Antoine Audouard

Blog de Antoine Audouard


MORT DE QUELQU'UN

 

Il n'a pas de page Wikipédia mais c'est un sacré quelqu'un qui vient de passer l'arme à gauche : né il y a 61 ans comme une blague en retard, un lendemain de 1er avril, il a tiré sa révérence en plein coeur d'été à Paris - quand les potes sont absents - cassé par un vilain crabe qui lui rodait autour depuis un bout de temps.

Tous les matins de l'année scolaire 1966-67 et la suivante nous nous retrouvions dans l'autobus 43 qui nous déposait près du lycée Pasteur. L'âge des mobylettes ne nous sépara pas. Dans notre bande d'adolescents, bourgeois rebelles fils de parents qui ne l'étaient pas (bourgeois ou rebelles) il était le plus fin, le plus brillant, le plus drôle, le plus à l'aise dans toutes les situations. Pratiquant sans réserve le « no sport » churchillien, ennemi radical de l'esprit de sérieux, il vivait tout comme un jeu auquel il  invitait camarades et passants à participer. La vie qui a suivi n'a sûrement pas été celle qu'il avait voulu, d'un point de vue personnel ou professionnel, mais elle n'a pas pour autant été un « bien perdu ». Son engagement au sein d'un groupement d'associations d'aide aux jeunes adolescents des rues à Paris et en proche banlieue, (GRAJAR) a été intense et constant sur de nombreuses années. Sacré quelqu'un que notre ami parti : Stéphane Kouzmine Karavaieff (1956-2017).

Ci-après en guise d'envoi un poème tiré de mon impuissance à distance et de ma peine.

 

 

HIER MATIN

                                                            Pour Stéphane

 

Hier matin nous avions quatorze ans

Et là, mon  vieux, te voilà tout mourant

De tout nous avions appétit

Du monde une féroce, une insatiable envie

Tu ne souffres pas, on me dit,

 

A l'heure où tranquille te quitte la vie.

Des faims, des soifs te voici bien guéri

Des frustrations aussi de tout ce qui n'advint pas

 

Mon tour bien assez tôt viendra

Mais là, d'un jour à l'autre, c'est toi qui t'en vas.

Ne pouvant pas - pauvre con, salaud, tu es loin! - te serrer dans mes bras

Je pleure et je ris à la pensée de toi.

Hier matin nous avions quatorze ans


TRUMP EST UNE VICTIME

En vitupérant contre lui ou en s'en moquant, on alimente la Trump-machine mondiale aussi bien qu'en flattant son courage ou son génie : Quoique ayant soumis mes quelques 1200 suiveurs  - comme  on dit dans le Tour de France - à ce douteux exercice il y a quelques jours à peine, je remets ça après le crime de Charlottesville - 1 morte, 19 blessés, dont certains dans un état grave. Qu'a déclaré M. Trump pour apaiser la douleur des victimes ?  Il a dénoncé la violence « de tous bords »  - comme si les manifestants protestant contre un rassemblement d'inspiration raciste et antisémite (voir les panneaux « nous ne laisserons pas notre place aux juifs !») et le groupe des suprémacistes blancs étaient des sortes d'«ennemis complémentaires». Intellectuellement cela rappelle les propos de Céline martelant que dans « l'histoire » entre nazis et Juifs, les Juifs avaient aussi des torts.
Inutile de transmette cette référence à M. Trump qui ne lit jamais un livre (même George W Bush, de peu illustre mémoire, avait été surpris à lire l'Etranger) et ne risque donc  pas de se lancer dans les oeuvres complètes de notre grand Maudit - lui, dont les capacités d'attention sont, dit-on, si limitées que ses conseillers doivent inclure pour le réveiller le mot Trump dans toute note dépassant quelques lignes. Malgré tout gêné (ou alerté par ceux de ses conseillers qu'il n'a pas encore virés), M. Trump s'est néanmoins fendu d'une petite déclaration filmée condamnant enfin le racisme, le Ku Klux Klan, les néo-nazis et les suprémacistes blancs - propos d'une audace folle délivrés sur un ton monocorde indiquant la conviction et l'émotion. Chassez le naturel, il revient au galop : dès le lendemain l'ami du peuple est revenu à sa rhétorique d'origine : Il y a à blâmer des deux côtés. Face à ces « violences » égales (0 victime d'un côté,  20 de l'autre) il représente l'unité du pays.

