Antoine Audouard

EUX ET NOUS (l'éternel retour)

06/01/2020

          L'un des lecteurs réguliers et toujours attentifs de mes divagations (le sens premier de divaguer, pour Littré, c'est errer çà et là...) me reproche parfois amicalement d'exprimer des sentiments d'une révolte adolescente attardée.  Pas faux, honnêtement, pour reprendre le grand Pierre Dacq, que sans être « contre tout ce qui est pour », je conserve une tendance primesautière à être « pour tout ce qui est contre »

          Sachant qu'il est difficile de livrer avec la froideur nécessaire des réflexions à chaud, c'est avec retenue que je me lance...

          Que M. Macron ne puisse tenir sa vague promesse d'un espace politique au-delà de la droite et de la gauche ne saurait lui être imputé à crime - et c'est par ailleurs lui faire un mauvais procès que de lui reprocher de mettre en oeuvre, avec la retraite à points, l'un de ses engagements de campagne. Vivant plus longtemps, et observant ce qui se passe dans les pays voisins, nous avons confusément conscience qu'il faudra aux plus jeunes de nos concitoyens travailler un peu plus longtemps pour payer nos retraites et garantir les leurs.  La réforme vitupérée par Mme Le Pen et M. Mélenchon , critiquée à gauche comme de la «  casse sociale » et à droite comme  trop timide    n'est pas la panacée vantée en choeur par les  « marchistes » et elle sera, n'en doutons pas, suivie dans quelques années par une autre qui, comme elle, offrira une solution définitive au problème de retraites. En attendant, il valait pour une fois faire quelque chose plutôt que rien, même si ce quelque chose est trop pour les uns et as assez pour les autres Mais qu'un homme aussi intelligent et réfléchi que M. Macron semble avoir tant de peine à mettre en oeuvre la promesse assez simple de rétablir la confiance du citoyen de base en l'honnêteté de ses représentants - trop souvent et injustement pointés d'un « tous pourris ! » facile, c'est tout de même dommage.

          À gauche, nous avons connu M. Cahuzac qui défendait sa probité « les yeux dans les yeux » puis nous avons eu M. Thévenoud et sa phobie administrative qui l'empêchait de remplir ses déclarations d'impôts. Comment s'en est-il sorti ?  Mieux, à n'en pas douter, que le pékin moyen qui, phobique ou non, commet la même erreur. À droite, nous assistons au spectacle réjouissant et pitoyable du feuilleton Balkany ; nous pouvions penser raisonnablement qu'instruit par ces affaires, M. Macron veillerait à ce que la « transparence » ne soit pas un vain mot - ni une Haute Autorité à géométrie éthique variable. Lorsqu'il a demandé à M. Ferrand, mis en examen pour « prise illégale d'intérêt », de démissionner de son poste de ministre, il avait semblé cohérent avec ses principes. 

          Empêtrée dans de confuses affaires immobilières, Mme Nyssen a dû, à son tour, quitter ses fonctions. Défaut technique dans le « filtrage », a-t-on expliqué au peuple étonné. Cela ne se reproduira pas. M. Ferrand, pas assez « irréprochable » pour rester ministre, l'était suffisamment   pour être recyclé en président de l'Assemblée Nationale, rien que ça, le troisième poste le plus important de la République... un job quasiment bénévole : : sept mille euros  par mois plus les frais, un plan de retraite   sans doute un peu plus spécial que celui des autres parlementaires... Et qui, à la veille de la première grande manifestation contre la réforme, intervient pour traiter les protestataires de « pleurnichards » ? Nul autre que ce même M. Ferrand !

          Sur ce, M. Delevoye - ministre en charge de la réforme dont on ne peut dire qu'il soit novice en politique - « oublie » de déclarer une bonne partie de ses mandats rémunérés, mais aussi  le principe qu'il ne peut occuper un emploi privé en même temps qu'une fonction publique.  La faute à  sa femme, nous dit-il. Ah ! Ces gonzesses !    A l'âge  de #metoo,   c'est devenu n'importe quoi. Après une telle séquence, on pourrait en souriant s'interroger sur ce que son successeur aura pu « oublier ». Gageons qu'il aura été correctement « filtré » pour n'avoir pas à être furtivement exfiltré.

