Antoine Audouard

Blog de Antoine Audouard


BOBIN POUR MES AMIS

Le poète Christian Bobin est entré depuis si longtemps dans les programmes de français dézécoles qu’on pourrait le croire mort.

Or non seulement il ne l’est pas, non seulement il continue à écrire, mais tout en restant lui-même il continue à provoquer chez nous, « bobinistes[1] » ou non, ces étonnements heureux des phrases qui, aussitôt lues, font partie de nos sources intérieures.

Tirées de son dernier petit livre, je voudrais en dédier quelques-unes à certains de mes amis.

À Bizot (et à Todorov aussi), l’exergue : « Mandelstam racontait qu’ayant entendu pour la première fois le mot “progrès” à l’âge de cinq ans, il avait fondu en larmes, pressentant quelque chose de fâcheux. » (Nadejda Mandelstam, Contre tout espoir. Souvenirs, tome II).

À Bizot également : « La moderne mise à mort fait l’économie du bourreau. La victime tient tous les rôles. »

À Chakra G. : « Terrible amitié des écrans qui ne dorment jamais. » Et la phrase suivante qui est aussi pour Daniel Rondeau : « Plus d’âmes ? que des clients. »

À mes amis en général, cette définition avec laquelle je ne suis pas certain d’être d’accord, mais qui me plaît de toute façon : « Un ami, c’est quelqu’un à qui on fait le cadeau de s’étonner. »

À Lydie « LaKing », Géraldine  et  mes amis fumeurs : « Il suffit pour éclairer la vie entière de la braise d’une cigarette dans les rues où deux amoureux se raccompagnent l’un l’autre jusqu’au petit matin, triomphe du muguet rouge. »

À Chakra G. encore, à mes amis végétariens/taliens : « Descartes, mon pauvre René, qu’est-ce qui t’a pris ? Tu dis des animaux qu’ils sont des machines ? Mais les trois secondes où le chat après manger se lèche les babines, c’est d’Artagnan qui s’essuie les moustaches après un festin ! »

À Bizot : « La calligraphie fut inventée au Japon au ive siècle d’après des empreintes de pas d’oiseaux sur le sable des plages. Au xxie siècle, le monde travaille à effacer les oiseaux et l’écriture manuscrite […]. »

À Bizot, toujours : « Le balai du progrès est passé sur le langage. Dieu pèse moins qu’une miette de pain. On l’a jeté aux oiseaux du jardin puis on a terrifié le jardin, lapidé les oiseaux. »

À Julie, pour qu’elle se souvienne : « Le métro transporte sa cargaison de visages gris. Une jeune femme entre dans le wagon avec son bébé endormi dans la poussette. Le sommeil du nourrisson engendre un soleil de plusieurs mètres de diamètre. »

À Julie toujours et à Bruce « Bruto », le romano-grec de Chicago : « De la lumière monte d’un livre lu par mon voisin. Je lui demande ce qu’il lit : “Plutarque.” Je comprends mieux mon étonnement : la lumière venait du premier siècle. »

À Nata : « La poésie est don de lire la vie. » Et : « Éclairer une seconde, c’est éclairer pour toute la vie. »

À Bizot : « La modernité est le crime parfait. Même le mort ne s’aperçoit pas qu’il est mort. »

À Vincent : « Les publicitaires sont des thanatopracteurs d’un genre particulier : ils travaillent à rendre mort ce qui était vivant. »

À Chakra G. et à Denis : « Entre notre vie et nous, un hygiaphone. Notre ange ne vient plus au parloir. »

À Yvan, Bizot et Bruce : « Je voudrais être enterré dans une bouteille de whisky pour maturer, et qu’on y ajoute une queue de lézard pour donner du goût. »

À Denis et Léo : « L’absence, le vide, le manque, qu’avez-vous fait d’eux ? C’était notre seul bien. »

À Philippe C. :de Dora Diamant, la dernière compagne de Franz Kafka,« C’était le plus gai des compagnons, diras-tu. Et personne ne te croira. »

Au même : « Sur la tombe de Dora Diamant, à Londres, un brin de muguet rouge, et ces mots : “Seul qui connaît Dora sait ce qu’aimer veut dire.” »

À Marylène de Fontvieille : « Les fleurs sont des questions qui viennent vers nous et nous supplient de ne pas répondre. »

À Nata : « Je n’ai jamais rien su faire dans le monde que m’asseoir sur les marches d’un poème et mendier. »

À Philippe D., biographe de Grothendiek : « Je suis une lampe dans une cuisine du petit village de Lasserre, dans l’Ariège. Je brûle la nuit au carreau, la nuit du Temps et celle du monde, qui voudraient m’empêcher d’éclairer mon maître, Alexandre Grothendieck, génie des mathématiques, en rupture de tout milieu, fou et doué de l’indomptable santé de l’enfance. De dix heures du soir à sept heures du matin, sur la table ronde de la petite cuisine, il écrit. Des milliers de pages. Sur la vie, sur les chiffres qui sont un bracelet angélique trituré par les militaires et tous les sinistres domestiques de la communication et autres étoiles mornes et mal famées. Il écrit sous ma chaleur, ma confiance lumineuse. Depuis vingt ans il ne voit personne, que les plantes et les herbes folles, ses amies. Sa maison est cernée de muguets rouges – muraille contre le monde et toutes les conventions, infranchissable d’être légère. Il parle de l’âme et du cœur. Les âmes travaillent la nuit comme le bois des poutres anciennes. »

À Nata et Antoine, mes totos : « Tout homme est un poète qui meurt à l’hôpital de la Conception à Marseille. »

Aux mêmes, et à Denis : « La poésie est don de lire la vie. Est poétique toute concentration soudaine du regard sur un seul détail, que provoque notre désir enfantin de ne jamais mourir. »

À Marie-Odile : « Sans arrêt passer dans les chambres de papier, que personne ne dorme, que même les virgules et les points restent éveillés jusqu’à la fin du monde. »

À Léo, à Daniel : « Nous avons broyé les jambes de l’Éternel. Il ne peut plus faire un pas vers nous. »

À Bizot : « Un petit manège tourne, allumé dans la nuit comme un chagrin merveilleux. »

À Peggy R. : « La momie dans le scanner éclate de rire. »

À Léo : « Les chiens électroniques perdent leur flair devant un cœur en crue. »

À Léo et à la mémoire de Mireille Guyonnet et de Jacqueline du Pré : « Il fait froid, j’allume la Troisième Suite de Bach. Violoncelle, gros chien d’avalanche. La musique va et vient dans la pièce comme les volutes d’un bon tabac. Elle ne fait aucun bruit. »

À Bernard : « Un homme hanté se multiplie. Il porte à son poignet un carré plus noir que la nuit où s’est pendu Nerval. »

À Karin : « La porte du Paradis grince merveilleusement. »

À Louis : « La délicatesse d’un seul arbre, fût-il le dernier sur cette terre, remettra tout en place, en ordre. En vie. »

À Denis, Fred et Léo : « Recevoir sur la main une goutte de pluie, une seule, et par ce contact converser avec tous les morts des siècles passés. »

À Bizot : « Tous les mystiques portent un sac de farine sur leur dos. Quand on les suit, on se retrouve tout blanc. Le sac était percé. »

À Yvan : « Poussant les volets, je reçois en plein visage le sourire de mon père disparu. »

 

Références

Christian Bobin, Le Muguet rouge (Gallimard, 2022, 72 pages, 12,50 euros)

Philippe Douroux, Alexandre Grothendieck, sur les traces du dernier génie des mathématiques (Allary, 2016, 272 pages, 18,90 euros)



[1] Bobinos, bobiniens, bobinistes ? Pas bobinards, en tout cas, c’est un moche mot et ça ne conviendrait pas à un poète catholique (quoique… avant sa suppression par Mme Marthe Richard, le bordel a dû sauver du divorce impie bien des couples) ; bobinastes, pourquoi pas ? Bobinomanes ?


