s’est donc raisonnablement bien passé, à deux détails près.
A son arrivée, Bruno réclama des biscottes. Recherches vaines chez « Gristede’s » et « Whole Foods ». Regard entendu de Bruno : comment considérer sérieusement le degré de civilisation d’un pays qui n’a pas évolué jusqu’à cet acmé du petit-déjeuner : la biscotte ? L’art de tartiner une biscotte sans la casser par rapport au trempouillage du pain de mie dans le pot de Nutella, c’est à peu près les Nymphéas de Monet face au dernier mickey de Jeff Koons.
Deuxième incident, à la veille de son départ. A l’issue d’une journée de promenade à vélo que j’avais jugée réellement satisfaisante, il émit en effet ce jugement agaçant : « C’est étrange, cette ville, il n’y a pas de places. » Je crus qu’il plaisantait et lui demandai s’il avait cherché la place des Vosges du côté de Wall Street. Le drame est qu’il était sérieux : « Tu comprends parfaitement ce que je veux dire », dit-il, buté, « il n’y a pas de places. » M’impatientant, je lui dis qu’il n’y avait pas le pont de Brooklyn à Paris, ce qui n’en diminuait pas la beauté, et que chaque ville se construisait selon un génie propre dont le visiteur intelligent et éclairé cherchait à percer le mystère. Bruno se referma et quitta les Etats-Unis confirmé dans son intuition que c’était un pays abominable où les seuls endroits fréquentables étaient les musées contenant de la peinture européenne. Il n’y avait rien appris qu’il ne sût déjà, sauf cette découverte terrible « qu’on n'y trouvait ni places, ni biscottes. Je les ai trouvées après son arrivée mais je doute que cette découverte soit susceptible de changer son opinion.
 

Commentaires des internautes

Nombre de commentaires par page

Pour ajouter votre commentaire ici, connectez-vous à votre compte ou créez-en un en complétant le formulaire ci-dessous



Réagissez




Captcha

Please enter the characters displayed in the image

Vous voulez participer
à ce Slog,
écrire des commentaires,
partager votre point
de vue ?

S'inscrire à la Newsletter

En indiquant votre adresse mail ci-dessus, vous consentez à recevoir l'actualité des auteurs Versilio par voie électronique. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment à travers les liens de désinscription.
Vous pouvez consulter nos conditions générales d'utilisation et notre politique de confidentialité.