C'est que, voyez-vous, M. Trump n'a pas besoin de compassion pour les victimes : il est lui-même une victime. Victime des médias, des Démocrates tordus, des Républicains qui ne se sont ralliés à lui que par opportunisme et sabotent vicieusement tous ses projets - victime de tout le gang de ceux qui ne lui pardonnent pas sa victoire. Est-il aussi victime de son père, fondateur de la fortune familiale et arrêté autrefois lors d'une manifestation violente du dit Ku Klux Klan? Sans doute mais sur ce sujet, motus du potus. Il est vrai que les fils ne devraient pas avoir la charge des crimes des pères - sauf, à la rigueur, quand ils les répètent.

 


LE FEU ET LA FUREUR

M. Trump fait comme son nom l'indique : il trompe énormément.

Ayant trompé son électorat, il continue à trompéter à tous vents. Ainsi promet-il à la Corée du Nord un déluge tel que le monde n'en a jamais connu depuis la Bible - et encore? à l'en croire sur le kim bim ça va tomber fort, ce sera Saddam et Gomorrhe,  pour le moins.

Donald est-il sérieux ou bien n'est-il, au fond qu'un petit Mickey ? Il peut  mériter la réplique légendaire (de Clint Eastwood, je crois) dans Le Bon, la Brute et le Truand : « Si tu dois tirer, ne parle pas, tire ! » ou être pris au sérieux, comme Hitler en son temps - un homme  pour qui les mots  menaçants n'étaient pas des bruits que l'on fait avec sa bouche.

Aucune inquiétude à se faire, vraiment : en attendant la fin du monde, le business va se poursuivre - Trump va tweeter,  les zélateurs zéler, le New York Times s'alarmer, les media du monde titrer. Et les Nord-Coréens, unis avec leurs cousins du sud, vont trembler de tout ce feu et cette fureur, n'ayant, pour oublier leur peur, qu'à s'extasier devant le triomphe du Dieu commerce en sa nonpareille ardeur.


POIDS ET MESURES

 

On peut s'agacer ou sourire de la rhétorique de M. Macron, de son goût pour des mots comme « progressiste », du « pas ça ! » par lequel il martèle son désaccord radical avec son adversaire politique.

Mais que dire d'une candidate du peuple ayant grandi dans un château en banlieue ouest, qui utilise les mots « patriotisme » et « laïcité » comme des kalachnikovs et considère le mot « réfugié » comme une forme d'insulte presque aussi grave que « banquier » et « islamiste ».

Certes on peut relever la filiation entre M. Hollande et M. Macron - ce que ses adversaires de droite et de gauche n'ont pas manqué de faire. Mais au moins celui-ci, après avoir servi son mentor avec loyauté, est-il parti suivre son chemin avec dignité et clarté, exposant ses différences sans se renier ni s'en exonérer en lui inventant des turpitudes inconnues du peuple.

Que dira-ton, en revanche, de la pseudo-rupture familiale et politique de la famille Le Pen ? Marine peut bien effacer son nom de famille et celui du Front national de ses affiches de campagne. Qui en sera dupe ?

Car ce n'est pas seulement sa part de l'héritage immobilier que Mme Le Pen accepte d'un père, que par ailleurs elle exclut du parti qu'il a fondé et formé. Se mettant  elle-même en congé de parti pour raisons de campagne, elle choisit dans un premier temps un président  intérimaire se rangeant dans le camp de M. Faurisson et des révisionnistes « sérieux » (Moi, je considère que d'un point de vue technique il est impossible, je dis bien impossible, de l'utiliser (le zyklon B) dans des exterminations de masse), propos tenus en 2000, nous dit-on au Front nouveau, comme on parlerait des vétilles d'un enfant qui, à quatre ans, s'amusait à arracher les ailes des mouches ou avait renversé une casserole d'eau froide sur le chat de la maison.