Le sens des symboles, c'est un peu comme le bon sens : on l'a... ou on ne l'a pas.

          Il est curieux et regrettable de constater qu'à l'heure où l'on demandait au peuple de faire un effort  supplémentaire pour s'assurer une vieillesse, sinon dorée, du moins paisible, le chef de l'État n'ait pas perçu que le symbole de l'éternel « eux et nous » serait pris pour ce qu'il est : un signe de mépris et une offense aux « vraies gens ». On nous dit que les parlementaires sont à l'oeuvre pour faire entrer leurs propres régimes spéciaux dans le régime général - le tout, sans doute, avec des aménagements particuliers justifiés par la pénibilité de leur tâche. Mais quid des anciens ministres, des anciens présidents ?  M. Macron, qui - même réélu-, n'aura pas 50 ans lorsqu'il  quittera l'Elysée,  a fait savoir qu'il renonçait à sa retraite présidentielle, ainsi qu'à siéger au Conseil Constitutionnel, assurance d'un revenu consistant pour une tâche qu'on perçoit peu écrasante.  Le bal des hypocrites a  aussitôt repris (cesse-t-il jamais réellement ?) : les   âmes  vertueuses  ont  vociféré que, assuré de confortables revenus complémentaires dans les milieux financiers où il retournerait  sans doute, cette promesse ne lui coûtait pas grand-chose. Elle a le mérite d'indiquer un début de  prise de conscience : M. Macron en profitera-t-il pour glisser un mot à ses prédécesseurs, leur suggérant que, par égard pour l'esprit républicain et au-delà de toute querelle partisane, , il serait heureux qu'ils prissent la même décision   que lui et se contentassent pour vivre de leurs droits d'auteur, de leurs cachets de conférenciers, complétés par le montant généré par les points de leur retraite qui dépassera, n'en doutons pas, les 1000 balles minimum promis à la masse de ceux qui auront bossé toute leur vie. Il est vrai que  sont choquantes les conditions  de vie  accordées aux « ex » encore vivants, M. Giscard d'Estaing, qui aura été non président beaucoup plus longtemps que ministre et président, et MM. Sarkozy et Hollande, dont l'essentiel de l'énergie est consacrée à une campagne électorale permanente ayant pour objet de nous les faire regretter - voire de nous convaincre de faire à nouveau  appel à leurs services pour sauver la patrie en danger.  Les sommes en question, nous opposera-t-on, sont une goutte d'eau dans l'océan des déficits que, courageusement, des dirigeants éclairés comblent avec les sous de ceux qui ne bénéficient d'aucun de leurs avantages.  Et puis ces privilèges ne sont rien en comparaison de  ceux cumulés, légalement ou pas, par les  Ghosn  et autres efficaces et douteux  champions du capitalisme.. Certes !   On nous citera des exemples d'élus locaux ou régionaux ayant servi fidèlement leurs concitoyens pendant des décennies. Mais pour un Lassalle, combien d'opportunistes,  de roués faisant passer le sens de la manoeuvre et les tapes dans le dos  pour  l'amour du service public, combien d'artistes du clientélisme ?

Aménagements partiels à l'appui, on sortira de cette crise et pendant quelques jours, les millions de passagers de la RATP ou de la SNCF auront le sourire et seront polis les uns avec les autres. Comme pour « Nuit debout », comme pour les « gilets jaunes », on soupirera : « ouf, c'est fini. » et dans un mois dans un an, à l'occasion d'une autre réforme sur un autre sujet (ou le même), ça recommencera.

Qui s'attaquera au symbole ? Qui désensablera enfin les portugaises de nos Olympiens gauchistes, droitistes ou marchistes ?

Allez, Manu, encore un effort pour être révolutionnaire !

Ps. Ceci écrit avant l' « important discours » que notre président va prononcer à l'occasion des voeux du Nouvel An.

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