AUTRES TEMPS

J’avais vingt ans, c’était tard dans le siècle dernier ; de l’exaltation amoureuse et du mal-être radical de qui n’a pas encore vécu la moindre épreuve de la vie, je tirai un petit roman. Deux cents et quelques feuillets torchés en trois semaines sur une Hermès Baby verte. Le manuscrit achevé, je le donnai à l’écrivain le plus proche de moi : mon père. Je l’avais admiré de loin, de près je l’avais détesté ; nous en étions à cette phase où nous nous fréquentions de façon plus civile ; confronté à son étrangeté, j’apprenais à vivre avec ses contradictions et  débutais l’apprentissage de  mes propres ambiguïtés.

Mon père fut honnête avec moi : il n’allait pas lire mon roman, mais le confier à un de ses vieux amis, le journaliste-écrivain-éditeur Roger Grenier. Quelques semaines plus tard, j’étais dans le petit bureau[1] d’un petit homme dont le regard pétillait de malice derrière les lunettes. S’il n’était son cadet que de cinq ans (Yvan né en 1914, Roger en 1919), il faisait partie de ses jeunes amis, comme mon parrain Blondin (né en 1922), le Niçois Louis Nucéra (1928), José Giovanni (1923) ou Alphonse Boudard (1925).

Yvan et Roger avaient été collègues à France Dimanche. Mon père racontait le talent de Roger, enquêtant sur tel crime paysan particulièrement abominable, pour gagner la confiance de la famille, se faire inviter pour le café ou l’apéro, et se faire remettre les photos qui illustreraient son article.

Pas de traces, hélas, de ces épisodes dans le merveilleux petit livre posthume que le Calamar[2] édite ces jours-ci, mais il y a de quoi se réjouir à chaque page, depuis les deux superbes nouvelles ouvrant ce petit volume jusqu’aux souvenirs d’enfance qui le closent. Les nostalgiques y trouveront l’évocation de mondes disparus et de personnages oubliés, comme l’écrivain Henri Thomas, que mon cher Bizot ne connaît que comme traducteur français de Junger.

J’ai croisé quelques-uns de ceux qu’il évoque, comme Robert Gallimard, l’« oncle Robert », de mon amie Anne ; j’allais parfois mourir d’ennui dans de longs dîners où il était question de véritables écrivains comme « Jean-Paul » (Sartre) ou « Albert » (Camus). « Oncle Robert » a rejoint le territoire des fantômes que nous gagnons tous à notre heure et où nous nous effaçons.

Point besoin d’avoir une âme de ci-devant pour se réjouir  du livre de Roger, car ce grand lecteur de Tchekhov a, comme son maître, le sens de la concision et du détail juste – toutes qualités qui font merveille lorsqu’il évoque son expérience de « nègre » de Charlie Chaplin, l’enterrement d’André Gide, une visite au président tunisien Bourguiba, le passage des poètes beat américains à Paris  ponctué par l’effondrement de Jack Kerouac ivre mort au pied du perron de son éditeur français, ou les rapports fluctuants de Jean Giono avec les ascenseurs ; quelques « stars » passent, comme  l’académicien Marcel Achard, dont je possède une réjouissante lettre d’insultes à mon père, mais aussi Raymond Queneau ou Simone de Beauvoir, mais on ne prend pas moins de plaisir à lire les portraits de curieuses et anonymes figures : un employé du syndicat d’initiative de Pau, un vieux mondain assez vain, un ancien légionnaire, un innocent cocu, un journaliste  belge capable de prédire les suicides, un vieil aristocrate se vantant de posséder le poignard de Ravaillac, un descendant du meurtrier de Pouchkine.

Discret entre les discrets, histoire de ne pas se faire remarquer, Roger a évité d’atteindre le siècle : il est mort il y a trois ans, âgé de « seulement » quatre-vingt-dix-huit ans, un chiffre tchékhovien. « Tu me demandes où je me situe » [dans le classement des artistes russes qu’il établit], écrit en substance Anton Pavlovitch à un de ses correspondants, « et je te répondrai : à la quatre-vingt-dix-huitième place ».

J’ai eu la chance de rendre à Roger une visite dont j’ignorais qu’elle serait la dernière : quelques mois plus tôt, il s’était fracturé le col du fémur ; déjà il était retourné chez le Calamar prendre connaissance avec son éternel appétit de la pile de manuscrits qui l’attendait sur son bureau ; il fourmillait de projets et d’envie de vivre.

Références

Les Deux Rives,deRoger Grenier, Gallimard, 140 pages, 15,50 euros.

(Belle) préface d’un autre discret écrivain-éditeur (ou éditeur-écrivain), Jean-Marie Laclavetine.

 



[1] En voyant le film Dans la peau de John Malkovich avec ses espaces confinés et ses demi-étages, j’ai cru me retrouver dans les locaux de la rue Sébastien Bottin, devenue Gaston Gallimard, où  j’ai toujours  ressenti un étouffement particulier.

[2] Référence gratuite : ainsi Raymond Queneau surnommait-il la maison Gallimard : petit animal cracheur d’encre.


POURQUOI ÉCRIVEZ-VOUS ?

Classique des dossiers dans Libé, Le Monde, Le Magazine littéraire : question posée à des « écrivains importants » - jamais à moi.

Pourtant c'est une excellente question, je vous remercie de l'avoir posée à d'autres parce que justement je me le demandais.

D'abord j'en sais rien, de quoi vous vous mêlez, et après tout c'est une question à la con qui me laisse de marbre. Est-ce qu'on demande à un arbre pourquoi il pousse ? (pff, mauvais exemple.)

Est-ce qu'on demande à une baleine pourquoi elle crache de l'eau ? (autre mauvais exemple), à un singe pourquoi il saute d'arbre en arbre ? (re- mauvais exemple), à un lion pourquoi il court dans la savane ? (encore un très mauvais exemple : il chasse, banane.)

Est-ce qu'on demande à un maçon pourquoi il maçonne ? à un paysan pourquoi il sème ? à un chasseur pourquoi il chasse ? un cuisinier pourquoi il cuisine ? un épicier pourquoi il épice ? un banquier pourquoi il banque ? un voleur pourquoi il vole ? un jardinier pourquoi il jardine ? un joueur de foot pourquoi il joue au foot ? un boxeur pourquoi il boxe ? un cycliste pourquoi il roule ? un politicien pourquoi il politique ?