On connaît à l'étranger un cas d'antisémitisme pro-israélien : c'est celui de M. Trump - c'est tristement encourageant pour Mme Le Pen dont la rhétorique anti-immigrants, anti-étrangers ressemble sur bien des points à celle de l'héritier milliardaire antisystème.

Point n'était besoin de se trouver un porte-voix antisémite avéré : la banque est juive, chacun le sait en France. Voici M. Macron habillé pour l'hiver : ce philosémite et philo-merckélien aime autant les Juifs que les Arabes - l'ennemi de l'intérieur comme celui de l'extérieur.

Au sujet du système, voici un point commun entre nos deux finalistes. Ils déploient de constants efforts pour montrer leur opposition au « système ».  Qu'est-ce, d'ailleurs, que ce fameux « système » ?

Ils sont d'accord au moins là-dessus : il s'agit, en gros, des partis politiques (socialiste et gaulliste) ayant exercé le pouvoir en France depuis une soixantaine d'années.
A noter au passage que cet horrible système les a nourris l'un et l'autre - moins longtemps que M. Mélenchon - depuis quelques années. Enarque produit par l'élitisme républicain et non la transmission sociale, M. Macron  a,  très jeune, pénétré au coeur du « système » (l'Elysée)  avant d'en gravir les marches et de le quitter  en deux temps (cette banque qui lui est tant reprochée, la fondation de son parti après une expérience ministérielle) pour rêver d'y revenir en réformateur.  A-t-on le droit d'être sceptique ? Oui, sans aucun doute ; la démarche au moins est sincère, si ses objectifs sont flous et ses résultats sont incertains.
Quant à Mme Le Pen, c'est l'abominable institution européenne qu'elle dénonce avec une vigueur orléanaise qui la nourrit - elle et des « assistants » plus fantômes que Mme Fillon, ce qui n'est pas peu dire. Le système a de ces charmes cachés?

Comment gouverneront-ils ?

Sur ce point nos deux candidats ont des faiblesses que leurs adversaires n'ont pas manqué de relever au cours du premier tour.

L'alliance politique formée autour de Macron a quelque chose d'incertain, entre ses communistes refondateurs n'ayant rien refondé  et  ses libéraux réformateurs n'ayant rien réformé? quand la pierre angulaire de son soutien politique est M. Bayrou, il y a de toute façon de quoi s'inquiéter?

Cela fera-il une majorité stable et une politique cohérente? Rien n'est moins sûr. Depuis le temps que les Le Pen parlent d'un UMPS qui n'existe pas, il peut être tentant de voir si l'alliance entre les modérés des deux bords donne de meilleurs résultats que la mise en scène de leur opposition.

Côté Le Pen, au-delà du fantasme qu'elle ne nourrit même pas d'une majorité pour son parti « marinisé », il est difficile de croire que quoi que ce soit d'autre qu'un vaste bordel puisse émerger : entre les fachos vieux et jeunes, quelques chevaux de retour du paléo-gaullisme et quelques ex-gauchos  aventuristes ou opportunistes, comment surnager?

On arguera que M. Tsipras y parvient bien en Grèce depuis son élection. Il semble avoir pour cela des qualités de tempérament  et une souplesse bien étrangère à celles de Mme Le Pen.

L'élection présidentielle, nous dit-on, est plus une opposition de caractères  et d'images que d'idéologies.  Pour y réussir, il ne faut pas tant indiquer une proposition qu'incarner une contradiction. Le général de Gaulle n'était pas tant le gaullisme - fourre-tout  improbable où chacun peut aujourd'hui encore faire son marché - qu'un mélange unique de fils rebelle et de père protecteur, d'homme qui change tout et ne modifie rien. Lecanuet face à lui échoua  à n'être que réformateur raisonnable - et Mitterrand 1, qui fut peint avec succès  en homme d'intrigues à la moralité élastique, opportuniste arrangeur de coups foireux. Puis vint Pompidou, rondeur centriste appuyée sur la tradition, présence paternelle permissive qui vainquit un Poher, archéo-Larcher bon vivant et mou. Après les « émotions » on avait besoin d'être rassuré. Tout ayant changé, tout serait comme avant : le rêve.

