Antoine Audouard

TRUFFAUT, L'HOMME QUI AIMAIT (2)

17/05/2021

Bizot, si tu me lis jusqu'au bout des 12 épisodes, je vais te convaincre d'une seule chose : Truffaut, c'est pas ce que tu crois.

MBE[1] : c'est pas des histoires de couples et de coucheries du type « Jean-Claude aime Nathalie qui préfère Paul qui est marié avec Colette, secrètement amoureuse d'Antoine et à la fin tout le monde mange ensemble » ?

Moi : oui, il y a bien des histoires de couples, mais il y a aussi — et plus souvent— des trios amoureux. Et très peu de repas.

MBE : du triolisme ?

Moi : non, le cul français années 1970 va plutôt chercher du côté de José Bénazéraf[2]. C'est pas qu'il n'y ait pas de sexe dans les films de Truffaut, mais il est suggéré plus que montré.

Puisque je me suis lancé dans ce qu'il n'y a pas chez Truffaut, je peux esquisser une théologie négative[3] de sa filmographie.

Il n'y a pas de films de guerre chez Truffaut, pas de films fantastiques (un seul de science-fiction, mais si « barré » qu'il n'appartient pas au genre), pas de films de gangsters.

Pour ces derniers, si Truffaut n'en a jamais réalisé ce n'est pas, je crois, parce qu'il n'aimait pas les films de gangsters, c'est plutôt, dit-il quelque part, qu'il n'aimait pas les gangsters, ne les comprenait pas, ne s'intéressait pas à eux et n'aurait donc pas pu les filmer. Les seuls gangsters qu'il montre (dans Tirez sur le pianiste, je crois, et dans Vivement dimanche) sont des gangsters qu'on croirait droit sortis des vieux films de burlesque ou des traductions françaises des polars américains de la Série noire. Ils ont beau être revêtus de tenues de gangsters et armés de flingues de gangsters, il n'est pas facile de les prendre au sérieux.

Je crois que Truffaut filmait ce qu'il aimait : enfants, hommes, femmes (surtout), dont il scrutait les visages avec l'intensité d'un guetteur/chasseur ou d'un chercheur de trésor[4]. Même si aucun de ses films ne bascule dans l'onirisme ou le fantastique, même « poétisé » à la mode Cocteau, je crois qu'à sa façon il filmait aussi les esprits, les fantômes, l'immatérialité des êtres qui, absents, nous sont quand même présents ; quand pendant les deux heures de L'Histoire d'Adèle H., un film pratiquement vide de toute action, il filme, fasciné, le visage de la jeune Isabelle Adjani, il nous donne à voir en permanence l'image impossible qu'elle porte comme une obsession et une blessure : celle d'un homme qu'elle a suivi par amour aux confins de la terre et qu'elle ne reconnaît même pas lorsque, fugitivement, elle l'aperçoit dans une rue. Dans La Chambre verte, le personnage central, qu'il interprète, éclaire de milliers de bougies une chapelle désaffectée qu'il dédie à « ses morts » : femme aimée, amis décédés, artistes admirés, comme si par ces flammes fragiles et la « magie du cinéma », il redonnait vie à tous les noyés de la vaste mer des disparus dont la houle vit en nous quand les aimés ne sont plus, et baigne nos flancs de ses flots mélancoliques. (À suivre.)



[1] Mon Bizot embarqué (voir épisode 1 — 06/05/2021).

[2] 1922-2012, actif de 1963 à 1999, auteur notamment de La Soubrette perverse (1974) et de La Veuve lubrique (1984).

[3] Démonstration de l'existence de Dieu par la recension de ce qu'il n'est pas.

[4] Dans une lettre de 1951 à Éric Rohmer, il écrit : « Si vous faites un film, n'oubliez pas que […] le cinéma consiste à faire faire de belles choses à de belles femmes » (Jean-George Auriol, rédacteur en chef de La Revue du cinéma).

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