Antoine Audouard

INSIGNIFIANCE

01/04/2015

En lisant les mémoires de Nadejda Mandelstam, je repense à Etty et découvre un curieux parallèle : pourquoi les réflexions de ces femmes au destin tragique nous inspirent-elles, quoiqu’en comparaison, nos épreuves (maladies, soucis familiaux, amicaux ou professionnels) soient d’un caractère si ordinaire que nous rougirions de comparer nos misères aux leurs ? Pour cette raison même, car l’absence de commune mesure, comme pour la poésie qui les a nourries, fait mieux ressortir le caractère universel de leur force d’âme et de leur grâce. Par ce rayon de lumière de leurs mots conservés, nous parvient leur bienveillance : ce n’est pas à nous de nous comparer à elle, ce sont elles qui, d’avance, se reconnaissent semblables à nous et nous prennent la main fraternellement. Nadejda aime à citer ce vers écrit par Pouchkine à propos d’un poète : « Parmi les insignifiants il était le plus insignifiant ».

D’après les témoignages recueillis par Nadejda auprès de rares survivants, Ossip Mandelstam vit sur les murs du camp recopiés d’une main d’ouvrier ces vers qu’il avait écrit au temps de sa jeunesse confiante :

Est-ce que j’existe réellement

Et la mort viendra-t-elle vraiment ?

 

La mort ne tarderait plus et c’est un « insignifiant »  qui avait retenu ces mots qui signifiaient si bien sa vie en cette heure où elle s’enfuyait heure par heure dans le froid, la faim, l’épuisement.

Tout ce que les mots peuvent porter de beau, de fort, s’exhale dans l’humanité consciente de notre insignifiance commune. Comme il sera abaissé, celui qui prétend se tenir » au-dessus » et  élevé, exalté le poète passant miséreux,  qui a seulement cheminé aux côtés des « paysans  barbus ».

Et nous qui, comme lui, aimons cette pauvre terre parce que nous n’en avons pas connu d’autre, prenons garde d’oublier que si les mots sortis de nos cœurs se retrouvent un jour dans un autre cœur, ou sur des murs, c’est qu’ils auront été roulés dans la glèbe de cette humilité.

 

Etty Hillesum, Les Ecrits d’Etty Hillesum, Journaux et lettres (1941 -1943) éditions du Seuil.

Nadejda Mandelstam,  Contre tout espoir, trois volumes collection TEL, Gallimard.

Ossip Mandelstam, Simple promesse, choix de poèmes, La Dogana.

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