De cela on se lassa. Vint Giscard qui dans sa version 1 incarna contre Mitterrand la jeunesse et le changement, s'appuyant en même temps sur la tradition gaulliste.

Le septennat n'ayant pas tourné favorablement, Mitterrand eut la subtilité de se réinventer en révolutionnaire ultra conservateur,  double champion de la ruralité  et de la révolte sociale. En cela M. Chirac fut son successeur, avec sa  fracture qui ne cassait rien. La « rupture » sarkozyste fut une vaste blague, de même que la « normalité  hollandiste, réinvention plate de la « force tranquille » qui se révéla faiblesse agitée.  Qu'en sera-t-il cette fois-ci ?  Chacun des deux candidats s'exerce à montrer sa synthèse impossible, nous désignant une société où tout aura changé et où nous pourrons vivre tranquilles et sans peur, remplis d'optimisme, concentrés sur la recherche du bonheur. Riches, pauvres, nous paierons tous moins d'impôts tout en bénéficiant des mêmes protections sociales et de santé que le monde justement nous envie. L'expression allemande «  heureux comme Dieu en France » reprendra tout son sens?

Au de-là des contenus programmatiques réalistes ou non, quelles sont les tonalités générales de ces bonheurs à portée de bulletin ?

Le bonheur selon Macron est à la fois assez « technologie moderne »  et « bio » : un équilibre entre liberté de l'initiative individuelle et protections collectives.

Le bonheur selon Le Pen est d'obédience villageoise.

L'une et l'autre nous rappellent l'adage selon lequel les promesses n'engagent que les malheureux qui les croient. Aucun de ces bonheurs n'adviendra, nous le savons déjà car comme disait le poète Ossip Mandelstam à sa femme Nadejda, «  où as-tu vu que nous soyons sur terre pour être heureux ? ». Je préfère me reformuler leurs promesses en me demandant lequel aura le sens plus naturel des évolutions nécessaires et saura mieux les accompagner en nous tenant le plus possible à l'écart de notre péché mignon historique : la passion de la guerre civile.

Sur ce point, Mme Le Pen agite avec une confusion brouillonne et irresponsable  des chiffons rouges dangereux - le tempérament de M. Macron semble clairement plus modéré, quoique son adversaire essaie de nous faire croire que nous avons affaire en ce « successeur de Hollande » à un dictateur en herbe. C'est si peu crédible et énorme  qu'on a du mal à croire que ça puisse passer. Quoique? méfions-nous : Trump c'était pire dans le n'importe quoi et les Américains (certes de grands enfants) ont mordu assez pour l'élire?

Pour conclure, Mme Le Pen et M. Macron nous engagent l'un et l'autre à croire  à des choses impossibles - et si nous ne les croyions pas ne serait-ce qu'un tout petit peu, nous serions incapables de placer notre bulletin pour l'un d'entre eux.

L'un et l'autre nous incitent impétueusement et naïvement à les suivre non par défaut (parce que nous détestons l'autre) mais par adhésion.

Dans les deux cas il me semble difficile d'accéder à leur souhait et je ne saurais blâmer ceux qui, dans la joie (M. Emmanuel Todd), la colère ou la morosité s'apprêtent à s'abstenir. Il me semble inutile de les bassiner à coups d'injonctions morales comme on le fait en vain depuis tant d'années.

Toutefois, en ce qui me concerne, mon système intérieur de poids et mesures me donne un résultat sans illusions mais sans ambiguïté : je voterai Macron - et plutôt deux fois qu'une, puisque ma femme, en voyage professionnel, a bravé les files d'attente pour me donner sa procuration avant de partir.


DEGAGISME ET BARRAGISME...

