Antoine Audouard

POURQUOI ÉCRIVEZ-VOUS ?

27/06/2022

Dossier dans Libé, dossier dans le Monde, le magazine littéraire : question posée à des « écrivains importants » - jamais à moi.

Pourtant c'est une excellente question, je vous remercie de l'avoir posée à d'autres parce que justement je me le demandais.
D'abord, j'en sais rien et après tout quelle question à la mords-moi l'noeud ! Est-ce qu'on demande à un arbre pourquoi il pousse ? (mauvais exemple)
Est-ce qu'on demande à une baleine pourquoi elle crache de l'eau ? (autre mauvais exemple) ; à un singe pourquoi il saute d'arbre en arbre ? (mauvais exemple) ; à un lion pourquoi il court dans la savane ? (encore un très mauvais exemple : il chasse, banane, tu sais quoi ?)

Est-ce qu'on demande à un maçon pourquoi il maçonne ? à un paysan pourquoi il sème ? à un chasseur pourquoi il chasse ? un cuisinier pourquoi il cuisine ?  un épicier pourquoi il épice ? un banquier pourquoi il banque ? un voleur pourquoi il vole ? un jardinier pourquoi il plante ? un joueur de foot pourquoi il joue au foot ? un boxeur pourquoi il boxe ? un cycliste pourquoi il roule ? un politicien pourquoi il politique ?

Chacun d'eux pourrait répondre  « parce que c'est comme ça », « parce que  le reste m'emmerde », « parce que je ne sais rien faire d'autre ». Très peu diraient « pour la thune »  et quelques-uns peut-être, « pour plaire aux filles » (ça c'est piano-bar) - voire « parce que ça s'est trouvé comme ça », « parce que j'ai échoué ailleurs.»

Si on accepte de réfléchir à la question, on peut remonter dans le temps et chercher des filiations, des rencontres… Il y a des Tchekhov, des Camus, dont la vocation arrive du fond d'une sordide boutique, de l'analphabétisme absolu et brutal ; pour ceux-là, une rencontre les éclaire, les libère. Aussi nombreux sont les fils (ou filles, ou petits-enfants de) qui sont tombés dans la marmite des mots quand ils étaient petits.

Il y a ceux qui ont écrit aussi longtemps qu'ils s'en souviennent, ceux  qu'un désastre intime ou plus vaste a forcés à se coucher sur du papier. Il y a ceux qui écrivent pour échapper à la souffrance, ceux qui la grattent, la fouillent jusqu'au sang. Il y a ceux qui écrivent emplis d'amour, ceux (parfois les mêmes, en d'autres temps), qui écrivent le coeur chargé des peines d'un amour perdu. Il y a les enchagrinés, les jubilants, les colériques, les tendres, les furieux, les doux, les pleins de foi, les revenus de tout ; certains écrivent pour être aimés, d'autres pour être détestés, certains pour découvrir le monde, d'autres pour se comprendre ; pour certains, c'est un amusement, un jeu, pour d'autres une affaire sérieuse, tragique ; certains entrent en transe, d'autres fuient la folie qui rôde au coeur de leurs effrayantes nuits ; certains s'échappent et d'autres s'y retrouvent.

Peut-être sommes-nous déterminés, « programmés » si l'on veut : si j'écris, c'est peut-être pour accomplir le rêve de mon grand-père avignonnais, qui  obscurément noircissait des pages en provençal ou en français ; pour consoler ma mère, journaliste-écrivain dont l'ambition  personnelle s'étiola peu à peu dans l'ombre d'un journaliste-écrivain plus célèbre qu'elle ; pour prolonger le rêve de mon père qui, quelques mois avant sa mort, presque aveugle, affaibli, rêvait encore d'écrire ce grand roman que, pris par les tâches du chroniqueur et piégé par sa propre facilité, il n'avait jamais entrepris. Peut-être que je n'avais pas le choix. Peut-être parce que je ne sais rien faire d'autre, à part les oeufs brouillés et la ratatouille. Et puis parce que rien d'autre ne m'intéresse vraiment et que j'ai du mal à ne faire rien (ne rien faire je sais, comme tout le monde :  traîner au bistrot, regardouiller une série netteflixe) Et pourquoi c'est  arrivé, est-ce que j'aurais eu mes chances comme guitar hero (mon rêve à quatorze ans), j'en sais rien et au fond je m'en fous.

Pour  moi, pour nous tous, à un moment c'est simple : il n'y a plus de pourquoi ; c'est comme ça.

 

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