Antoine Audouard

Blog de Antoine Audouard


ENTRE FRAGMENTS ET UNITE

C'est l'une de ces phrases familières, l'une de celles qui se sont tellement mêlées au langage courant qu'elles rodent tout près des clichés. « Si on me presse de dire pourquoy je l'aymois,?» Dans son dernier livre, la Cité des Mots, Alberto Manguel rapporte la genèse du passage célèbre dans lequel Montaigne exprime, en des termes d'une éloquence qui nous émeut encore à plus de quatre siècles de distance, son amitié avec La Boétie - et au-delà, l'essence même de ce sentiment.


DANS LA JUNGLE DES IMAGES

Chaque écrivain génère son propre univers d'images et, lecteurs attentifs, nous pourrions reconnaître un style (et son auteur) rien qu'à sa façon d'associer deux mots, deux univers, deux plans sensoriels. Les âmes des hommes perdues dans les reflets changeants de la mer, elle-même mélangée au ciel : c'est Joseph Conrad. Des incendies rougeoyants de blé : c'est Maupassant, etc. Le plus grand écrivain vietnamien contemporain, Duong Thu Huong, a ainsi sa manière tout à elle de nous entraîner dans la jungle des mots.

 

 

 


ELEMENT DE SURPRISE

Il n'est pas si fréquent qu'un grand écrivain ait la générosité (ou la naïveté) de nous emmener dans son arrière-cuisine. C'est l'exercice, pourtant, auquel la grande romancière et nouvelliste du Sud américain Flannery O'Connor s'est livrée, en dépeçant elle-même le processus créatif d'une de ses plus célèbres nouvelles, Good Country People.

 


USAGE DES IMAGES

Le monde des images est plein de clichés ou de bizarreries malheureuses. La lecture de certains auteurs nous les rend pour ce qu'elles sont : un morceau de temps arraché à l'oubli. Proust écrit : "Le souvenir d'une image n'est que le regret d'un certain instant."Ainsi du premier chapitre de l'Usage du Monde¸où Nicolas Bouvier retrouve Thierry, celui qui sera son compagnon de voyage.


LA VIRGULE QUI TUE

"Aucune pointe de fer ne peut percer glacialement un coeur humain comme un point placé au bon endroit." Cette phrase souvent citée de la nouvelle Guy de Maupassant, d'Isaac Babel, est un appel à la force de la ponctuation qui résonne à la manière d'un verset révolutionnaire. Venant d'un homme qui voulait intituler son autobiographie "Histoire d'un adjectif", cela ne peut surprendre.
 


IL ETAIT UNE FOIS

"Il était une fois" fut longtemps la seule façon d'introduire une histoire. Est-elle toujours d'actualité, ou appartient-elle au temps imaginaire d'une mythologie oubliée?


REPETITION INTERDITE

"Quand dans un discours se trouvent des mots répétés, et qu'essayant de les corriger, on les trouve si à propos qu'on gâterait le discours, il faut les laisser, c'en est la marque; et c'est là la part de l'envie, qui est aveugle, et qui ne sait pas que cette répétition n'est pas faute en cet endroit; car il n'y a point de règle générale."


MAIS DANS QUEL ORDRE

A mes débuts dans l'édition me fut assignée la noble tâche de relire et d'annoter des dizaines de textes écrits pour Pierre Bellemare dans le but de retenir les meilleurs pour l'édition. J'entends encore Jacques Antoine, le « cerveau » de l'atelier Bellemare, qui avait mis au point avec son partenaire ce format retenant quotidiennement des millions d'auditeurs, m'énoncer son principe littéraire de base : « Nous écrivons des histoires avec un début, un milieu et une fin. »


FACE AU MIROIR

 L'éditrice Viviane Hamy a édité ou réédité il y a une quinzaine d'années les ?uvres d'un écrivain hongrois magnifique, Deszö Kosztolanyi, admiré entre autres par Sandor Marai, mais dont l'?uvre ne semble pas suivre le même chemin posthume. Cela nous engagerait dans des réflexions mélancoliques sur le temps comme Grand Rectificateur, car voici un auteur qui eut beaucoup de succès de son vivant (dans les années 20), et risque d'être englouti par l'oubli, de devenir un fantôme. 


FAUX PROVERBES

« Vivre à Tiflis, avoir vingt ans et ne pas être aimé, c'est un grand malheur. Pareil malheur m'est arrivé. »

Je suis devenu « collectionneur de débuts ». Prenons une rentrée littéraire au hasard. Supposons sa médiocrité ordinaire : nous ne serons pas surpris. Mais que des écrivains, même sans ampleur ni sujet, ne soignent même pas leur première phrase, ne « donnent pas tout » (comme on dirait en rugby) sur cette première mêlée, voilà qui dépasse l'entendement. On ne leur demande quand même pas de se mesurer avec le narrateur biblique : « Au commencement, Elohim créa les cieux et la terre », ça vous manifeste une assurance qui n'est pas donnée à tout le monde.


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