... LES DEUX MAMELLES DE LA DEMOCRATIE

 

Passé le soulagement vague que le duel du 2e tour de la présidentielle ne soit pas l'un de ceux que l'on peut pouvait craindre surgissent quelques amusements : que dans la continuité historique de ses meurtrières batailles internes, l'extrême gauche française n'arrive pas à se mettre d'accord sur une candidature unique susceptible de rassembler le score vertigineux de 2 % ; que MM. Cheminade et Lassalle aient pu prolonger, malgré les obstacles institutionnels, la glorieuse tradition du candidat impossible inaugurée en 1965 (Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître) par l'inoubliable et larmoyant M. Barbu (« Barbu n'est pas un traître ! »).

Puis on en vient à s'interroger sur deux grand « gismes » dominants de la vie politique locale.
Le « dégagisme », nous assure-on, a été l'une des arques de cette campagne : à voir sur les étranges lucarnes les visages des gagnants et perdants de tous les camps, on peut s'interroger. Dégageront-ils, ces infatigables partouzeurs des plateaux, sarkozystes contrits, hollandistes honteux, les Copé, les Dray, les Bayrou, les Le Guen ? Et en 2022 reverrons-nous M. Mélenchon, lui-même venu se réinventer en hologramme de l'insoumis vainqueur ?

Puis vient le « barragisme ». Né il y a quinze ans avec la qualification de M. Le Pen pour le 2e tour (non, Marine, tu n'es pas la première !), celui-ci tend à devenir le grand facteur unificateur des partis de gouvernement traditionnels : que l'on soit de droite ou de gauche, on veut « faire barrage ». L'image de MM. Fillon, Hamon, Juppé d'un côté, de l'autre Mmes Pécresse, El Khomri, Vallaud-Belkacem, tous enlacés sur une place publique pour faire rempart de leur corps aux hordes lepénistes a quelque chose de terrifiant et grotesque qui pourrait donner envie de s'abstenir. Depuis quinze ans que ces résistants courageux font barrage, le Front National a connu une ascension irrésistible, passant de groupuscule d'extrême droite à alternative de gouvernement crédible, le tout malgré le barragisme démocratique intense qui l'attend à chaque coin de rue - et je m'en voudrais de ne pas mentionner les groupes de militants qui vocifèrent et cassent à toutes les occasions pour nous persuader que le fascisme ne passera pas.

Ayant voté pour M. Macron au premier tour, non par résignation mais parce qu'une certaine modération de tempérament sur nos terres furieuses me paraît bienvenue, il semble raisonnable de penser que je m'exécuterai à nouveau dans deux semaines, espérant seulement ne pas avoir entre-temps les oreilles cassées par la clameur barragiste et rêvant, sans trop y croire, que cet Amiénois supporter de l'O.M. réussisse à préparer un gouvernement point trop entravé par les guerriers dégagistes.

 


TOUS VICTIMES, TOUS REBELLES !

La rhétorique révolutionnaire a gagné peu à peu le centre de l'espace public.

Souvenons-nous : l'opprimé prend conscience de sa condition qui justifie sa rébellion. Les masses d'abord ignorantes puis sceptiques le suivent et le peuple triomphe enfin. Cette tactique a réussi à M. Trump, milliardaire « victime » des médias ultra-libéraux (une insulte là-bas aussi, mais pas dans le même sens) et des politiciens de Washington terrifiés par son audace tweetante.

La majorité de nos candidats ont adopté cette posture : victimes du système, même si celui-ci les a nourris depuis longtemps (et les nourrit encore), ils se rebellent contre lui et entendent faire table rase. M. Sarkozy prônait la rupture, M. Hollande le changement, mais au moins à l'époque de leur ascension ne tentaient-ils pas de nous faire croire que des forces mystérieuses s'exerçaient contre eux. M. Sarkozy a caressé le rêve de construire sa reconquête du pouvoir sur le mythe de cet acharnement - au moins s'est-il interrompu en route, comme M. Hollande, que son impopularité croissante a dispensé de débusquer un complot.

