Antoine Audouard

LES MONSTRES ET LES AUTRES (2)

03/05/2022

LES MONSTRES ET LES AUTRES (2)

Des planches à l'écran

Chez nos voisins anglais, tout vient du théâtre et tous y retournent unjour ou l'autre. Cette tradition ne nous est pas étrangère et l'on sait que plusieurs de nos monstres et la plupart de nos grands comédiens ont alterné entre la scène et les écrans.

Les plus connus de nos grands anciens ayant pratiqué ce sport sont Sacha Guitry, lui-même fils du grand homme de théâtre Lucien à qui il vouait un culte, et Louis Jouvet, mais il faut citer Charles Dullin, fondateur de deux célèbres théâtres parisiens, le Vieux Colombier et l'Atelier. Ce dernier était à la fois salle de spectacle, lieu d'expérimentation et école. Pour s'y rendre, me dit mon ami Archimbaud,  Dullin  venait chaque matin à dos d'âne, attachant la longe à  un poteau comme l'on fait aujourd'hui de sa mobylette ou de son scooter. À ma connaissance, Dullin  n'apparaît que dans peu de films notables, les plus mémorables étant l'étonnant muet Maldone (1928) de Grémillon,  un pari artistique et commercial où l'acteur s'était aussi impliqué comme producteur ; plus tard il joua dans Volpone (Maurice Tourneur, 1941) où il fait mieux que tenir la route entre deux autres monstres - Jouvet et Harry Baur - le Quai des Orfèvres  de Clouzot.
Dans Les Misérables de Raymond Bernard (1934), où il forme avec Marguerite Moreno le meilleur, le plus affreux couple Thénardier de l'histoire du cinéma. Celui qui remplit l'écran de ce film, c'est Harry Baur (Jean Valjean-Madeleine, Champmathieu et Fauchelevent) et le jeune Charles Vanel est un Javert vindicatif à souhait.

King Harry

Qui regarde aujourd'hui les films dont Harry Baur était la vedette ? Il était pourtant une star qui avait débuté dans le muet et pris le tournant du parlant. Il pouvait être avec la même vérité un cambrioleur et un policier, Beethoven (un en muet, un en parlant), Raspoutine ou Rothschild. Juge dans Crime et châtiment, Hérode dans l'étrange Golgotha de Duvivier, il fut roi à plusieurs reprises, armateur vénitien, banquier et père Noël savoyard. D'originale alsacienne et lorraine, il fut pendant l'Occupation dénoncé par Je suis partout ; accusé d'être juif, il s'en défendit maladroitement, affirmant son « aryanité », ce qui ne l'empêcha pas d'être arrêté et un peu torturé ; quoique libéré il ne s'en remit pas et mourut peu après. Baur était un grand acteur, Raimu pour la présence physique, mais plus puissant encore, car capable d'exprimer des émotions fortes sans dire un mot et, à la différence du Toulonnais, n'ayant pas besoin de « faire du Harry Baur » pour exister. De plus, il semble qu'il ait été un homme sympathique et attachant, ce que n'était pas Raimu. J'ajoute que quoique né à Paris, il avait dans sa jeunesse jouée au rugby pour l'Olympique de Marseille et vouait un fidèle attachement à ce club.

De Jules en Jules

Raimu est un tel monstre du cinéma français qu'on hésite à rappeler que ce n'était pas un grand acteur - et un bonhomme à l'occasion assez déplaisant. Dans la mémoire populaire provençale (mais pas que), il reste le César de la trilogie marseillaise de Pagnol, un rôle que Harry Baur avait interprété au théâtre avant lui, et le boulanger trompé de La Femme du boulanger. Il détestait ce qui reste aujourd'hui un de ses plus grands rôles, celui de L'Étrange Monsieur Victor. Il est vrai que Jean Grémillon, ayant choisi le plus célèbre des Toulonnais pour jouer le rôle principal d'une histoire située à Toulon, avait utilisé le bagout de l'ancien comique troupier provençal pour le détourner et en faire un personnage ambigu et finalement assez antipathique…

Je ne peux oublier Jules Paufichet, dit Berry, l'inoubliable diable des Visiteurs du soir, ni Pierre Brasseur qui, en presque cinquante ans de carrière (débuts en 1924 avec Renoir, fin en 1971 avec Rappeneau), a été mauvais garçon, tueur, peintre maudit, comédien (Frédérick Lemaître dans Les Enfants du paradis, c'est lui), assassin, commissaire de police, fils feignant, comte, abbé, avant de finir marchand de vin ; pour la belle Simone Simon, femme fatale qui ne rendait pas à Renoir l'admiration que l'auteur de La Règle du jeu lui vouait, elle n'a pas commencé par le théâtre, mais après des débuts sur les planches en 1933 et une interruption due à la guerre et à sa carrière hollywoodienne (La Féline, de Jacques Tourneur) elle y est revenue quelques années avant sa mort ; de même pour Jean Marais. Débutant au cinéma dans les années 1930, celui qui sera l'acteur fétiche et l'homme aimé de Cocteau décédera en pleines répétitions de La Tempête de Shakespeare. Mon père, longtemps critique de théâtre au Canard enchaîné et qui avait la dent dure (il avait notamment titré un papier : « Surprise à Marigny, Jean-Louis Barrault encore plus mauvais que d'habitude »), m'a raconté l'entrée en scène du beau Jean dans Britannicus à la Comédie-Française (1952). Marais est le metteur en scène de la pièce et il interprète le rôle de Néron. Entrée à l'acte II : allure majestueuse, frisson dans la salle. Puis il ouvre la bouche et nasille « Narcisse, c'en est fait, Néron est amoureux » : fin de la magie, autre frisson, car la salle est parcourue d'une envie de rire que chaque spectateur n'a pas le courage (ou la décence) de retenir.

Arrêtons-nous sur le cas Gérard Philipe : la qualité des films dans lesquels notre James Dean est apparu est trop inégale pour qu'on puisse en juger, mais seuls ceux qui l'ont vu au théâtre ont eu la chance de faire l'expérience directe de son incroyable charisme. Au cinéma, même lorsqu'il est dirigé par l'excellent Jacques Becker dans Montparnasse 19, son jeu apparaît par instants un peu « théâtral » dans des films qui eurent peut-être leur charme, mais nous paraissent terriblement démodés. Ainsi de La Beauté du diable, une assez pesante variation sur le thème de Faustsignée René Clair, où le génialement dégoûtant Michel Simon le pulvérise littéralement. « Qu'est-ce que ça fait de jouer face à Gérard Philipe ? » demanda innocemment un journaliste à la sortie du film. Toujours aimable et gracieux, le héros de L'Atalante et de Boudu répondit : « C'est comme de jouer face à un mur. »

Sur cette vacherie j'arrête l'épisode 2, réservant le 3e à un monstre mâle et un monstre femelle que j'ai eu la chance de voir au théâtre (deux fois pour lui, une seule pour elle) : Michel Bouquet et Jeanne Moreau.

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