Chacun d'eux pourrait répondre « parce que c'est comme ça », « parce que c'est mon gagne-pain », « parce que le reste m'emmerde », « parce que je ne sais rien faire d'autre ». Très peu diraient « parce que ça rapporte un max de thunes » et quelques-uns peut-être » pour plaire aux filles » (ça, c'est piano-bar) - voire « parce que ça s'est trouvé comme ça », « parce que j'ai échoué ailleurs ».

Si on accepte, malgré tout, de réfléchir à cette question au fond sans importance et sans intérêt, on peut remonter dans le temps et chercher des filiations, des rencontres. On en trouve chez les maçons, les ébénistes, les médecins? Et chez nous les écrivains ?

Il y a des Tchekhov, des Camus, dont la vocation arrive du fond d'une sordide boutique, de l'analphabétisme absolu et brutal ; pour ceux-là une flamme s'allume, une rencontre les éclaire, les libère ; aussi nombreux sont les fils (ou filles, ou petits-enfants de) qui, comme moi, sont tombés dans la marmite des mots quand ils étaient petits.

Il y a ceux qui ont écrit aussi longtemps qu'ils s'en souviennent, ceux qu'un désastre intime ou plus vaste a forcés à se coucher sur du papier. Il y a ceux qui écrivent pour échapper à la souffrance, ceux qui la grattent, la fouillent jusqu'au sang. Il y a ceux qui écrivent emplis d'amour, ceux (parfois les mêmes, en d'autres temps), qui écrivent le coeur chargé des douleurs d'un amour perdu. Il y a les enchagrinés, les jubilants, les colériques, les tendres, les furieux, les doux, les pleins de foi, les revenus de tout ; certains écrivent pour être aimés, d'autres pour être détestés, certains pour découvrir le monde, d'autres pour se comprendre eux-mêmes ; pour certains c'est un amusement, un jeu, pour d'autres une affaire sérieuse, tragique ; certains quêtent la transe et s'y abandonnent, d'autres fuient la folie qui rôde au coeur de leurs effrayantes nuits ; certains s'échappent, s'égarent ; d'autres cherchent les  marques, les amers, les balises, les points de repère pour   se perdre. Il y a ceux qui cherchent la lumière ; les amoureux de l'ombre.

Peut-être sommes-nous déterminés, « programmés » si l'on veut : si j'écris, c'est peut-être pour accomplir le rêve de mon grand-père avignonnais,  militaire  à la  retraite qui obscurément noircissait des pages en provençal ou en français ; pour consoler ma mère, journaliste-écrivain dont l'ambition personnelle s'étiola peu à peu dans l'ombre d'un journaliste-écrivain plus célèbre qu'elle ; pour prolonger le destin de mon père qui quelques mois avant sa mort, presque aveugle, affaibli, rêvait encore d'écrire ce grand roman que, pris par les tâches du chroniqueur et piégé par sa propre facilité d'écriture sur commande, il n'avait jamais entrepris ; habile à tout, il avait aligné les contrats pour finir le règlement d'un mur, d'un toit ou  d'un percepteur, et s'était délassé de contes. Peut-être que je n'avais pas le choix. Et au fond je m'en fous.

Pour moi, pour nous tous, à un moment c'est simple : c'est comme en amour ou en amitié, il n'y a plus de pourquoi ; c'est comme ça.

 

Référence

Follohoueuses, follohoueurs de mon coeur, non seulement je compte sur vous pour acquérir sans tarder mon dernier ouvrage paru, le trèzadmirable Au Commencement (498 pages aux éditions Phébus, pas 30 EUROS, pas 29.90, ni 29.50, ni même 29, 28.50 seulement !) mais pour l'offrir à ceux que vous aimez, pour en faire la pub partout, blogues et rézosocios compris. Vous verrez, il est tépatant. Qu'on se le dise !

 


LE DÉTAIL QUI TUE

Une des phrases les plus citées de Tchekhov est celle où il affirme qu'au théâtre, si l'on voit un pistolet dans une scène du début, ce pistolet doit nécessairement être utilisé avant la fin de la pièce.

En regardant Dillinger est mort, j'ai trouvé une illustration inattendue de ce principe.
Peu de temps après que le personnage de Glauco (Michel Piccoli) a découvert dans un journal des images de la carrière et de la mort du célèbre bandit John Dillinger, il retrouve chez lui un vieux pistolet emballé dans du papier. Celui-ci sera-t-il utilisé et pourquoi ? Avec Ferreri, qui a le premier (?) décelé le danger chez Piccoli, tout est possible : plus tard dans le film, le pistolet repeint dans les tonalités psychédéliques de l'appartement se transforme dans les mains du héros en une sorte de jouet. Qu'y avait-il à craindre ? Rien, vraiment. À peu de scènes de là, Glauco dégotte une vieille boîte de balles qu'il dépose une à une dans son assiette. Pour les manger, les avaler comme des vitamines ? non : il charge le pistolet avec lequel, dans la scène suivante, il va tuer sa femme avant de s'enfuir.

Sans vouloir surinterpréter, maladie courante du critique ou du cinémane, tout cela est très ambigu. Glauco nous a été présenté au long du film comme en proie aux aliénations de la société moderne. Son crime accompli, il peut se libérer, s'enfuir, plonger dans la grande bleue sur laquelle une porte s'ouvre miraculeusement et monter à bord du yacht luxueux où l'attend une jeune milliardaire séduite par lui dès qu'elle l'aperçoit.

 

Références

Dillinger est mort, de Marco Ferreri, 1969, avec Michel Piccoli, Annie Girardot, Anita Pallenberg.

Vivre de mes rêves, lettres d'Anton Tchekhov, choisies, traduites et présentées par Nadine « Nadioucha » Dubourvieux, préface de bibi, Robert Laffont, collection « Bouquins », 2008.


PROMENADE À NEW YORK AU TEMPS DU COVID

Anciens temps

Je suppose que, à l'époque où nous étions venus nous installer en famille à New York, en 2004, les anciens du quartier ne reconnaissaient déjà plus le Chelsea de leur jeunesse. Avaient-ils eux-mêmes vu des traces du verger autrefois cultivé par son fondateur légendaire ? Il n'en restait déjà plus, comme aujourd'hui, qu'un nom sur une plaque à l'entrée d'un petit jardin-square où, avec d'autres parents, nous avons organisé des chasses aux oeufs de Pâques pour les enfants. Clement Clarke Moore, poète, professeur de théologie et opposant vigoureux de Thomas Jefferson, était propriétaire d'une vaste demeure et de terres occupant la surface d'un bloc entier. Tout en contestant les impôts qu'un État fédéral envahissant (déjà !) prétendait lui imposer, il fut un habile spéculateur immobilier, morcelant son domaine pour le vendre en parcelles. En bon chrétien, Moore compléta ses sages et lucratifs principes d'économie d'un versant bon chrétien lui assurant le win-win : riche ici-bas, il augmenta ses chances d'entrer  par la porte étroite au royaume des cieux en faisant don de son énorme verger de pommiers au Grand Séminaire de Théologie : cette générosité bien dirigée permit à l'institution d'y édifier les bâtiments en faux gothique que l'on peut voir aujourd'hui se dresser autour d'un parc ombragé où je n'ai jamais pénétré.