Sans procéder à un catalogue, observons nos candidats: fonctionnaires, syndiqués protégés, élus, fortunés par héritage ou sens des affaires, ils se présentent presque tous comme des victimes.  On refuse la télévision aux « petits » ; M. Dupont-Aignan est tellement obsédé à l'idée de s'en plaindre, qu'il refuse de détailler son programme sur TF1 et tente un « messieurs les censeurs, bonsoir ! ».  Victime aussi de persécution judiciaire, Mme Le Pen (dont l'assiduité au Parlement européen qui la paie mériterait à tout autre salarié un licenciement pour faute grave), victime, la même qui dénonce la bureaucratie bruxello-strasbourgeoise et fait payer des militants sur son budget. Victime M. Fillon, non de ses amis peu fréquentables ou de ses mauvaises habitudes de gestion personnelle, mais des pratiques abjectes d'un cabinet noir ; victime aussi M. Hamon,  des « trahisons » de ses camarades socialistes. Au nom du peuple, tous résistent, refusent de se laisser intimider et se battront jusqu'au bout.

M. Mélenchon, insoumis professionnel et qui veut détruire le « système », n'essaie pas, au moins, de se présenter en victime. Le modeste appartement d'une centaine de mètres carrés  qu'il a acquis grâce à l'argent du contribuable et décoré, déclare-t-il,  "avec un goût exquis", a pris ces dernières années assez de valeur pour le placer dans les premiers patrimoines des candidats. Tant qu'un complot ne se développe pas contre lui, il n'a aucune chance d'être élu. Sa VIe République attendra d'autres hérauts.

M. Hamon, ex-chef frondeur, et n'étant une victime que de ses pairs, aura du mal sur ce terrain bien qu'il ne soit le modeste propriétaire que d'une Opel Corsa 2006.

M. Macron, « privilégié » d'origine modeste et qui s'est élevé dans la société à force de travail et d'intelligence, n'a pas, jusqu'ici tenté de montrer sa place dans l'invincible camp des victimes. Du moins lui aussi est-il « anti-système » avec modération. Cela lui suffira-t-il pour être élu ? A suivre?


Le temps Vermeer

  Pour obtenir le droit de déambuler le long des  toiles de Vermeer réunies dans l'exposition du  Louvre, il faut se préparer en sortant du métro à y  ré-entrer aussitôt.

 Non seulement l'accès est pire qu'un changement à  Chatelet, mais une fois qu'on a passé l'entrée,  regarder tranquillement une toile est plus qu'un  luxe - une lutte où l'on prend des coups de coude,  des coups d'épaule, des coups de pied. Pour tout  autre on se découragerait peut-être. Mais s'il reste    étrange qu'un art si rare et si intime doive être  admiré au coeur d'une cohue accrochée à son  audioguide, l'effort de s'en extraire vaut mille fois  la peine.

 Observer n'importe quelle toile de Vermeer, c'est se  plonger dans la contemplation d'un être  passionnément et patiemment désiré, et dont l'on  sait qu'il nous échappera.

 Chaque détail de chaque toile, chaque objet, chaque  forme, chaque couleur est chargé d'un érotisme  aussi subtil et enivrant que celui qui nous  enflamme face à chaque parcelle de la peau de l'être aimé.

Tout cela s'inscrit dans le temps, car chaque scène nous donne à voir non tant ce qui est, que ce qui fut ou sera; nous voici projeté dans la douleur délicieuse de l'attente ou du regret. La réunion musicale ou amoureuse que l'on devine a-t-elle eu lieu, adviendra-t-elle ? La lettre interrompue le restera-t-elle à jamais ? Impossible à savoir en suivant ce seul rayon de soleil ou de nuit, derrière ce rideau à peine soulevé, cette porte destinée à demeurer fermée à nos yeux. Face à Vermeer nous sommes des voyeurs qui ne voyons rien - à notre désir, tout est dérobé aussitôt esquissé et c'est en vain que nous résistons à la  foule pour nous gorger des bleus, des jaunes, des drapés, des figures découpées par la lumière oblique? Rien de plus ne sera dit- nous voici chassés du mystère, encore tout éblouis de n'en avoir rien élucidé.


