Antoine Audouard

Blog de Antoine Audouard


VOIES NAVIGABLES

« Dieu me garde de parler de ce que je ne connais pas? » Comme tous les conseils de Tchékhov, celui-ci est empreint d'une tranquille sagesse : combien de fois les écrivains devraient se garder de s'engager dans un domaine dont leur fréquentation est limitée. On éviterait deux des maux courants de la littérature médiocre : le cliché et la pirouette. D'un article récent cité par Simon Leys, je tire un contre-exemple amusant et profond.


UN ONGLE TRANSPARENT ET FRAGILE

Je lus « le Portail », de François Bizot, une nuit de septembre 2000, nuit amère et brûlante d'où j'émergeai épuisé, comme si j'avais été battu ; il entra aussitôt dans ce petit nombre des livres dont on peut dire sans excès qu'ils ont « changé votre vie ». Ce double récit est dominé par la présence fantomatique, et pourtant bien réelle, des Khmers rouges dont il fut le détenu. Mais ce survivant, ce grand ethnologue, cet humaniste dominé par l'inquiétude,  est aussi un écrivain qui a longuement mûri. Son univers littéraire est habité de cris d'oiseaux, d'arbres aux racines géantes, de pousses écrasées dont l'odeur se répand sur la terre, où s'attarde le vent froid qui souffle des bambous.


LA LECON RUSSE

Dans la conception romantique dominante, vulgarisée dans la forme commune par l'industrie hollywoodienne, l'émotion est maîtresse. Je ne veux pas dire par là que créer de l'émotion soit en soit répréhensible, mais que celle-ci devenue à la fois prétexte et un but en soi, les buts souterrains de l'écriture ' le chaos devenu sens, l'ordre du monde reconstitué ' passent à la trappe. Plus encore, l'émotion remplace chez l'écrivain le daimôn goethéen, elle est à la fois inspiration et justification. Une telle littérature ne peut déboucher que sur le sentimentalisme et le cliché. Tout autre est ce que j'ai envie d'appeler « la leçon russe ». C'est le « coeur froid » de Tchekhov, c'est la neutralité chère à Brodsky.


DIEU EST DANS LES DETAILS

Francine Prose (ce n'est pas un pseudonyme) raconte dans un ouvrage aussi documenté qu'amusant (« Reading like a writer ») l'anecdote suivante : la scène est dans un séminaire de développement personnel. Une atmosphère électrique règne depuis qu'un des participants, invité à raconter une histoire personnelle, s'est lancé dans une série de récits pornographiques mettant en scène sa femme, dans des situations humiliantes.


ENTRE FRAGMENTS ET UNITE

C'est l'une de ces phrases familières, l'une de celles qui se sont tellement mêlées au langage courant qu'elles rodent tout près des clichés. « Si on me presse de dire pourquoy je l'aymois,?» Dans son dernier livre, la Cité des Mots, Alberto Manguel rapporte la genèse du passage célèbre dans lequel Montaigne exprime, en des termes d'une éloquence qui nous émeut encore à plus de quatre siècles de distance, son amitié avec La Boétie - et au-delà, l'essence même de ce sentiment.


DANS LA JUNGLE DES IMAGES

Chaque écrivain génère son propre univers d'images et, lecteurs attentifs, nous pourrions reconnaître un style (et son auteur) rien qu'à sa façon d'associer deux mots, deux univers, deux plans sensoriels. Les âmes des hommes perdues dans les reflets changeants de la mer, elle-même mélangée au ciel : c'est Joseph Conrad. Des incendies rougeoyants de blé : c'est Maupassant, etc. Le plus grand écrivain vietnamien contemporain, Duong Thu Huong, a ainsi sa manière tout à elle de nous entraîner dans la jungle des mots.

 

 

 


ELEMENT DE SURPRISE

Il n'est pas si fréquent qu'un grand écrivain ait la générosité (ou la naïveté) de nous emmener dans son arrière-cuisine. C'est l'exercice, pourtant, auquel la grande romancière et nouvelliste du Sud américain Flannery O'Connor s'est livrée, en dépeçant elle-même le processus créatif d'une de ses plus célèbres nouvelles, Good Country People.

 


USAGE DES IMAGES

Le monde des images est plein de clichés ou de bizarreries malheureuses. La lecture de certains auteurs nous les rend pour ce qu'elles sont : un morceau de temps arraché à l'oubli. Proust écrit : "Le souvenir d'une image n'est que le regret d'un certain instant."Ainsi du premier chapitre de l'Usage du Monde¸où Nicolas Bouvier retrouve Thierry, celui qui sera son compagnon de voyage.


LA VIRGULE QUI TUE

"Aucune pointe de fer ne peut percer glacialement un coeur humain comme un point placé au bon endroit." Cette phrase souvent citée de la nouvelle Guy de Maupassant, d'Isaac Babel, est un appel à la force de la ponctuation qui résonne à la manière d'un verset révolutionnaire. Venant d'un homme qui voulait intituler son autobiographie "Histoire d'un adjectif", cela ne peut surprendre.
 


IL ETAIT UNE FOIS

"Il était une fois" fut longtemps la seule façon d'introduire une histoire. Est-elle toujours d'actualité, ou appartient-elle au temps imaginaire d'une mythologie oubliée?


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