Rares également, déjà, devaient être les traces de la présence des dockers qui avaient déchargé les cargos amarrés sur les quais du tout proche Hudson, rares les ouvriers, les manutentionnaires travaillant dans les entrepôts alignés le long des docks. De tout cela ne restait que la voie de chemin de fer désaffectée par laquelle les marchandises circulaient, celle qui a aujourd'hui été transformée (plutôt heureusement) en la promenade plantée de la High Line.

S'ils étaient assez âgés - comme notre voisine Lilian qui approchait du siècle -, ils avaient pu apercevoir Mary Pickford, partenaire de Charlie Chaplin et héroïne du cinéma muet, au cours d'un des nombreux tournages qui se déroulèrent dans le quartier avant et juste après la Première Guerre mondiale.

Ils avaient vu l'arrivée des artistes désargentés qui avaient installé leurs ateliers dans certains des entrepôts abandonnés et qui, tel Willem de Kooning, ayant acquis toiles et matériel, n'avaient pas les moyens de se chauffer.

Ils avaient connu le Chelsea Hotel, croisé Bob Dylan peut-être, Leonard Cohen, Patti Smith et son ami, le photographe Robert Mapplethorpe, Lou Reed et les troupes bigarrées d'Andy Warhol en quête de l'infini ou du « quart d'heure de gloire » promis par le roi du pop art.

Le punk anglais était né à New York. Comme le rap plus tard, il ne faisait pas parler de lui seulement aux pages Arts des journaux, mais à la rubrique criminelle. Quelques-uns de ses drames s'étaient déroulés au coin de la rue. Nos voisins avaient suivi les affaires dont les journaux populaires (le New York Post et le Daily News) faisaient leur une ou leur dernière page - comme les accusations du meurtre de sa petite amie contre Sid Vicious, le bassiste chanteur des Sex Pistols.

Ils avaient, nos vieux voisins, connu les années junkie, quand on voyait des jeunes gens aux veines épuisées se shooter à l'abri d'un échafaudage et que des seringues usagées gisaient aux angles morts des caniveaux, quand on frémissait d'entendre des pas dans son dos de peur d'être attaqué au couteau pour quelques dollars convoités par un drogué en manque.

Ils avaient vu l'arrivée des gays en quête de lieux retirés pour les étreintes furtives et clandestines qui étaient leur lot. Ils avaient connu les années sida.

Les arrivants plus récents se souvenaient du 11 septembre 2001, de la fumée, de l'odeur de mort qui montait par les avenues, de l'effrayant concert de musique concrète donné par les voitures de pompiers et les ambulances.

Half way up on the left handside

« À gauche, à mi-chemin entre les deux blocs », c'est ce qu'il faut préciser au chauffeur de taxi, car notre home new-yorkais est en plein milieu du bloc séparant la 9e avenue de la 8e.

Lorsque, trois ans après le double attentat du World Trade Center, nous y posâmes nos valises, la ville n'était plus en deuil. La célèbre énergie new-yorkaise avait repris le dessus. Les arcs-en-ciel fleurissaient dans les devantures des boutiques et des enseignes nouvelles prenaient possession des blocs : passé la stupéfaction d'avoir cinquante chaînes de télé au lieu de sept, on allait louer ses vidéos chez Blockbusters, à deux minutes à pied ; pour les films plus anciens ou plus « arty », on les trouvait sur la 9e avenue, chez Alan's Alley, une caverne d'Ali Baba où, en plus des DVD des nouveautés, s'entassaient des milliers de cassettes vidéo. Si on ne trouvait pas son bonheur dans les bacs, des vendeurs qui avaient tout vu allaient dégoter le titre rare au fond de la caverne. Pendant notre séjour, nous entendîmes parler d'une petite entreprise californienne qui louait des films par correspondance- vraiment une idée à la con.  Ce Netflix n'irait pas loin.

Pour la nourriture, passé la découverte du miraculeux take out delivery proposé par tous les restaurants, nous allions faire nos courses chez Gristedes, le Monop local, ayant recours en cas d'urgence à l'un des nombreux delis où l'on trouvait aussi les journaux et magazines si on ne s'était pas abonné ou si on ne les avait pas achetés au newsstand du coin de la 23e rue et de la 8e avenue, à deux pas des deux ensembles de cinémas du Chelsea Clearview, l'un programmant les « gros films » et l'autre des films plus indépendants.

Il y avait les bus scolaires jaunes, les taxis jaunes, un arrêt du A train du standard de jazz : c'était « New York, New York », comme dans la célèbre chanson du film.

En relisant Moby Dick (en anglais pour la première fois), je compris d'où venait le drôle de nom du café dont le nom apparaissait à tous les coins de rue et qui vendait à des prix insensés des pâtisseries acceptables et un expresso moins dégueulasse que le traditionnel jus de chaussettes américain : pourquoi avoir choisi Starbuck, le second du capitaine Achab, plutôt que Queequeg, Tashtego ou Daggoo, les harponneurs du Pequod ? Heureusement je découvris à deux pas du commissariat voisin l'antenne locale d'une petite chaîne new-yorkaise : très vite je devins un habitué du café Grumpy, dont le caissier, me voyant approcher, répondait à mon hello par un « Cappucino and lemon loaf ? » qui était plus une vérification qu'une vraie question. C'est chez Grumpy, où l'accueil selon les jours et ses équipes, pouvait être grumpy (grincheux) ou jolly (jovial) que je vis apparaître de jeunes personnes de genre difficile à identifier. Évitant les young man ou les miss que ma séniorité m'autorise, je me bornai à un dear unisexe. C'est aussi chez Grumpy, un dimanche matin, que je tombai sur un ami qui sirotait son café en lisant son journal ; comme je lui demandais si son plus jeune fils allait maintenant à l'université, il eut cette phrase prononcée sur un ton très neutre : « He is now a she. » Ainsi reçus-je ma première initiation au monde moderne, et appris-je la naissance du « iel », ainsi que la nature transitoire des vieilles catégories, les « il » et les « elle ».

Des parents rencontrés au bord du terrain de foot où notre aîné, six ans, jouait, devinrent de bons copains, et certains des amis pour la vie. Il y avait un vendeur de chaussures équatorien, un chef comptable anglais, une petite danseuse et chorégraphe et son mari, un grand gaillard, traiteur de son métier ; aussi furieusement fans des Yankees, que mes amis de Fontvieille Yohann et Fanny le sont de l'OM, ils offrirent à notre plus jeune fils sa première casquette des Bronx Bombers ; il y avait un poète journaliste uruguayen, deux ex-Yougoslaves - l'un bosnien et concierge, l'autre serbe et « tradeuse » -, un coiffeur français qui, né « Jacques » du côté de Nice, était devenu « Sacha » en débarquant entre Hudson et East River. Les matches des gamins étaient une expérience : à Brooklyn, les parents de nos adversaires pour réveiller leurs minots les incitaient à marcher sur les nôtres et les insultaient en espagnol. Un terrain du quartier grec du Queens était coincé entre une centrale électrique Con Edison et une petite usine de traitement des poulets : pas de vestiaires, pas un banc, ni un abri, et des plumes flottant à la surface d'un champ où trois brins d'herbe grise survivaient entre les mottes de terre. Côté chic, lorsque nos petits de Chelsea Piers jouaient contre les rivaux locaux de Downtown United, leur attaquant vedette avait un supporter chaud bouillant - son papa, le metteur en scène Spike Lee.