" UNE GRANDE ET GLORIEUSE JOURNEE "

Dans la recherche frénétique des anticipations du Trumpland qui s'annonce, on est allé chercher dans 1984, le Meilleur des Mondes, voire des romans dystopiens plus obscurs. On peut commencer, comme me le rappelle mon ami le peintre Bruce Thurman, par méditer un court extrait du journaliste américain  Henry Louis Mencken.

H.L. Mencken n'était certainement pas un gauchiste, ni même un «libéral» au sens américain du terme, qui comprend tout ce qui est vaguement vers la gauche. Conservateur, hostile à Roosevelt et à son New Deal, il fut parfois accusé de racisme ou d'antisémitisme. Ses vues  générales semblent un pot-pourri pas très engageant de Gobineau et de Nietzsche. C'était toutefois un observateur fin et une plume aigue, dont les talents s'exerçaient sur la vie politique locale et nationale, celle du crime, et jusqu'à la critique littéraire. Comme il ne prenait pas pour Nostradamus, on ne peut pas affirmer qu'il avait Donald Trump en tête lorsque, le 27 juillet 1920, il a écrit les lignes suivantes dans le Baltimore Sun : « Au fil du perfectionnement démocratique, le bureau du président est une représentation de plus en plus fidèle de l'âme du peuple. Lors d'une grande et glorieuse journée, les gens ordinaires de cette terre parviendront enfin au but désiré en leur coeur, et la Maison Blanche sera habitée par un imbécile absolu, un crétin totalement narcissique  (a downright fool, and a complete narcisistic moron). C'est du Tocqueville aux amphétamines et j'y repense à chaque annonce d'une déclaration ou d'une décision de M. MAGA (Make America Great Again). Contrairement à ce que j'ai entendu, il n'est pas Hitler - mais il n'est pas non plus cette marionnette prisonnière d'un système huilé  qui l'étouffe - il a une large marge de manoeuvre et il en profite dans un style qui aurait ravi Mencken s'il avait connu Twitter : nulle surprise ici, car sur le fond et la forme il se situe dans une prévisible et affolante continuité de sa campagne.

Trump voit sa propre installation à la présidence comme une des journées patriotiques américaines essentielles, comparable à celle de George Washington.  Il est utile de se souvenir qu'y voir « une grande et glorieuse journée », ce n'est pas nécessairement se laisser séduire par Trump - c'est faire écho à l'ironie d'un critique social pessimiste d'une terrifiante lucidité.

Dans quelques mois, ce sera à notre tour de livrer au monde le miroir de l'âme de notre peuple : ce que nous lisons et entendons nous rassure-t-il sur  la solidité de notre propre sagesse  démocratique? En rien, au contraire, car si l'intelligence n'est pas en cause chez celle qui a été la première à se réjouir de l'élection du magnat démagogue, les dangers qu'elle représente ne sont pas moindres. Quelle que soit l'issue de l'élection,  il est à craindre que notre âme sentimentale, colérique et divisée contre elle-même n' y trouve une occasion de plus d'exprimer ses humeurs virulentes et de troubler durablement une paix civile et sociale toujours fragile? quelles que soient les promesses des démagogues de tout poil, je ne vois pas les « pauvres gens » gagnants dans cette affaire.

