Antoine Audouard

VENDREDI SOIR SUR LE FAUBOURG

31/08/2020

Depuis vingt-cinq ans que nous y habitons, le prix du mètre carré a augmenté sur le faubourg St Martin, on croise quelques « peoples » aux terrasses et les pauvres sont repoussés toujours plus loin vers La Courneuve ( ligne 7) Bobigny (ligne 5) ou Saint-Denis et Creil (RER D) ; s'y attardent pourtant les derniers survivants du Paris populaire autrefois chanté par  Prévert, celui d'Eugène Dabit, de Bove, d'Henri Calet, écrivains faubouriens pour qui Notre Dame et son grand orgue étaient loin. Dans ce Paris-là, l'instrument-roi c'est encore l'accordéon, le « piano du pauvre », peu coté à Télérama sauf quand il s'appelle bandonéon et que c'est Astor Piazzolla qui en joue.

J'ai croisé Malik souvent au Bistrot du Canal où ; équipé d'une longue veste en cuir et d'une casquette du même métal il s'amuse à incarner un gestapiste en vadrouille - j'ai plaisir à lui donner la réplique en « pon vrançais » prêt à dénoncer les terroristes antiallemands. Le BdC étant fermé ( Kamel, Carole and co ont bien droit à quelques vacances), c'est au Château Landon que je l'ai croisé la semaine dernière : après notre petite saynète habituelle, Malik m'a invité timidement à une « animation » musicale (il n'a pas osé dire « concert ») du vendredi soir.  « Un peu d'accordéon », a-t-il seulement dit, sans m'annoncer qu'il jouait également de la flûte et du violon. Vendredi, peu après vingt heures, l'ayant écouté, d'instrument en instrument, se balader avec aisance et justesse du musette au jazz, j'avais les larmes aux yeux. Ce n'était pas de la « grande musique », peut-être, mis c'était la musique de l'émotion, celle qui réjouit les coeurs las et fait que deux inconnus de passage, pourtant fatigués, se lèvent et dansent au lieu de passer leur chemin et d'aller netflixer chez eux. Je ne connais pas Malik si bien que ça ; en quittant le bistrot je lui ai glissé que j'étais fier de lui, un peu étrange considérant que, s'il est plus jeune que moi, je n'ai tout de même pas l'âge d'être son père. « Tu sais », a-t-il eu le temps de me dire, toujours timide, «  je suis qu'un fils d'ouvrier et j'ai pas été au Conservatoire ». Je ne pense pas que Malik soit invité de sitôt pour un concert à la grande salle de la Philharmonie mais tant qu'un vendredi soir il pourra sortir sa flûte, son violon et son accordéon dans un bistrot du faubourg, quelque chose de Paris continuera à résonner dans nos coeurs et à enchanter nos vies.

Références
Le Château Landon , 187 rue du faubourg St Martin

Le Bistrot du Canal, 224 rue du faubourg St Martin

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