Le dimanche, on allait vers la 11e avenue explorer les galeries d'art maintenant installées dans les anciens ateliers d'artistes aux loyers devenus inabordables, et jusqu'au bord du fleuve, entre les deux dernières boucheries en gros, dans les entrepôts désertés. Au retour on s'arrêtait pour un brunch à Empire Diner, un vieux diner toujours installé dans un wagon ; nous essayions les nouveaux restaurants, italiens, japonais, thaïs, et nous évitions le vieux diner le plus proche de chez nous, où nous avions cru mourir d'excès de gras sur une seule assiette d'oeufs brouillés au bacon. Miraculeusement, l'infect Dish restait ouvert.

Sur la 9e avenue, j'étais le seul de la famille à apprécier un italien, non tant pour sa cuisine - au mieux passable - que pour l'accueil que m'y réservaient ses managers successifs (Luis, un Mexicain, puis Rodolphe, un Français, et Bobbie, une Italo-Américaine) et ses serveurs Haji le Sénégalais, Denise la Monténégrine, Maria l'Argentine ou Paulin le Centrafricain. J'y donne rendez-vous à un vieux pote : c'est toujours ici qu'on se retrouve et j'arrive tôt pour avoir le temps de « catch up » avant son arrivée. Terrasse vide où traînent trois chaises. La porte extérieure ouvre encore, mais la porte intérieure est verrouillée - aucune trace d'activité.

Passant devant la boulangerie française La Bergamote que je n'ai jamais beaucoup appréciée (pâtisseries inégales, prix élevés, accueil limite aimable), je remonte d'un bloc : le Gamin était mon bureau annexe. Décor faux French où l'on s'attend à voir apparaître Jean Gabin avec une toque sur la tête, cuisine de brasserie correcte, je blaguais avec Mario, le cuistot, et les trois serveuses françaises : l'une rêvait de percer dans la mode, la deuxième travaillait là six mois de l'année pour voyager en Inde le reste du temps ; la troisième, la moins jolie, se voyait une carrière dans le cinéma. Le Gamin, pour d'obscures raisons de concurrence avec un autre Gamin, situé dans Greenwich Village celui-ci, fut contraint de changer de nom et prit celui de sa patronne, une Irlandaise qu'on aurait dit sortie des films « irlandais » de John Ford : en voyant le doux sourire de Grainne, on n'aurait su quel rôle lui attribuer dans une scène de bagarre généralisée : serait-elle celle qui encourageait les combattants à cogner un peu plus dur, ou celle qui sauterait dans la mêlée pour offrir une tournée générale en vue du rétablissement de la concorde ? Il me semble que les deux éventualités l'eussent amusée, quoique Grainne's fût un lieu paisible où l'on pouvait sans être incité à consommer encore, passer la matinée à boire un cappuccino et où, l'acteur Ethan Hawke, déjà une star du cinéma et du théâtre à l'époque, pouvait rester sans être dérangé, qu'il soit seul à lire un script ou qu'il ait un rendez-vous professionnel.

Je retourne chez Grainne. Décor inchangé, plus de serveuses françaises, Ethan Hawke a déménagé (à Brooklyn je crois) depuis des lustres, et pas de signe de Grainne elle-même.

Je repense à l'acteur : nous l'avons vu jouer le rôle de Bakounine dans la mise en scène américaine de la superbe pièce de Tom Stoppard The Coast of Utopia. Si je l'avais croisé chez Grainne le lendemain, aurais-je osé le féliciter ou même lui dire mon admiration pour un acteur capable de refuser des rôles importants (et très bien payés) au cinéma par amour du théâtre ? Je ne crois pas.

Tous en scène

Au théâtre, sur Broadway ou ailleurs, nous allions plus souvent qu'à Paris. Hawke n'était pas le seul à y prêter son talent ; au fil des années, nous avions vu Al Pacino, Shylock génial dans Le Marchand de Venise,Denzel Washington, un Brutus d'une prestance incontestable, mais mal à l'aise (c'est rien de le dire) avec le texte de Jules César,et - last but not least - Philip Seymour Hoffman dans Mort d'un commis voyageur, une pièce que je n'adore pas, mais où il apportait à une belle mise en scène sa présence inquiétante d'homme ordinaire, banal, médiocre même. Nous étions déçus parfois, car les critiques new-yorkais sont prompts à crier au génie. Plus récemment, j'avais couru voir Mary Louise Parker (j'étais un peu tombé amoureux d'elle en la découvrant dans The West Wing, puis dans Weeds). Déception. Quoiqu'elle fasse partie de ces actrices dont on dit bêtement qu'elles ne vieillissent pas alors qu'elles vieillissent, oui, mais bien, la pièce dont elle est la star, The Sound Inside, n'est pas mal, mais pas à la hauteur des rave reviews qu'elle a reçues. Quand on discute théâtre avec nos amis locaux, j'ai presque peur de la phrase « Il faut absolument y aller, c'est formidable ». 1. - Il y a toutes les chances, si le spectacle est sur Broadway, que les places soient à 150/200 dollars l'unité, ce qui 2. - va vous énerver encore plus si, écrasés d'ennui, vous partez à l'entracte. Vive la différence culturelle européenne : deux des meilleures pièces que nous ayons vues à New York depuis quinze ans, la première et la dernière, venaient de la vieille Europe.

En 2004, ayant constaté que nous habitions en face d'un théâtre, l'Atlantic, nous avons tenté notre chance. En cours de représentation nous nous sommes rendu compte que The Bald Soprano n'était autre que la célèbre Cantatrice chauve d'Eugène Ionesco. Notons au passage, l'Atlantic ne nous a jamais déçus - même pas le jour où une représentation d'une comédie musicale assez déjantée a dû être interrompue parce qu'il pleuvait sur scène. Pour en finir avec l'Europe, la Lehmann Trilogy qui triomphe actuellement dans un des plus grands théâtres de Broadway est l'adaptation en anglais d'une pièce italienne de Stefano Massini dont la première mondiale a été donnée à Saint-Étienne en 2013, puis à Milan, Londres, et maintenant New York.

Se perdre

New York est un des meilleurs endroits au monde où se perdre - qui reste la meilleure façon de découvrir une ville. Je m'y suis perdu à pied, à vélo, en métro et en « car service », des temps préhistoriques où ni Uber, ni Lyft n'existaient ; notre chauffeur russe, complètement perdu dans Brooklyn, n'arrivait pas à retrouver le pont de Brooklyn pour nous ramener à Manhattan ; paniqué, il appelait son superviseur pour lui demander (en russe) une aide qu'il ne pouvait lui fournir. Mrs T. mon épouse était un peu énervée et il n'arrivait à émettre que des « What's your problem what's your problem ? » aussi agaçants qu'imbéciles - car il était évident que nous avions le même problème : retrouver le bon chemin. Provoquant l'admiration de mon épouse, j'ai ressorti du tréfonds de ma mémoire les vingt-quatre mots de russe nécessaires pour lui dire d'arrêter de nous prendre pour des cons ; profitant de l'arrêt à un feu rouge je suis allé toquer au carreau de l'automobiliste précédent, qui nous a guidés jusqu'au pont.

