Antoine Audouard

LA LUMIÈRE DE ROMY

09/06/2022

Pourquoi tant de jeunes parents donnent-ils à leur petite fille le prénom « Romy » ?

Est-ce par admiration de l'athlète Romy Müller[1], championne olympique en relais 4 × 100 mètres est-allemand, de la basketteuse Romy Bär, de la patineuse artistique Romy Kermer ?

Ce n'est pas impossible, mais la bonne réponse a toutes les chances d'être autre : la Romy qui fait rêver les géniteurs de petites princesses est née Rosemarie Magdalena Allbach et a fait carrière au cinéma sous le prénom de Romy et le nom de sa mère, l'artiste de music-hall et actrice Magda Schneider. Enfant star à quinze ans pour ses rôles dans les films Sissi, Romy échappa vite à ce que M. Tulard dans son Dictionnaire du cinéma nomme le risque d'une carrière désastreuse ; entre les bons artisans, les faiseurs et quelques grands, elle sut ne jamais être vulgaire à l'écran comme dans la vie où ses idylles (avec Delon, avec Trintignant, avec Dutronc…) et ses souffrances privées étaient scrutées avec avidité par les paparazzis et confondues avec celles des personnages qu'elle interprétait. Romy n'avait jamais connu d'éclipse[2] lorsqu'on la retrouva morte chez elle, à quarante-trois ans - il y a quarante ans presque jour pour jour.

Ses qualités d'actrice, que je trouve éminentes, sont parfois débattues, et les meilleurs films où elle a joué ne sont pas toujours ceux dont elle était la vedette, mais de 1958, date de son premier film français, Christine, le mélo qui lança la carrière d'un certain Alain Delon, au début des années 1980, au travers des passions et déboires sentimentaux, elle est restée celle qui attire la lumière dans tous les films où elle jouait. Truffaut, qui admirait les stars, ne s'y était pas trompé. La caméra de l'enfant de Pigalle s'attardait sur les visages des hommes, mais elle tombait amoureuse des femmes, de Jeanne Moreau à Fanny Ardant en passant par les soeurs jumelles Françoise Dorléac et Catherine Deneuve, Julie Christie et Isabelle Adjani. Que serait-il advenu s'il avait mené à bien ce projet mentionné dans une lettre de 1964 d'une comédie dramatique sur un couple jeune qui se sépare et se réconcilie, avec Belmondo et Romy ? Comme disait Sacha Guitry, faisons un rêve…

Dans Mado (Sautet, 1976), ce n'est pas Romy qui interprète le rôle-titre, mais l'assez charmante Ottavia Piccolo (excellente dans La Veuve Couderc où elle est l'objet de lahainede SimoneSignoret) ; pourtant c'est Romy que l'on voit. Même dans un de ses films qui ont le plus mal vieilli, L'important c'est d'aimer (Zulawski, 1975), elle irradie et, aux côtés de Jacques Dutronc, fait passer le style outré des situations et des dialogues d'un film qui se veut un hymne romantique et ne nous apparaît aujourd'hui que comme un mélo verbeux et faux de part en part.

Si le cinéma reste « l'art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes » (la phrase de Jean-Georges Auriol, des Cahiers du cinéma, a si souvent été citée par Truffaut et correspond si bien à une bonne partie de son propre art qu'elle lui est souvent attribuée), Romy était le cinéma. Si c'est l'histoire d'une princesse qui a des malheurs, elle l'était aussi, car entre les épreuves fictives vécues par ses personnages et celles qu'elle affrontait dans la vraie vie, on ne pouvait qu'être ému à voir tant de beauté mariée à tant de souffrances et tant de désir d'aimer s'achever dans pareille solitude.

