Un jeune homme de dix-sept ans prénommé Nahel meurt abattu par un policier après un « refus d’obtempérer » – et la fête commence.
Les frontistes pointent la « présomption de légitime défense » de la police. Les nupistes fustigent les violences policières.
Pour une fois (mes follohoueurs et follohoueuses savent que je ne suis pas un fan), le président Macron a une réaction plutôt normalement humaine, parlant d’une mort « inexplicable et inexcusable » ; dans la suite, lui et son gouvernement semblent faire ce qu’ils peuvent face aux « débordements » d’émeutiers et de pillards qui s’en prennent aux commissariats, aux commerces, aux voitures, aux poubelles, aux équipements publics, aux pompiers, à certaines mairies. À la veille des « grandes vacances », les médias du monde entier montrent un pays qui brûle.
Et pendant ce temps, une mère pleure son fils, déchirée entre la rage (contre celui qui l’a tué) et le regret (« qu’est-ce que j’aurais dû faire, qu’est-ce que j’aurais pu faire ? »). Elle voit en boucle le film atroce de ce policier qui pointe une arme en direction de la tête de son fils et tire.
Et pendant ce temps un policier est en prison et se repasse deux films de la scène, se demandant (vainement, lui aussi) ce qu’il aurait pu faire, ce qu’il aurait dû faire. Le premier film est celui d’une voiture qui fonce sur lui et son collègue : c’est cela qu’il a affirmé d’abord avant de décrire une autre scène, celle d’une panique et d’un accident.
Moi, je ne sais pas ce qu’il s’est vraiment passé à ce moment-là. Le jeune Nahel n’étant plus là pour donner sa version, restent celles des deux policiers, le tireur et son collègue ; reste le passager ; restent une enquête et le processus de la justice. C’est imparfait mais c’est tout ce que nous avons.
Certains n’en ont pas besoin, ils savent déjà : un certain nombre savent qu’un policier raciste a tué de sang-froid un bougnoule. Ma (par ailleurs éminemment sympathique) voisine au village dit que des Nahel, on pourrait en tuer cent, deux cents, trois cents, ça ne lui ferait ni chaud ni froid – et encore on serait loin du compte.
Moi je ne sais rien, je ne suis sûr de rien, mais je suis empli de tristesse. Je pense à mon pays, à son avenir.
De tous les témoignages vus et entendus, je retire des réalités douloureuses et qui ne se contredisent pas car elles sont des faits – et non des idéologies…
Des policiers mal équipés, mal formés, se trouvent démunis face à certains jeunes des quartiers – mineurs souvent – dont les parents ont perdu le contrôle et qui – délinquants récidivistes, parfois – sont animés par une terrible violence. Aux policiers comme aux profs on demande de gérer tous les maux d’une société où les crises se succèdent. Au fil des années, on a découragé la police de « faire du social » en organisant des matches de foot et on a diminué les moyens des associations qui, localement, tentent de faire des quartiers des lieux de vie pour leurs habitants. Pour changer cela, il faut une grande détermination dans la durée et une forme d’unité nationale dont nous sommes loin.
Des jeunes (ou pas si jeunes) exaspérés par la répétition des contrôles au faciès, des humiliations, des propos racistes. Sommés de « faire leurs preuves », de « s’intégrer » (« la France, tu l’aimes ou tu la quittes ! »), d’accepter les « valeurs de la république et de la citoyenneté », accusés d’être les champions de la fraude sociale ou des sympathisants islamistes, ils se sentent en permanence pointés du doigt – si ce n’est de la pointe du fusil.
On peut déclencher un « grand plan de rénovation des conduites de gaz ». Mais peut-on imaginer un « grand plan » de refondation du lien social qui fasse croître en harmonie les valeurs du civisme et l’égalité des chances ? Est-il possible de se soucier des conditions d’exercice du métier de policier et en même temps de l’avenir des enfants- qui ne sont pas leurs enfants mais nos enfants- des quartiers , y compris en aidant leurs parents quand ils sont dépassés, plutôt qu’en les punissant .
Et puis je pense à ce gosse, à cette femme, à cet homme, à leurs solitudes définitives qui ne se rencontreront sans doute jamais, bien qu’il ait « demandé pardon » selon son avocat.
P.S. dans le match des cagnottes, on sait à qui va la victoire. Avant d’être « clôturée », la cagnotte de soutien à la femme du policier emprisonné avait réuni plus d’1,5 millions d’euros, celle pour la maman du jeune Nahel 243.000.