De la même façon qu'il arrive encore qu'on rencontre un chauffeur de taxi parisien né à Belleville, j'engageai pour un court trajet la conversation avec une pleasingly plump chauffeuse black née dans le Bronx. Le reste du temps, quoiqu'ayant vite adopté le type de conduite agressive et les habitudes vociférantes des locaux, nos rides parlaient (mal, vite) l'anglais avec un accent (russe, français, ourdou, chinois) et comprenaient mieux mon anglais de Frenchie que celui de ma femme, née à Londres, raffiné dans une pension anglaise, puis à Oxford.

Les jours de neige, mon ami Thorner - fils d'un soldat africain-américain de l'Alabama et d'une Allemande et donc originale combinaison de cool black et de raideur prussienne - et moi nous emmenions nos fils à Central Park : dans le métro nous n'étions pas les seuls papas à trimballer gamins et luge. Là-bas, ayant choisi la colline la plus enneigée et la plus pentue, nous remontions inlassablement, le souffle de plus en plus court, les luges sur lesquelles nos garçons avaient dévalé la pente en quelques secondes.

Les livres, nous les achetions dans une librairie indépendante de la 10e avenue, au grand Barnes and Noble d'Union Square, voire dans le grand Virgin Megastore qui, au sud de la place, avait remplacé le Tower Records où, vingt-deux ans plus tôt, lors de ma première visite à New York, j'avais déniché des vinyles qu'on ne trouvait pas en France. Je poussais jusqu'au Strand, la grande libraire d'occasion de Broadway, où j'allais au top floor regarder les éditions rares.

Mon copain d'école Danny, peintre qui gagnait sa vie en vendant des tee-shirts, m'emmenait dans de longues déambulations au Met, au MOMA, au vieux musée Whitney, au musée d'art austro-allemand qui était interdit aux enfants (l'est-il toujours ?) à cause des salles de dessins érotiques, voire pornographiques, de Gustav Klimt, ou bien dans des cinémas d'art et d'essai du Lower East Side pour une rétrospective des films d'Andrei Tarkovski ; lorsque mon ami et voisin parisien Bruce, natif de Chicago, revint s'installer à New York, je l'accompagnai dans sa recherche d'une galerie pour exposer ses oeuvres. Assises désoccupées derrière un comptoir inondé de listes indiquant les prix démentiels d'oeuvres effarantes de laideur, des jeunes filles si maussades qu'elles auraient pu être parisiennes nous expédiaient aux pelotes dès qu'elles comprenaient que nous n'étions pas là pour acheter. « Nous n'examinons les nouveaux artistes qu'une fois par an », nous asséna l'une d'entre elles aussi peu gracieusement que possible, « et ce n'est pas aujourd'hui ». Nous nous le tînmes pour dit et partîmes la queue entre les jambes. Heureusement, mon ami trouva une galerie dans Soho et un mécène qui lui offrit un vaste espace pour installer son atelier. En lui rendant visite au 14 de Wall Street, plus que l'air de la faillite imminente des subprimes, je respirai celui qu'avait respiré Herman Melville, ex-jeune auteur à succès, écrivain oublié de son vivant devenu inspecteur des douanes.

Seul je partais me perdre dans de longues courses vers Battery Parket la pointe de Manhattan, ou d'interminables déambulations d'ouest en est, mettant à profit mon manque absolu de sens de l'orientation pour m'égarer - à part dans Greenwich Village, il est difficile de se perdre à New York, mais si j'y parviens à Arles ou à Fontvieille (3 000 habitants), dont je connais chaque rue depuis l'enfance, je peux y arriver n'importe où.

Les trottoirs de New York n'étaient pas conchiés comme ceux de Paris, malgré l'apparition de ces nouveaux intermittents du spectacle des rues : les dog walkers, qui, payés au chien/heure, promenaientjusqu'à  cinq chiens en même temps ; on n'y croisait pas comme à Paris des cyclistes, mais déjà les premiers exemplaires de cette espèce destinée à conquérir le monde, le smombie qui marche ou même court en regardant non les passants ou les obstacles, mais son téléphone.

J'avais un petit bureau au sommet d'une longue volée de marches et ma fenêtre donnait sur la cour de récréation de PS 11, l'école publique voisine. J'écrivais au son des enfants qui jouaient, des ballons qui rebondissaient - à l'occasion, d'un porte-voix appelant les enfants au calme quand les cris tournaient aux hurlements et les jeux à la bagarre.

Instruit par mon ami John, j'avais attrapé le virus du baseball et si je n'avais pas de season ticket pour aller à Yankee Stadium, j'étais familier des différentes options en métro ou en train pour me rendre 161e rue encourager mes Bomberschéris. Notre voisin et proprio, qui venait parfois boire avec moi une limonade, avait remarqué ma passion. Assez timidement il me demanda si j'étais d'accord pour l'emmener voir un match. Ainsi les fans locaux eurent l'occasion d'écouter la « leçon de baseball » donnée par un Français qui en savait à peine plus que son élève américain.

Le week-end, selon la saison, on louait une voiture avec Thorner pour aller skier à Hunter Mountain, ou on prenait le train en famille, invités par des amis dans leur cabine au bord d'une plage de Long Island.

Quand je prenais l'avion vers Paris pour voir ma mère ou mes plus grands enfants, la Ville lumière me semblait une maquette, ses immeubles des maisons de poupée. Nous avions une vie new-yorkaise avec des amis new-yorkais, nous nous tenions à distance des expats français. To make a long story short, au lieu de l'année prévue au départ, nous restions, nous restions et c'était notre vie : le jeune couple qui habitait la petite et charmante carriage house au fond du jardin était parti et Mrs. T en avait fait les bureaux de la filiale américaine de son agence/maison d'édition française. J'écrivais en anglais et participais même à de petits événements littéraires locaux, lectures, rencontres. Mon accent français s'effaçait, je rêvais en anglais. Que cette vie que nous aimions ne fût pas la vie, nous en prîmes conscience le jour où l'aîné de nos garçons, entendant un feu d'artifice, s'exclama : « Mummy, daddy, les Irakiens nous bombardent ! » Après l'avoir rassuré sur le fait que personne ne bombardait personne, nous réfléchîmes : ce « nous », c'était « nous les Américains » ; or nous n'étions pas américains, mais européens ( une Anglaise et un Français en Europe sont violemment anglais et français, aux États- Unis ils sont européens) et il nous importait que nos garçons, tout en se sentant at home ici, ne se coupassent pas de leur Europe natale ; pour les Irlandais, les Italiens, les Juifs qui avaient fui l'Europe, chassés par la misère ou les persécutions, ils avaient le plus souvent rompu avec un passé douloureux ou un présent impossible - il en était de même pour les Haïtiens, les Syriens, les Cubains, les Pakistanais qui débarquaient ici. Notre exil n'avait pas été forcé, il avait été le choix de vivre autre chose. Nous pouvions apprendre mais n'étions pas condamnés à oublier. Notre cadet n'avait pas encore quatre ans. Né à Paris, son éveil à la vie s'était fait à New York ; il comprenait le français que je lui parlais, ayant choisi de lui transmettre ma langue maternelle, au contraire d'un ami français qui ne parlait qu'anglais à son fils franco-américain ; il n'en disait que quelques mots, mais n'avait pas encore formé de ces attachements personnels qui lui rendraient le retour à Paris difficile ; il n'en était pas de même pour son aîné, âgé de huit ans, qui avait ses amis d'école, et de l'équipe de foot et qui exprima sa fureur à la perspective de quitter tout cela.

