Antoine Audouard

POURQUOI LE MÂLE VA MAL ?

22/10/2019

De la grande tradition littéraire américaine du « magazine  writing », presque rien n’est connu en France, où « journalisme » et « littérature » ont le plus souvent été des mondes séparés.

À l’heure où les magazines U.S les plus prestigieux sont en difficulté – la faute à la pub qui rentre mal, à Internet qui engourdit le cerveau des lecteurs – la qualité de beaucoup d’articles reste impressionnante. Ainsi la dernière livraison du célèbre Harper’s  – où à côté des photos d’Irving Penn ou de Cartier Bresson, on trouva notamment autrefois a signature de Truman Capote – propose-t-elle un passionnant essai de Barrett Swanson sur l’état du mâle américain contemporain.

À son meilleur, le magazine writing propose un sujet accrocheur, une recherche approfondie, une histoire structurée et un style personnel. Sous l’influence de certaines de ses stars, comme Norman Mailer ou Hunter Thompson, les années récentes ont vu certains écrivains négliger le travail journalistique ou d’écriture  pour se raconter avec la complaisance des auteurs précités, mais sans leur talent hors norme.  N’ayant rien lu de M. Swanson, je me suis fié à l’accroche de couverture : « Manhood in the age of #metoo »  que le sommaire précise partiellement en indiquant le titre « Men at work » et le sous-titre « Is there a masculine cure for toxic masculinity ? ». Décidé à partir à la rencontre d’une toxicité masculine » dont –  malgré de fréquents rappels à l’ordre d’Edith, ma prof de yoga, mon adorée gouroute – j’ignorais la présence en moi, je me suis plongé dans le récit de M Swanson. Il est structuré autour du compte rendu d’un long week-end dans une « retraite » organisée par la société Evryman – des hommes proposant à des hommes en désarroi de se réunir entre hommes (ce sont des femmes qui font le service, quand même !) dans le but de retrouver une identité masculine nettoyée du poison du machisme. On parle, on se confesse, on écoute, on pleure (beaucoup), on s’encourage, on se donne des tapes dans  le dos et des « high five », on se câline et à la fin du week-end on repart l’âme récurée – non par d’agressives militantes féministes – mais par des hommes comme nous, poil dur et voix douce. Le  talent de M. Swanson est de nous entraîner dans son récit avec honnêteté, justesse et un certain sens du comique. Tout d’abord il a fait son « homework ».Cette crise du mâle, nous apprend-il assez vite, n’est pas une « impression ».  Des statistiques établissent d’inquiétantes proportions (de l’ordre de 80%) d’hommes américains en proie ou la dépression ou à une addiction quelconque ; si l’on ajoute  les tentatives de suicide, l’Amérique  moderne – celle qui a élu comme président M. Trump,  prototype du mâle bien toxique, n’est pas une nation de John Waynes ou de Rambos sûrs de leur virilité, sauf à considérer que sortir son flingue ou son surin sont des signes d’une virilité confiante : le mâle américain est responsable de 80% des crimes avec violences.

Par la variété de ses sources,  son absence de complaisance  quand il se met en scène, son absence de condescendance quand il relate des scènes pouvant prêter à sourire, M. Swanson attire la sympathie. Dans un endroit où l’on pleure beaucoup (l’un des exercices s’intitule « si tu me connaissais, tu saurais que.. » et donne lieu à de torrentielles confessions), on ne pouvait rêver plus accommodant témoin qu’un journaliste dont, nous dit-il, le surnom à l’école était « the sprinkler »  - l’arroseur… Nous faisant découvrir en parallèle l’univers effarant des « iron Johns », ces super-machos dont « super Donald » Trump  est un exemple, il nous invite à une réflexion collective et personnelle subtile et non caricaturale. Un sentiment renforcé vers la fin d’une (longue) lecture, quand l’on s’aperçoit qu’il n’essaie pas de « conclure » : à coups de stages, de thérapies ou de « retraites » ce « nouvel homme »  est-il autre chose qu’ une illusion moderne, voire un sous-produit marketing de plus dans une société  où le désir de se relier à nos semblables a produit un monstre comme « Facebook » et où les « gourous » de toutes obédiences suivent les préceptes enseignés dans les écoles de commerce ? Libre au lecteur (ou à la lectrice) de se faire une opinion personnelle : au moins celle-ci, qui n’est pas et ne peut être « vierge », aura-t-elle été éclairée et enrichie par ce témoignage/enquête mené avec talent.

 

Référence

Harper’s Magazine, numéro de novembre 2019

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