 


EUX ET NOUS

M. Fillon nous abreuve de sa dignité, offensé par d'abjectes attaques dans un style nouveau (Jésus mis en croix) et curieusement familier : celui de son ami M. Sarkozy (« Comment osez-vous ! »), celui de tous les politiques qui, menant leurs vies si difficiles au service du peuple, jugent que c'est le minimum vital de tirer tout ce qu'ils peuvent des maigres avantages qu'ils se sont courageusement consentis ; se mêlent dans leur réaction indignée la mauvaise foi du sportif dopé (tel Lance Armstrong, il n'a jamais rien pris d'illégal, il s'agît sans aucun doute d'un complot dû à la jalousie, des preuves éclatantes vont bientôt être données) et la silencieuse solidarité d'une caste qui, tous partis confondus, vit sur la bête (nous) en s'affranchissant par avance de toutes les obligations auxquelles elle nous rappelle à intervalles réguliers que, citoyens, salariés, contribuables, nous sommes soumis. Maris élus (passons sur ceux qui s'affranchissent de tout ou partie des obligations liées à leur mandat), conjointes assistantes parlementaires (de leur mari ou d'un autre) - tout cela est un système qui génère abus et suspicions, sans doute injustifiées dans bien des cas. Si un candidat voulait bien nous expliquer à quelles nouvelles règles du jeu il compte se soumettre - et soumettre les élus nationaux, il est le bienvenu. Il est vrai que M. Sarkozy, puis M. Hollande, s'étaient, en des termes assez proches, engagés à des réformes ayant pour objet de rendre la république irréprochable - et que nous attendons toujours. Quel que soit l'heureux élu, il est à craindre que nous n'assistions encore longtemps à cette bouffonnerie de l'honnêteté bafouée («les yeux dans les yeux, je vous le dis») dans le grand show français du « eux et nous » : faites ce que je dis, pas ce que je fais.


Ô JERUSALEM

L'exposition consacrée par le MET à la Jérusalem médiévale ferme ses portes dans quelques jours.
Utilisant les ressources de nombre de musées israéliens en même temps que les moyens photo et vidéo modernes, l'expo valait la visite, malgré les foules qui s'y pressent, faisant un luxe sportif dangereux de s'attarder devant un manuscrit enluminé ou une étrange et belle image du prophète Mahomet arrivant au paradis.
Pour ceux qui l'oublieraient, en ces temps où les gouvernants israéliens veulent faire de la ville la capitale du Grand Israël, l'exposition a le grand mérite de rappeler à quel point elle fut le carrefour de tous les rêves d'au-delà des trois « religions du Livre ».
La promenade vaut même si son intitulé de « EVERY PEOPLE UNDER HEAVEN » (chaque peuple sous le paradis) a de quoi troubler tous ceux qui connaissent un peu les lieux - bien des documents et des témoins nous présentent une harmonie qu'on est loin d'y ressentir - et pas seulement à cause de la coexistence si peu pacifique en ces murs entre Juifs et Musulmans. Que de violences au fil des siècles pour posséder les clés de ce paradis ! Il en est peu de traces dans les salles bondées du MET, où tout est mis en scène pour un céleste concert divin.

Pour les nombreux visiteurs en kippa, ils ont dû ressentir de la déception car la ville qu'on nous montre est peu juive : le Times of Israël l'explique dans un commentaire critique empreint de modération : entre croisades et jihad, la communauté juive de Jérusalem s'est trouvée l'objet d'une forme de nettoyage ethnique ; comme dans la Syrie d'aujourd'hui, les « Monsieur Propre » de toutes obédience font tomber les pierres et brûlent les manuscrits avec la même facilité qu'ils font couler le sang?
Là où les curateurs avaient pris soin d'évacuer tout conflit, les hommes se sont chargés de nous rappeler aux évidences de leur folie : un traiteur juif et un palestinien ayant été choisis pour la soirée inaugurale, certains se sont émus de ce choix bigame scandaleux. La polémique s'est prolongée dans certains commentaires : sous le prétexte du financement en partie koweitien de l'expo, elle serait un exercice en négationnisme anti-chrétien et antisémite - un show  de propagande islamique, si ce n'est jihadiste.

Ô Jérusalem !


Vous voulez participer
à ce Slog,
écrire des commentaires,
partager votre point
de vue ?

S'inscrire à la Newsletter

En indiquant votre adresse mail ci-dessus, vous consentez à recevoir l'actualité des auteurs Versilio par voie électronique. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment à travers les liens de désinscription.
Vous pouvez consulter nos conditions générales d'utilisation et notre politique de confidentialité.