C'était il y a quinze ans. Lorsque nous revenons à New York, passé le policier plus ou moins accueillant qui nous demande le but de notre visite et la durée précise de notre séjour, nous nous sentons chez nous ici aussi, d'autant que nous habitons « à la maison », je pars me promener dans le quartier et je regarde, je renifle.

Qu'est-ce qui change ? Qu'est-ce qui reste ?

L'enseigne du Dish demeure et - pour l'instant - sa devanture - mais une lettre à ses clients collée dans la vitrine les informe de sa fermeture définitive - ce que les paniques du 11 Septembre et de l'ouragan Sandy n'ont pas réussi, le Covid l'a accompli.

À cette exception près, les mauvais restaurants sont tous là, alors que les pas si mauvais - à commencer par cet indien qui proposait des dosai (les crêpes typiques de la cuisine du sud de l'Inde) plus que correctes - ont disparu, exilés par les impossibles loyers. Idem pour Appellation, le caviste de la 9e avenue - passé le moment où j'avais dû dissiper ses illusions sur mes qualités d'oenologue (certes le Français a la réputation d'être râleur et pas aimable, mais côté plus il y a le glamour du French lover homme ou femme, la sophistication intellectuelle, le talent supposé pour la cuisine et la connaissance des vins), Scott était devenu un bon copain - comme Dimitri (Dima), le coiffeur russe de la 8e avenue. Scott est parti je ne sais pas où, Dima s'est retrouvé une échoppe sur la 19e rue où je vais toujours lui rendre visite, qu'il me coupe les cheveux ou non. Le petit shipping store de la 8e, cerné par les FedEx et autres UPS, existe toujours : pour y accéder il faut contourner la longue, très longue file d'attente devant le centre de tests Covid gratuits ; même après deux ans d'absence (Covid oblige), sa propriétaire se souvient avec hilarité du jour où elle a expédié une pagaie vers le camp du Vermont où nos garçons passaient le plus clair de leurs étés.

Il n'y a plus de Blockbuster, et Alan's Alley a migré, puis disparu. Le Rite Aid du coin de la rue vient de fermer, et les deux du voisinage sont, dit-on, menacés.

Sous une nouvelle enseigne, il ne reste qu'un seul des deux cinémas. Le Chelsea Hotel est toujours là, mais ses prix ont changé - de 100 dollars la semaine on est passé à 100 dollars la nuit - tarifs de base. À la prochaine augmentation, on pourra réserver la Bob Dylan room à 500 dollars. Le kiosque du coin porte toujours l'inscription Newsstand, mais il ne vend plus de journaux, que des barres chocolatées, des bonbons, des boissons gazeuses et des chewing-gums.

Globalisation = de la merde et des vélos sur les trottoirs, des trottinettes aussi - et toujours mes ennemis jurés les smombies. Le progrès : en marchant, ils ne parlent plus au téléphone ou ils n'envoient pas de SMS , ils sont en appel vidéo sur Skype, Facetime ou Whatsapp.

Covid et gentrification = partout des panneaux « à louer » ou « à vendre ». Covid et misère = davantage de clochards de tous âges, davantage de jeunes junkies qui se shootent en plein jour, davantage d'agressions?

Covid : les deux Starbucks tiennent, mais le café Grumpy vient d'arrêter le service en salle.

Avant cela, Café Loup avait fermé et il n'a pas réouvert. Cette vieille institution new-yorkaise n'était pas un temple local de la cuisine française, mais nous aimions nous y retrouver de temps en temps pour des réunions de garçons qui se terminaient par un verre au bar où régnait Dean, le barista vietnamien émigré de Saïgon. Son accueil toujours chaleureux ne faisait pas disparaître la lueur de tristesseprofonde dans son regard. Était-ce celle de l'exilé ou celle de la vie même ? Nous ne lui avons jamais posé la question. Dean est sans doute à la retraite dans une banlieue lointaine ou un coin de verdure, mais quand je passe par 13th street entre 7e et 6e avenue, dans le bloc de Café Loup, je vois toujours son ombre.

Même avec ses ombres et ses fantômes, la ville est pourtant encore et toujours « chez nous ».

Nos garçons voient des copains de différents âges de leur vie - pour l'aîné, il n'a (merci Facebook !) pas perdu le contact avec certains depuis le CP. Nous y voyons de vieux amis et en rencontrons de nouveaux. Pour une soirée qui a résisté en ces temps de Covid, nous suivons les usages locaux et nous auto-testons avant de sortir.

Un vieil ami, cinéaste qui n'a pas tourné depuis longtemps, passe me voir et je me réjouis : imperméable aux difficultés quotidiennes d'un straight aging white male (la vie n'est déjà pas simple pour les straight middle-aged white males, mais s'ils sont déjà un peu vieux, c'est la galère), Loren déborde de jeunesse, d'idées et de projets. Dans son regard pourtant fatigué, je vois le meilleur de l'esprit de New York.


DU RIFIFI SUR LA BITE ROUGE

« Only in New York city ! », me suis-je dit en découvrant cette oeuvre murale commanditée à une artiste par un restaurateur péruvien du Lower East Side. Cette image monumentale n'était pas une provocation mais une célébration pleine d'humour (une rareté dans beaucoup d'oeuvres contemporaines) d'un mythe central de la virilité telle qu'elle est si pertinemment mise à nu par la philosophe Olivia Gazalé dans un ouvrage récent.

Las ! Les esprits chagrins n'en ont pas voulu ainsi ( New York ce n'est pas l'Amérique mais c'est aussi l'Amérique) et l'oeuvre a été  aussitôt effacée  au nom de la protection d'enfants que par ailleurs la télévision, le cinéma, les jeux vidéo et internet exposent constamment à une pornographie meurtrière sans limite.

Certes ce n'est pas la tragédie artistique des Bouddhas de Bâmiyân ou de Palmyre mais c'est triste et dommage que cette avenante bite rouge ne surprenne plus les passants. L'ordre est sauf : elle sera, n'en doutons pas, remplacée par une publicité pour Coca Cola ou la nouvelle promo McDo.