Mon top 10 Romy (dans le désordre)

Le Vieux Fusil (Robert Enrico, 1975) est un drame qui a bien vieilli : la partie d'action où Noiret se débarrasse un à un des méchants nazis fait un peu jeu vidéo et c'est quand même gonflé, au moment où il va appuyer sur la gâchette de son vieux fusil, d'interrompre la scène pour un flash-back sur le bonheur passé avec Romy, qui n'apparaît pour l'essentiel qu'évoquée. Le scénariste Pascal Jardin a raconté qu'il a écrit le film en proie à l'émotion violente d'un chagrin amoureux. Il voulait à la fois tuer le maximum de personnages (la folie meurtrière vengeresse de Noiret, c'est la sienne) et ressusciter les moments heureux vécus avec une femme aimée. Noiret superbe comme toujours, Bouise épatant second rôle, comme toujours : à près d'un demi-siècle de distance, ça vaut son César (le premier, en 1976, remis par M. Gabin et Mme Morgan, excusez du peu) et le César des Césars Garde à vue (Claude Miller, 1981). Romy est l'épouse malheureuse, frustrée et accusatrice du méchant notaire innocent Michel Serrault. Elle est superbe de beauté et d'ambiguïté.

Le Procès (Orson Welles, 1962). Quel nez, la petite ! Elle est déjà une star naissante quand elle accepte le rôle de Leni, la petite salope allumeuse du Procès de Kafka revu et corrigé par Orson Welles. Voici notre ex-Sissi au milieu d'un casting international de haute volée : côté hommes Anthony Perkins et Welles lui-même, côté femmes Jeanne Moreau, Suzanne Flon et Madeleine Robinson. Pour les séquences où elle apparaît, elle est plus que parfaite dans un rôle trouble qui ne ressemble à aucun de ceux qu'elle a joués. Pas mal pour une petite princesse qui n'a jamais appris, n'est jamais montée sur les planches avant que sa mère ne la sorte du pensionnat pour son premier rôle.

César et Rosalie est un des films de Sautet qui a le mieux vieilli et son personnage de femme libre amoureuse de deux hommes (César c'est Yves Montand, et David, l'autre, c'est Sami Frey, « le beau Sami », très bien) est moderne par ses ambivalences. Quant au plan final, son regard posé sur ses deux amoureux qui boivent ensemble, il est superbe et propose au spectateur la seule fin qui vaille dans ce genre d'histoires : la fin ouverte qui nous permet de supposer qu'elle va en choisir un (plutôt César), aucun, ou continuer avec les deux. Comme l'écrit l'excellentissime Léonard Anthony dans un ouvrage à paraître dont je ne vous donne pas le titre pour faire monter le suspense : « L'inachevé est la forme la plus aboutie de toute création. »

Pour rester avec Sautet, j'aime beaucoup le rôle de Romy dans Max et les ferrailleurs, où elle est cette jeune prostituée manipulée par Piccoli - aussi antipathique qu'attachant, aussi attachant qu'antipathique, dans le sens que tu préfères. Là encore, il y a un regard d'elle sur lui, vers la fin, quand elle a tout compris, qui est plus fort que des kilomètres de dialogues.

La Banquière, même si cela agaçait son réalisateur, est le film de Francis Girod dont on se souvient. Remarquable la performance de Romy en aventurière et femme d'affaires bisexuelle en butte à l'hostilité d'hommes de pouvoir qu'elle dérange ; superbement construit le scénario ; plaisir des merveilleux seconds rôles joués par des comédiens de premier plan (Trintignant un méchant épatant, Auteuil, Marie-France Pisier, Brialy, Claude Brasseur…).