 

Référence 1 : Les Mythes de la virilité, Olivia Gazalé (Robert Laffont, 2017)

Référence 2 : l'excellente série de Netflix American Vandal (8 épisodes), un faux documentaire où un étudiant est injustement  accusé d'avoir couvert de bites rouges les voitures des enseignants du parking du lycée.

   


LE FACTEUR TRUMP

 

 

 

En cet été de début de campagne présidentielle américaine, force est de constater que la figure dominante - autour de laquelle tous se pressent - est celle du milliardaire Donald Trump, candidat à la nomination républicaine qui, s'il échoue, a la fortune suffisante pour financer lui-même sa campagne en indépendant.

M. Trump est-il un symbole de la réussite américaine ou bien un clown surfait, à la popularité dopée par ses apparitions dans les reality shows? Méfiance avant de conclure, car avant d'être élu il n'est pas sûr que Reagan, éternel comédien de second plan, ait été pris beaucoup plus au sérieux.

A défaut de gravitas politique, Trump fournit à l'Amérique ce qu'elle adore : le sens du show, avec une totale absence de complexes, avec une fourniture à la chaîne de « petites phrases » parfaites (ça tweete and ça retweete !).

S'étant mis à dos l'establishment républicain traditionnel, et même le murdochien New York Post, avec des remarques déplacées (et surtout stupides : un héros ne se fait pas capturer.) sur l'héroïsme de guerre de John McCain, dont on peut contester les idées mais pas le courage physique et moral (prisonnier des Nord-Vietnamiens il a refusé d'être libéré avant ses autres camarades détenus), il a vu sa popularité continuer de monter. Il ramasse, comme savait le faire Le Pen en son temps, une sorte de considération terrifiée et admirative pour celui qui « ose dire les choses » : que les immigrants mexicains sont des voleurs et des violeurs - et les politiciens de Washington des dangers pour le peuple.

Sa cote publique n'a pas baissé après le premier débat des candidats républicains où, mécontent des questions de la modératrice de Fox News il s'en est après coup pris à elle avec des propos nettement misogynes - au point d'être « désinvité » de la grand-messe conservatrice du week-end suivant, dont il était la vedette annoncée. Le journal britannique The Guardian, relevant la grammaire « ribérienne » de sa rhétorique, l'a justement appelé « absurde, incohérent et dominant ».

Les démocrates se réjouissent en silence, espérant sans vraiment y croire, avoir ce clown en face de leur candidate probable, Hillary Clinton, elle-même en proie à la polémique après qu'il a été révélé que, secrétaire d'Etat, elle utilisait un mail privé pour ses correspondances de toutes natures, partageant, sans souci des barrières de sécurité informatique, des contenus sensibles (voire classés confidentiels) avec ses correspondants.

Les républicains « raisonnables » attendent avec confiance sa chute : le pari semble sûr, car il est possible que les Américains, même conservateurs, se lassent de son show. D'autre part il ne faut pas sous-estimer un sentiment trans-politique « ni Bush (le petit frère Jeb est en tête des candidats  républicains normaux), ni Clinton » assez puissant. Le plus probable reste sa marginalisation et son retrait, peut-être en échange d'un poste dans la future administration - nous sommes au pays du business. En attendant, les derniers sondages (20 août) le montrent toujours en tête des républicains et, d'entre eux, celui qui aurait le moins de retard sur Hillary.

Le succès de Trump, même provisoire, est une mauvaise nouvelle pour la campagne, la démocratie et pour le monde, car il annonce au minimum une course à la démagogie, aux solutions « à l'emporte-pièce » - au pire une sorte d'hyper sarkozysme sans contenu ni réflexion - où l'énervement et la grossièreté passent pour de l'énergie, un activisme verbal tout juste bon à alimenter les « soundbites et « contre-soundbites » circulant sur le web. On peut toujours se consoler en pensant qu'une de ses mesures phare (construire un mur le long de la frontière mexicaine pour bloquer l'immigration) est de toute façon déjà LA mesure mondialement à la mode pour juguler les angoisses face à l'insoutenable proximité des barbares.

 


TAKE ME OUT TO THE BALL GAME

 

Quelques balles ont volé depuis le temps où nous venions d'arriver à New York et où je regardais le baseball sur ESPN sans comprendre de quoi il s'agissait. Mon ami John était venu à la rescousse et en une soirée j'étais accroché ; bien des subtilités m'échappent encore, sans compter le fait que mon bras gauche, encore en partie engourdi, m'interdit le plus simple jeu de catch avec mes garçons. Nous sommes devenus une "famille baseball" et quand nous arrivons à New York, nous prenons le métro pour aller voir jouer les Yankees ou - même ! - ces pauvres Mets. Pendant le 7th Inning Stretch, nous chantons "Take Me Out to the Ball Game".  Avec son unique couplet and son "Let me root root root for the home team, if we don't win it's a shame.  For it's one, two, three strikes, you're out, At the old ball game". 


DOWN BY THE RIVER

J'aimais courir l'hiver, un bonnet sur la tête mais en short et sans gants, quand l'Hudson charriait des blocs de glace; je dépassais Pier 40 pour descendre jusqu'à la Battery, poussant parfois jusqu'au pont de Brooklyn avant de faire demi-tour; je voyais le panneau indiquant Jane Street, où j'avais passé quelques jours lors de ma première visite à New York, en 81, l'année du « changer la vie ». 

 

Je ne savais pas que là étaient les camions abandonnés où dans les années 70, les « queers » venaient furtivement chercher un peu de sexe anonyme; au même endroit s'installèrent les bars gays avec leurs backrooms dont la prolifération, avec celle des bath houses fut l'une des causes de la dévastation par le sida des gays  new yorkais ; par ici depuis longtemps les hommes étaient venus mater et draguer les jeunes marins, comme peut-être Melville y avait aperçu la silhouette du « handsome sailor » qui lui inspira Billy Budd?

 

Rien de tout ça ne reste, je crois, c'est un vaste chantier le long du West Side Highway, des mamans promènent leurs poussettes au milieu des joggers le long du Hudson River Park, il y a yoga gratuit sur les Piers. De l'autre côté de la rivière, le skyline inélégant de Jersey City, au sud la longiligne Freedom Tower n'efface pas l'absence des Twins? Bientôt, quand je saurai marcher comme un grand, j'irai courir là-bas, entouré d'ombres, un oeil devant moi et l'autre vers la rivière.


Différences.

L'année dernière, paraissait un charmant livre de dessins intitulé Paris vs New York et qui chronique avec humour les différences entre les deux villes. Modeste contribution pour une nouvelle édition:

 

À New York comme à Paris il arrive aux cyclistes de quitter la rue pour filer sur le trottoir. À mon rythme de marche actuel, c'est un sujet auquel je suis sensible et une situation qui m'angoisse quand je vois le monstre me foncer dessus. Comme je comprends la panique des Incas, quand ils virent les premiers Espagnols à cheval !
À Paris il y a quelque temps, un dimanche matin. Moi : « attention ! » Le vélibiste : « Regardez devant vous ! » Moi (le Parisien, vaut mieux l'avoir en journal) : « connard ! »

À New York hier. Le cycliste qui m'a rasé les fesses : « sorry ! » Moi : « It's all right ! »


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