La Passante du Sans-Souci. J'avoue que c'est assez récemment que j'ai vu le film de Jacques Rouffio tiré d'un roman de Kessel que je n'ai pas lu. Ça vaut bien au-delà du voyeurisme de voir Romy, toujours aussi belle, marquée par la mort récente de son fils David, suivie du suicide du père du garçon, son ex-mari l'homme de théâtre Harry Meyen. Montand, qui a toujours eu de la prestance et une présence, était à ses débuts un comédien limité et je le trouve souvent moyen dans ses films des années 1950 et 1960, même les plus connus. À force de tourner avec des bons, comme Sautet ou Costa-Gavras, il est devenu bon lui aussi et il donne une vraie densité à son personnage d'homme d'affaires philanthrope qui commet un meurtre pour solder les comptes de son enfance chamboulée par les nazis. L'histoire tient la route, la cinématographie est belle et les acteurs de soutien sont excellents : Gérard Klein n'est pas encore l'instit popularisé par la télé, Dominique Labourier (la délicieuse partenaire de la non moins délicieuse Bulle Ogier dans Céline et Julie vont en bateau) prouve sa versatilité, on a du plaisir à retrouver Véronique Silver (la mémorable narratrice de La Femme d'à côté de Truffaut) en présidente du tribunal. Fun facts révélés par mon ami Ouiqui : le jeune comédien excellent qui interprète le personnage de Montand jeune n'a plus jamais tourné : il est devenu un mathématicien de haut niveau qui a obtenu la médaille Fields, l'équivalent du Nobel pour les maths. Vers la fin du film, apparition pour une scène de deux méchants qui agressent Montand et le menacent : l'un des deux est Jean Reno.  Fun fact rapporté par Malcampo, qui ne se contente pas de relire et corriger : Dans une interview, Klein a raconté que Romy et lui s'étaient très bien entendus, ils parlaient beaucoup ensemble pendant le tournage et Romy l'avait prévenu dès le départ : il faut que tu saches que je n'ai aucun humour… 

Clair de femme : encore Montand/Romy, quelques années après César et Rosalie mais ce n'est ni du Sautet, ni le Gavras que l'on visualise en pensant à Z ou à L'Aveu - un film poétique et rêveur sous son apparence d'intrigue politico-policière, un film romantique sur la renaissance du sentiment amoureux chez des êtres qui, pour des raisons différentes, n'y croient plus.

Le Train, de Granier-Deferre, vient en bout de cette liste, mais c'est l'un de mes préférés. Par un dédoublement courant au cinéma, on devine sans avoir eu l'info que l'amour impossible entre les deux protagonistes, Romy et son partenaire masculin, le toujours supérieur Jean-Louis Trintignant, n'est pas de l'ordre de la pure fiction. Tirée d'un roman de Simenon, l'intrigue a pris de la texture dans les souvenirs d'enfance du réalisateur, qui raconte avec une belle surprise rétrospective de modeste indécrottable que c'est Romy, déjà grande star, qui vient le voir pour lui proposer de tourner avec elle ; il mentionne avec humour le goût prononcé de la star à se montrer nue. Excellents seconds rôles de Nike Arrighi (la maquilleuse de La Nuit américaine),Régine, prostituée à l'âme généreuse, Maurice Biraud, Anne Wiazemsky (la jeune fille de l'inoubliable Au hasard Balthazar), Paul Le Person et autres.

Je suis embarrassé pour parler d'un film à succès (le plus grand de Sautet, je crois) et qui a beaucoup fait pour la légende de Romy : Les Choses de la vie. Les rôles principaux(Piccoli, Romy, Lea Massari) sont formidables, bons rôles secondaires de Jean Bouise et Dominique Zardi, un de ces acteurs qu'on voit souvent dans les bons films français de ces années-là, mais qu'on ne reconnaît pas toujours ; petit rôle de Boby Lapointe, que Sautet a fait tourner à trois reprises, mais jamais chanter, à la différence de Truffaut - l'apparition du grand Boby dans Tirez sur le pianiste a d'ailleurs relancé sa carrière de chanteur. Ça m'a semblé parfois un peu long pour un film court (1 h 29, dit mon ami Ouiqui) et au bout de cinquante ralentis sur l'accident de voiture, avec la roue détachée qui tourne ou Piccoli allongé dans l'herbe, on se lasse.

Embêté pour La Mort en direct, le film anglais de Bertrand Tavernier, merveilleux réalisateur qui, à mon sens, s'est égaré dans une sorte de Truman Show auquel manquerait tout humour. Du début à la fin, j'ai eu du mal à y croire, malgré le talent de Romy et celui de son protagoniste Harvey Keitel.



[1] Fun fact, mon ami Ouiqui m'informe que le nom de naissance de cette sprinteuse était Schneider. À peu de chose près, deux Romy Schneider auraient coexisté, ou bien notre Romy aurait fait carrière sous le nom de Allbach.

[2] Sinon une assez brève, d'où son ex Alain Delon la sortit généreusement pour qu'elle co-stare avec lui dans La Piscine.

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